Malgré les nombreux arguments et prises de position des professionnels de la protection de l’enfance et des magistrats, confortés par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (1), le Sénat a, le 19 mai, adopté le projet de loi sur « la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs », sans modification majeure.
Examiné en procédure accélérée, le texte entérine les dispositions dénoncées comme de graves atteintes à la spécificité de la justice des mineurs : la création d’un tribunal correctionnel pour les plus de 16 ans en état de récidive, l’élargissement des conditions de placement sous contrôle judiciaire des moins de 16 ans et le recours à l’assignation à résidence avec surveillance électronique pour les mineurs placés sous contrôle judiciaire. Les sénateurs ont également donné leur aval à la possibilité de convoquer un mineur devant le tribunal pour enfants par un officier de police judiciaire, tout en la limitant aux récidivistes.
La possibilité d’amener par la force publique, devant la juridiction, les parents du mineur poursuivi, a également franchi l’étape de la Haute Assemblée, tout comme les mesures relatives au « dossier unique de personnalité », qui serait placé sous le contrôle du procureur de la République et du juge des enfants. Ces dispositions ont toutefois été légèrement amendées : le texte voté au Sénat prévoit que le « dossier unique de personnalité », accessible aux avocats, aux magistrats et aux professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), le sera aussi, sur autorisation du juge des enfants, aux personnels du service ou de l’établissement du secteur associatif habilité, tenus, dans ce cas, au secret professionnel. Le projet de loi précise en outre qu’un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, fixera les conditions dans lesquelles ce dossier est conservé après la majorité du mineur.
Devant l’absence de réaction des sénateurs, les professionnels de la protection de l’enfance et de la justice continuent donc à se mobiliser contre ce qu’ils considèrent être un pas de plus dans le démantèlement des fondements de l’ordonnance du 2 février 1945, qui consacre la primauté de l’éducatif ainsi que l’existence d’une juridiction spécialisée et de procédures appropriées. Le projet de loi proposé « parachève la tendance lourde engagée depuis 2002, qui conduit la justice des mineurs à devenir une justice distributive où le jeune délinquant est puni pour chaque acte commis sans que l’on ait le souci de s’attacher aux problèmes qu’il rencontre », s’alarme Jean-Pierre Rosenczveig, président de Défense des enfants International-France et du tribunal pour enfants de Bobigny.
« Le vote en catimini de dispositions réformant, une fois de plus, l’ordonnance de 1945, peut aboutir, dans l’indifférence générale, à une régression majeure conduisant à grands pas au rapprochement de la justice des mineurs sur celle des majeurs », prévient également le SNPES (Syndicat national des personnels de l’éducation et du social)-PJJ-FSU.
Les détracteurs du texte s’en remettent désormais aux députés, qui pourraient l’examiner à partir du 20 juin. Voire, in fine, à la censure du Conseil constitutionnel, qui avait invalidé les dispositions sur les mineurs de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.