Poussé par le médiatique mouvement des Don Quichotte, relayé ensuite par les objectifs du « zéro SDF », renaissant enfin avec la doctrine importée du « housing first », le problème « hébergement-logement » n’en finit pas de rebondir. En un temps qui n’est pourtant pas si lointain, mars 2007, une loi avait tenté d’y apporter une solution en inventant un nouvel outil juridico-institutionnel : le « droit au logement opposable » (DALO).
Cette innovation, fortement commentée dans ses premiers mois d’existence puis un peu oubliée ensuite, repose, on le sait, sur un principe simple : des personnes sans logement ou mal logées au regard de leurs besoins, une fois leur priorité reconnue pour se voir offrir une solution adaptée, peuvent, en cas de carence publique, saisir le juge administratif. Ce dernier pouvant alors imposer à l’administration de l’Etat des pénalités financières. On attend de cette procédure juridictionnelle qu’elle oblige les acteurs de la politique du logement, sous pression d’administrations elles-mêmes mises sous pression par le juge, à loger les ménages considérés comme prioritaires et à le faire au plus près de leurs besoins objectifs.
Bien sûr, comme on pouvait le prévoir, un dispositif juridique, si sophistiqué et pertinent soit-il, ne peut faire surgir par lui-même les milliers de logements qui manquent là où ils seraient nécessaires. Seule une politique forte et volontariste d’investissements pourra réduire le déficit chronique de l’offre, sans parler de la lutte contre les effets délétères des logiques marchandes qui, pour autant qu’elles puissent être légitimes à plusieurs égards, ont cependant pour détestable conséquence d’accroître pour beaucoup les risques d’exclusion du logement. On a pu discuter aussi de la véritable « opposabilité » que garantit cette procédure dans la mesure où le droit à bénéficier vraiment d’un logement n’y gagne qu’une portée indirecte : l’opposabilité en question n’est pas véritablement une prérogative du demandeur, le dispositif ne profitant pas à ce dernier mais constituant davantage une contrainte sur le système d’acteurs qui régule l’accès aux logements disponibles.
Il n’en reste pas moins que ce jeune et chétif DALO, pour limité et relativement désarmé qu’il soit du point de vue de l’effet recherché (loger effectivement les ménages qui ne le sont pas), fait son petit bonhomme de chemin et acquiert au fil du temps un peu plus de consistance. On en veut pour preuve les trois jugements rendus par le tribunal administratif de Paris fin 2010, dont les juristes ont progressivement pris la mesure. Il était entendu que le recours au juge, qui pouvait aboutir à la condamnation de l’Etat à une astreinte, constitue un type d’action juridictionnelle original et surtout, on l’a dit, sans effet direct pour le requérant. Mais on savait aussi, comme l’avait indiqué le Conseil d’Etat lui-même, qu’il était pensable que ces mêmes requérants, lorsqu’ils n’avaient pas au final obtenu de logement satisfaisant, puissent engager une action en demandant réparation. C’est chose faite puisque le juge a condamné l’Etat à verser des indemnités, d’une part pour défaut d’exécution du jugement ayant ordonné un relogement et d’autre part pour carence dans la mise en œuvre du DALO.
Certes, les indemnités attribuées sont d’un montant trop faible pour revêtir un caractère véritablement incitatif (2 000 €). Il n’empêche : en aval de l’action pouvant déboucher sur la condamnation de l’administration au versement d’une astreinte, le dispositif DALO comprend donc, en sus, un versant indemnitaire qui constitue un aiguillon supplémentaire poussant à lui donner une plus grande effectivité. Ainsi, le terrain de la responsabilité administrative constitue ici comme déjà dans d’autres domaines (droit à l’éducation, droits des handicapés) un moyen d’imposer une obligation de résultat aux autorités publiques en rompant avec une tradition qui voulait que l’on puisse proclamer de grands principes sans pour autant se savoir comptable de leur mise en œuvre.
Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps… Il ne s’agit que de trois décisions ponctuelles et il en faudra beaucoup d’autres pour que la pression augmente de telle façon que l’Etat, dans sa position d’acteur principal de l’accès au logement, soit conduit à exercer une pression accrue sur les opérateurs du secteur. Car il faut bien considérer qu’en matière de logement, la responsabilité est partagée avec un ensemble large de prestataires et que l’Etat ne peut pas tout… Façon de rappeler aussi qu’en ce qui concerne les droits fondamentaux en général, c’est la société toute entière qui a en partage la responsabilité de les respecter.
Mais, malgré toutes ces réserves, c’est quand même une bonne nouvelle de savoir le jeune DALO en relative bonne forme sur son versant juridictionnel.