Dans un contexte marqué par une forte augmentation du nombre de demandeurs d’asile et une volonté de maîtrise des dépenses de l’Etat, le gouvernement s’interroge de longue date sur les coûts des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA). Il y a près de un an, il a ainsi demandé à l’inspection générale des affaires sociales et au contrôle général économique et financier de plancher sur ce sujet sensible dans le cadre d’une « mission d’appui » afin de « définir un référentiel des coûts des prestations des CADA » et, plus globalement, de « rechercher des pistes de réforme structurelles concernant les missions confiées à ces établissements ». Les membres de cette mission se sont entretenus avec les responsables nationaux des principaux organismes gestionnaires de CADA et ont visité un échantillon de 12 établissements « illustratif de la variété des situations ». Ils ont remis leur rapport aux ministres concernés en novembre dernier mais le fruit de leur travail – dont les ASH ont pu se procurer une copie – n’a pas encore été rendu public (1). Il alimente pourtant la réflexion conduite actuellement par les pouvoirs publics dans le cadre d’un groupe de travail sur le référentiel des coûts liés aux prestations des CADA. Aussi et surtout, certaines de ses recommandations ont d’ores et déjà trouvé un écho auprès du gouvernement, comme le montrent les récentes consignes données par le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration aux préfets de région pour assouplir le taux d’encadrement des CADA (2). Enfin, on rappellera que la circulaire du 24 juillet 2008 relative aux missions de ces structures et aux modalités de pilotage du dispositif national d’asile, qui a été annulée par le Conseil d’Etat, fait actuellement l’objet d’une réécriture.
En 2009, 39 000 demandes d’asile ont été déposées et le stock des demandes en attente de décision a atteint la barre des 152 000. Face à une population nécessitant le plus souvent un accueil et un accompagnement durant la procédure de demande d’asile, la capacité physique d’hébergement est « limitée et saturée ». Au 1er juillet 2010, il existait ainsi 21 410 places d’hébergement dans 272 CADA, un « nombre indéterminé » de demandeurs d’asile étant accueillis en structures d’urgence. Le délai moyen pour entrer en CADA est actuellement de 13 mois et la durée moyenne de séjour dépasse les 21 mois.
Les CADA s’inscrivent dans le cadre d’un dispositif national d’accueil géré par l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Ce dernier coordonne notamment le placement en CADA et a, en principe, la gestion directe d’un contingent national de 30 % de places, le restant étant géré localement. Mais « la pénurie actuelle de places limite à moins de 10 % des places celles gérées nationalement, ce qui renforce les problèmes connus par les régions et départements les plus confrontés à l’accueil », note le rapport.
Par ailleurs, les membres de la mission ont remarqué dans les 12 centres visités une grande variété des situations, notamment dans leurs modes d’organisation et en particulier s’agissant des personnels. Ainsi, si la norme de l’effectif de personnel en CADA oscille autour du ratio de 1 ETP (équivalent temps plein) pour 10 demandeurs d’asile édicté jusqu’à récemment par l’Etat aux opérateurs, « on rencontre sur le terrain des variations qui tiennent à un ensemble de facteurs tels que la limite de la dotation de financement, le type d’hébergement (collectif/diffus), la répartition entre personnes isolées et familles, l’organisation et les prestations fournies par le CADA ». Tant et si bien que cette règle du ratio de 1 ETP pour 10 usagers « ne semble pas et ne doit pas être une norme impérative mais doit être adaptée à la situation ». Sur ce point, le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration a d’ores et déjà délivré des consignes permettant d’aller jusqu’à 1 ETP pour 15 usagers. Il a également annoncé l’abaissement du taux minimal de personnels socio-éducatifs de 60 % à 50 % mais on notera que cela ne correspond pas à une préconisation du rapport.
Autre élément de constat livré par les auteurs et portant plus spécifiquement sur la gestion financière des dotations budgétaires des CADA : les crédits ne sont pas notifiés avant l’automne, ce qui rend difficile une gestion prévisionnelle. En outre, la répartition par l’administration centrale entre les régions des crédits destinés au fonctionnement de ces établissements se fait sur des bases historiques, sans tenir compte d’éventuelles différences dans la structure des coûts ni des évolutions locales en matière de prix de l’immobilier, de caractéristiques du bâti ou de la situation familiale des personnes accueillies. Dès lors, « en l’absence d’outil d’analyse fonctionnelle et de références comparatives entre CADA, il n’y a pas de juste allocation », souligne le rapport.
L’établissement d’un référentiel de coûts a fait l’objet, de la part du rapport, de « deux approches complémentaires à coordonner ». La première a consisté à calculer des références de coûts pour les trois composantes essentielles de la dépense – coût de l’hébergement, frais de personnel, allocation mensuelle de subsistance (3) – « afin de dégager des gisements d’économies ». La seconde a visé à construire un référentiel de coûts des CADA à partir d’une remontée des coûts par fonction. « Cet outil, articulé avec des remontées statistiques, serait une aide à la décision pour déterminer les dotations de financement et permettrait de doter les CADA plus justement. » Un groupe de travail planche actuellement sur la question. Ses travaux devraient permettre de mettre en place des indicateurs nationaux de référence.
Plus largement, les auteurs se sont interrogés sur les missions des CADA par rapport à la directive européenne 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres. Pour mémoire, ce texte ne comporte pas d’obligation de fournir un logement mais impose aux Etats de prendre des mesures relatives aux conditions matérielles d’accueil qui permettent de garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d’assurer la subsistance des demandeurs d’asile. Dans les centres où la mission s’est rendue, « ces obligations semblent atteintes ». Toutefois, elle a noté le niveau limité de certaines prestations délivrées dans les établissements. Ainsi, la non-revalorisation, depuis plusieurs années, de l’allocation minimale de subsistance « pose problème » dans la mesure où elle a conduit aux recours aux banques alimentaires. Le rapport recommande donc aux pouvoirs publics de « rester vigilants sur le respect de la directive européenne et d’envisager les améliorations nécessaires pour bien assurer un niveau de vie suffisant ».
Certaines activités au sein des CADA ? vont par ailleurs au-delà de la directive comme l’apprentissage du français mais la mission a estimé qu’elle était utile et constituait un investissement, d’autant moins coûteux qu’elle s’appuie largement sur le bénévolat et peut réduire les frais d’interprétariat. A la recherche d’économies potentielles pour les établissements, le rapport suggère, enfin, que l’exercice et le coût de certaines missions – comme par exemple les frais de transports à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la Cour nationale du droit d’asile ou bien encore la gestion de l’allocation mensuelle de subsistance – puissent être transférés à d’autres entités du service public.
(1) Mission d’appui sur les coûts des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) – Philippe Coste, Hervé Thouroude, Michel Laroque et Aristide Sun – Novembre 2010.
(3) Les personnes hébergées en CADA qui ne disposent pas d’un niveau de ressources fixé par arrêté bénéficient d’une allocation mensuelle de subsistance servie par l’établissement pour leur permettre de subvenir à des besoins essentiels non couverts par ce dernier.