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« Les policiers doivent accepter la composante sociale de leur mission »

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Nouvel avatar de la police de proximité supprimée en 2003 par Nicolas Sarkozy, les « patrouilleurs » ont été lancés en avril par le ministre de l’Intérieur. Une façon d’essayer de renouer les liens aujourd’hui très distendus entre la police et une partie de la population. Car le modèle sécuritaire de la police « réactive » a vécu, analyse le sociologue Christian Mouhanna dans « La police contre les citoyens ? »

Les relations entre la police et les citoyens sont-elles plus mauvaises aujourd’hui qu’il y a vingt ans ?

Elles ne se sont pas améliorées, et se sont même bien souvent dégradées. On peut le mesurer à travers la façon dont les policiers eux-mêmes perçoivent leurs relations avec les gens, et dans les sentiments qu’expriment les diverses composantes de la population à l’égard de la police. Nous sommes dans une situation de tension permanente, au mieux d’ignorance réciproque. Dans tous les pays développés, on s’est interrogé à partir des années 1990 sur la façon de recréer du lien avec la population. En France, en 2001, avec la loi sur la sécurité intérieure portée par Jean-Pierre Chevènement, ministre de Lionel Jospin, on a commencé à prendre une orientation dure en réprimant certains comportements jugés jusque-là incivils et en abordant dans le même texte fourre-tout aussi bien le petit resquilleur du métro que le terroriste international.

Cette dégradation touche-t-elle surtout les quartiers sensibles ?

C’est certain, même si le contact n’est pas simple non plus entre la police et la population des quartiers plus aisés. Si la tension est plus forte dans les quartiers sensibles, c’est que le décalage y est plus grand entre les attentes et le service rendu. Dans ces secteurs, on veut parfois moins de police parce que, quand elle est là, c’est pour des interventions en force avec bouclage du quartier et contrôles d’identité massifs. Mais à d’autres moments, on souhaite plus de policiers pour régler les problèmes de voisinage et de petite délinquance. Le problème est que les patrouilles mettent longtemps à arriver. Ne serait-ce que pour des raisons de sécurité car plusieurs voitures se déplacent en même temps. Il existe donc un besoin non satisfait. Les policiers eux-mêmes ressentent cette tension. Ils perdent le contact avec certains quartiers. Ils constituent une sorte de corps étranger, patrouillant en voiture, fenêtres fermées, pensant à se protéger d’éventuels projectiles. Résultat, les gens se plaignent de ne pas pouvoir parler aux policiers alors que ces derniers se plaignent que les gens ne leur signalent rien.

La relation entre police et citoyens se heurte aussi à toute une série de représentations…

On observe en effet dans le public l’influence des séries TV ou des romans policiers. Les gens ont l’impression que les policiers maîtrisent tout, comme dans les feuilletons. Mais l’enquête policière compliquée faisant appel à des techniques modernes reste l’apanage d’une minorité. L’essentiel du travail policier consiste à régler des problèmes de voisinage et des conflits familiaux. Les policiers eux-mêmes n’échappent pas à ces représentations, et il y a une certaine désillusion chez ceux qui pensaient devenir une sorte de justiciers. En réalité, la plupart font un travail bureaucratique assez ennuyeux. C’est d’autant plus vrai que la police s’oriente vers plus de productivité, avec une politique du chiffre dont on a beaucoup parlé. La grande masse des affaires concerne des étrangers en situation irrégulière, des petits consommateurs de stupéfiants ou des auteurs de vols ou de coups et blessures sans gravité. Par ailleurs, chez les policiers aussi, il y a une méconnaissance des quartiers sensibles, avec une représentation de leurs habitants en décalage avec la réalité. Sans compter la déformation professionnelle qui fait qu’ils amalgament trop souvent la majorité de la population avec les gens interpellés.

D’autres évolutions ont contribué à éloigner la police des citoyens. Lesquelles ?

En premier lieu, la centralisation de la police. Elle fait que les priorités sont fixées par le ministère de l’Intérieur, et les fonctionnaires cherchent donc à répondre aux injonctions de l’Etat plutôt qu’aux demandes du public. Or une volonté de rationalisation budgétaire est aujourd’hui à l’œuvre, car garder un commissariat ouvert coûte cher. Mais ce faisant, on coupe de plus en plus les policiers de leurs attaches territoriales. Côté moyens techniques, on est passé, depuis les années 1960-1970, d’une police à pied à une police motorisée qui a permis le développement de ce que les Anglo-Saxons appellent la police « réactive ». On crée donc des commissariats centraux dotés de permanences téléphoniques, d’où les policiers répondent à la demande mais sans rester sur le terrain. Quant à la nationalisation du recrutement, elle se heurte à un problème structurel. Dans la mesure où l’on manque de policiers à Paris, on nomme de jeunes provinciaux qui obtiennent généralement leur mutation vers leur région d’origine au bout de deux ou trois ans. En conséquence, l’Ile-de-France compte beaucoup de jeunes policiers qui n’ont pas nécessairement envie de s’investir dans des quartiers dont ils ne connaissent pas bien les populations.

Les policiers craindraient d’être confondus avec des travailleurs sociaux. Mais leur mission ne comporte-t-elle pas un aspect social ?

Cette dimension sociale du rôle de la police est prise en compte dans de nombreux pays développés, mais pas en France. Pourtant, pour faire son travail, un policier a besoin de sortir, d’avoir des contacts, de connaître des gens… En outre, dans son quotidien, la médiation sur de petits conflits est souvent plus importante que les interpellations. Les policiers sont dans une espèce de paradoxe en ne voulant pas reconnaître ce rôle social qui est aussi le leur. Une personne qui se dispute avec un voisin bruyant n’attend pas nécessairement que celui-ci soit interpellé. Il veut juste que les policiers lui disent de se calmer. Mais si le policier intervient de façon trop énergique, plutôt que d’apaiser les relations entre les voisins, il va plutôt étendre le problème. En niant son rôle social, le policier participe donc lui-même à la construction des problèmes, et sa légitimité en souffre. A l’inverse, la gendarmerie, qui était un modèle d’ancrage territorial, assumait de jouer un certain rôle social. Mais elle aussi est en train d’aller vers un modèle plus centralisé et réactif.

Les expériences de police de proximité ont-elles réellement été les échecs que décrivent certains responsables politiques ?

Lorsque Nicolas Sarkozy a mis un frein à la police de proximité, en 2003, il existait au contraire un plébiscite à l’égard de cette forme de police, dans la population mais aussi parmi les élus, y compris ceux de droite. La volonté affichée a alors été d’aller vers une police d’intervention plus répressive, sur fond de tolérance zéro. Mais depuis, on n’a eu de cesse de tenter de recréer de nouvelles formes de police de proximité. En 2008, Michèle Alliot-Marie a lancé les unités territoriales de quartier (UTEQ). En 2010, Brice Hortefeux a mis fin à l’expérience en les remplaçant par les brigades de surveillance. Quant à Claude Guéant, il a récemment créé les « patrouilleurs », censés circuler en binômes afin d’entretenir le « contact avec la population ». Le gouvernement apparaît ainsi coincé entre sa volonté de développer une police répressive et un réel besoin de proximité. Ce qui explique ses errements et retours en arrière. Mais il est clair que chaque fois que les policiers jouent le jeu de la proximité, leur travail change de nature. Il glisse vers un aspect social mal vécu par leur hiérarchie. Quant à la gauche, elle n’ose pas utiliser le terme de « police de proximité », craignant que cela ne soit considéré comme un aveu de faiblesse. Ce qui est une erreur fondamentale. On peut faire une police répressive très dure justement parce qu’elle est en proximité avec les citoyens. Un certain nombre d’auteurs anglo-saxons considèrent d’ailleurs la police de proximité comme une police de contrôle social.

Que faire pour améliorer cette situation dégradée ?

La première piste consiste à recréer une police attachée à un territoire. C’est le b.a.ba, alors que notre police continue à être de plus en plus déconnectée du terrain. Du coup, toutes les erreurs sont possibles, non par volonté de mal faire mais parce que l’intervention est mal adaptée au contexte. La seconde priorité est que les policiers acceptent la composante sociale de leur mission, mais aussi que leurs partenaires – écoles, services sociaux, municipalités… – admettent, eux aussi, ce rôle social. On voit bien comment certaines institutions se débarrassent des cas les plus gênants en les faisant gérer par la police et la justice. Enfin, il faut améliorer la formation des policiers, leur donner les moyens d’analyser des situations et de savoir recourir à des partenaires capables de leur apporter des réponses. Il existait autrefois une belle expression désignant les policiers : gardiens de la paix. Si personne n’a le souci de réguler cette paix publique, cela nous amène forcément à des situations qui dégénèrent.

REPÈRES

Le sociologue Christian Mouhanna est chargé de recherche au CNRS et directeur adjoint du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip).

Spécialiste des questions liées à la police et à la justice, il publie La police contre les citoyens ? (Ed. Champ social, 2011). Il est également l’auteur, avec Benoît Bastard, de L’avenir du juge des enfants. Eduquer ou punir (Ed. érès, 2010) et de Police. Des chiffres et des doutes (Ed. Michalon, 2007) en collaboration avec Jean-Hugues Matelly. Il a aussi codirigé, avec Jérôme Ferret, Peurs sur les villes (Ed. PUF, 2005).

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