Dans l’esprit des membres de la majorité, la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure – dite « Loppsi 2 » – devait représenter la traduction législative du tour de vis sécuritaire annoncé par Nicolas Sarkozy dans son discours prononcé le 30 juillet dernier à Grenoble, à la suite de divers incidents survenus durant l’été 2010. Un tour de vis qui visait, tous azimuts, les Roms et les gens du voyage, les étrangers, les mineurs délinquants et leurs parents… et qui, au final, n’aura pas été aussi serré que le souhaitaient ses instigateurs. Le Conseil constitutionnel a en effet, le 10 mars dernier, censuré quelques-unes des mesures phares du texte (1) : extension aux mineurs des peines planchers instituées pour les primo-délinquants auteurs de violences volontaires, autorisation accordée au procureur de la République de faire convoquer directement un mineur par un officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants sans saisir au préalable le juge des enfants, possibilité donnée au préfet de procéder à l’évacuation forcée de terrains occupés illégalement, institution d’une peine d’occupation illicite du domicile, possibilité d’aménager des salles d’audiences au sein des centres de rétention administrative…
Au final, véritable fourre-tout législatif composé de 134 articles, la Loppsi 2 n’en demeure pas moins un texte ayant un impact, en particulier, dans les domaines de la prévention de la délinquance, de la justice et du droit des étrangers. Avec des mesures allant de la restriction de la liberté d’aller et venir des mineurs de 13 ans pendant la nuit au « renforcement » du contrat de responsabilité parentale, en passant par l’ instauration de peines planchers pour les primo-délinquants auteurs de violences aggravées, le placement sous surveillance électronique des multi-récidivistes condamnés à au moins 5 ans dès leur sortie de prison ou bien encore le renforcement du régime de l’assignation à résidence des étrangers ayant fait l’objet d’une décision d’expulsion.
Le législateur crée un couvre-feu pour les mineurs de 13 ans, qui peut être de portée générale ou prendre la forme d’une sanction éducative. Entre autres mesures, il a par ailleurs modifié par petites touches le régime du contrat de responsabilité parentale, dans l’espoir d’en renforcer l’efficacité.
Les mineurs de 13 ans peuvent dorénavant se voir frappés d’une mesure de couvre-feu, tendant à restreindre leur liberté d’aller et de venir entre 23 heures et 6 heures sans être accompagnés de l’un de leurs parents ou du titulaire de l’autorité parentale.
La loi prévoit plus précisément deux catégories de couvre-feu : un couvre-feu de portée générale, d’une part, mesure administrative à la disposition du préfet ; et un couvre-feu individuel, d’autre part, mesure judiciaire susceptible d’être prononcée à titre de sanction éducative à l’encontre d’un mineur délinquant.
La mise en place par le préfet d’un couvre-feu de portée générale – dont la possibilité était déjà ouverte au maire dans le cadre de son pouvoir de police général – a pour effet d’empêcher tout mineur de 13 ans, sur un territoire donné, « de circuler ou de stationner sur la voie publique ». Elle est soumise à une double condition. D’une part, la mesure de restriction de la liberté d’aller et venir des mineurs doit être prise « dans leur intérêt ». D’autre part, elle doit avoir pour objet de prévenir « un risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité ».
Le rapporteur (UMP) de la loi à l’Assemblée nationale, Eric Ciotti, est convaincu du bien-fondé de cette nouvelle faculté accordée au représentant de l’Etat. « La présence de mineurs, de nuit, à l’extérieur du domicile de leurs parents ou du titulaire de l’autorité parentale, apparaît indiscutablement comme un danger pour ces mineurs, qui peuvent se trouver en situation de vulnérabilité vis-à-vis d’auteurs potentiels d’agressions mais aussi participer à la commission d’infractions au sein de groupes plus ou moins structurés », a-t-il expliqué au cours des débats. « Il importe donc de permettre la mise en place d’une mesure administrative de protection […], dans l’intérêt même des mineurs concernés » [Rap. A.N. n° 2271, Ciotti, février 2010, page 216].
La décision du préfet est soumise par la loi à une exigence de précision. Elle doit en effet énoncer la durée – forcément limitée dans le temps – de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent ainsi que le territoire sur lequel elle s’applique. Des conditions qui reprennent les critères posés par le juge administratif dans les différentes décisions qu’il a rendues sur des arrêtés municipaux ayant prévu des mesures de couvre-feu pour les mineurs.
A cet égard, le ministre de l’Intérieur enfonce le clou dans une circulaire d’application du 28 mars 2011 (2) : « l’utilisation du couvre-feu de portée générale doit être justifiée par les risques pesant sur les mineurs, appréciés au regard des circonstances locales ». L’autorité préfectorale doit donc « être soucieuse de respecter une juste proportion entre ces risques et l’étendue de la mesure prononcée ». « Dans cette appréciation, insiste Claude Guéant, elle peut restreindre la mesure prononcée à un périmètre particulier ou réduire la durée de la plage horaire concernée. » A défaut d’être motivée, limitée dans le temps et dans l’espace, la mesure s’expose à la censure du juge administratif, prévient-il.
La loi crée également une sanction éducative de couvre-feu, permettant au tribunal pour enfants jugeant un mineur de lui interdire d’aller et venir sur la voie publique entre 23 heures et 6 heures du matin sans être accompagné de l’un de ses parents ou du titulaire de l’autorité parentale.
A l’origine, les députés avaient prévu que cette mesure de couvre-feu individuel serait décidée par le préfet et applicable aux mineurs de 13 ans ayant fait l’objet d’une mesure ou d’une sanction éducative, et avec les parents desquels le président du conseil général a conclu un contrat de responsabilité parentale. Devant notamment son risque d’être contraire à une convention internationale et à la Constitution, il a finalement été décidé, sous l’impulsion des sénateurs, d’offrir plutôt cette possibilité au tribunal pour enfants et de compléter ainsi la liste des sanctions éducatives prévues par l’article 15-1 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante.
Cette mesure judiciaire ne peut être prononcée que pour une durée maximale de 3 mois, renouvelable une fois (ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945, art. 15-1 11° nouveau).
En cas de violation d’une mesure de couvre-feu, la première conséquence pour le mineur contrevenant est la remise immédiate à ses parents ou à son représentant légal. Le procureur de la République doit en être avisé « sans délai » afin de pouvoir prendre, le cas échéant, les mesures relevant de sa compétence.
A défaut d’une telle remise – soit parce que le représentant légal n’a pu être contacté, soit parce qu’il a refusé d’accueillir l’enfant à son domicile – et en cas d’urgence, le mineur est remis au service de l’aide sociale à l’enfance qui le recueille provisoirement, par décision du préfet. A charge pour ce dernier d’en aviser immédiatement le procureur de la République.
A noter : le texte adopté par les parlementaires prévoyait, en plus, une sanction contraventionnelle contre les parents « fautifs » mais cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel.
Créé par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, le contrat de responsabilité parentale (CRP) permet au président du conseil général de proposer aux familles en situation de difficulté éducative avec un enfant des mesures d’aide et d’action sociales destinées à les aider à remédier à cette situation. Il peut, plus précisément, être proposé en cas d’absentéisme scolaire, de trouble porté au fonctionnement d’un établissement scolaire ou de toute autre difficulté liée à une carence de l’autorité parentale. Le président du conseil général est informé de ces situations par l’inspecteur d’académie, le chef d’établissement d’enseignement, le maire de la commune de résidence du mineur, le directeur de l’organisme débiteur des prestations familiales ou le préfet.
La loi du 14 mars 2011 élargit le champ du dispositif. Ainsi, parmi les raisons qui peuvent conduire le président du conseil général à proposer aux parents la conclusion d’un contrat de responsabilité parentale, figurent désormais également (code de l’action sociale et des familles [CASF], art. L. 222-4-1 modifié) :
d’une part, le fait que le mineur a fait l’objet d’une mesure de couvre-feu ;
d’autre part, le fait qu’il a été poursuivi ou condamné pour une infraction signalée par le procureur de la République et révélant une carence de l’autorité parentale.
Lorsque le contrat n’a pas pu être signé du fait des parents ou du représentant légal du mineur, le président du conseil général peut également leur adresser un rappel de leurs obligations en tant que titulaires de l’autorité parentale et prendre toute mesure d’aide et d’action sociales de nature à remédier à la situation (CASF, art. L. 222-4-1 modifié).
« Liée à la commission par un mineur d’infractions pénales, la mise en place d’un CRP s’adresse aux parents avec l’objectif de les responsabiliser dans l’éducation de leurs enfants », souligne le ministre de l’Intérieur dans une circulaire du 28 mars 2011 (3). « Elle ne se substitue pas aux mesures éducatives prononcées dans le cadre de la justice des mineurs. » « Il s’agit au contraire, insiste Claude Guéant, d’assurer une complémentarité de l’action éducative confiée à la justice des mineurs et aux services sociaux du département. »
La loi prévoit la création systématique d’un conseil pour les droits et devoirs des familles (CDDF) dans les communes de plus de 50 000 habitants afin, a expliqué Claude Guéant dans une circulaire du 28 mars 2011 (4), de « favoriser le dialogue et le soutien des familles confrontées aux problèmes de comportement de leurs enfants » (CASF, art. L. 141-1 modifié).
Rappelons que, présidé par le maire, un CDDF peut être réuni afin :
d’entendre une famille, de l’informer de ses droits et devoirs envers l’enfant et de lui adresser des recommandations destinées à prévenir des comportements susceptibles de mettre l’enfant en danger ou de causer des troubles pour autrui ;
d’examiner avec la famille les mesures d’aide à l’exercice de la fonction parentale susceptibles de lui être proposées ;
d’examiner avec la famille l’opportunité d’informer les professionnels de l’action sociale et les tiers intéressés des recommandations qui lui sont faites et, le cas échéant, des engagements qu’elle a pris dans le cadre d’un contrat de responsabilité parentale conclu avec le président du conseil général.
Un CDDF peut encore, lorsque le suivi social ou les informations portées à sa connaissance font apparaître que la situation d’une famille ou d’un foyer est de nature à compromettre l’éducation des enfants, la stabilité familiale et qu’elle a des conséquences pour la tranquillité ou la sécurité publique, proposer au maire de saisir le président du conseil général en vue de la mise en œuvre d’une mesure d’accompagnement en économie sociale et familiale.
Un édile doit par ailleurs réunir l’instance, pour la consulter, chaque fois qu’il envisage de proposer un accompagnement parental. Le conseil doit, en outre, être informé de la conclusion d’un contrat de responsabilité parentale ou d’une mesure d’assistance éducative ordonnée par la justice à l’encontre d’un mineur en danger.
Un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) peut constituer en son sein un ou plusieurs groupes de travail et d’échange d’informations à vocation territoriale ou thématique. Les faits et informations à caractère confidentiel échangés dans le cadre de ces groupes de travail ne peuvent être communiqués à des tiers.
Nouveauté de la Loppsi 2 : les modalités d’échange d’informations au sein d’un CLSPD doivent dorénavant être définies par un règlement intérieur établi par ce conseil sur la proposition des membres du groupe de travail (code général des collectivités territoriales [CGCT], art. L. 2211-5 modifié). « Les expériences locales de mise en place de nouveaux dispositifs de prévention de la délinquance montrent l’importance d’une définition commune, par les membres des groupes de travail établis au sein des CLSPD, des principes de leurs échanges et des méthodes qu’ils retiennent », a expliqué le ministre de l’Intérieur dans une circulaire du 28 mars 2011, invitant au passage les préfets à veiller au respect de cette nouvelle obligation (5).
La loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a confié au maire la mission d’animer sur le territoire de la commune la politique de prévention de la délinquance et d’en coordonner la mise en œuvre, sous réserve toutefois des pouvoirs de l’autorité judiciaire et dans le respect des compétences du représentant de l’Etat, des compétences d’action sociale confiées au département et des compétences des collectivités publiques, des établissements et des organismes intéressés.
La Loppsi 2 précise que l’édile peut, à cette fin, convenir avec l’Etat ou les autres personnes morales intéressées des modalités nécessaires à la mise en œuvre des actions de prévention de la délinquance (CGCT, art. L. 2211-4).
« Cette mesure encourage donc une coordination des rapports entre les pouvoirs publics dans le domaine de la prévention de la délinquance, dont il appartiendra au maire de définir les contours en fonction des nécessités locales », a expliqué Claude Guéant dans une circulaire du 28 mars 2011, réclamant au passage des préfets qu’ils veillent à encourager le développement de ces rapports contractuels (6).
À SUIVRE…
DANS CE NUMÉRO
I. Les mesures relatives à la prévention de la délinquance
A. Un couvre-feu pour les mineurs de 13 ans
B. Le renforcement du contrat de responsabilité parentale
C. Le CDDF obligatoire dans les communes de plus de 50 000 habitants
D. L’échange d’informations au sein des CLSPD
E. La contractualisation de la politique locale de prévention de la délinquance
DANS UN PROCHAIN NUMÉRO
II. Les mesures relatives au traitement de la délinquance
III. Les mesures relatives à l’assignation à résidence des étrangers en voie d’éloignement
La loi prévoit que le préfet est informé par le procureur de la République des mesures alternatives aux poursuites et des jugements devenus définitifs lorsque ces mesures et jugements concernent des infractions commises par des mineurs résidant sur le territoire du département. L’idée étant de lui permettre, si nécessaire, de proposer aux parents un accompagnement dans le cadre d’un contrat de responsabilité parentale (art. 43-IV de la loi).
Un mécanisme obligatoire d’information similaire est par ailleurs mis en place entre le procureur de la République et le président du conseil général (code général des collectivités territoriales, art. L. 3221-9 modifié). Eric Ciotti en est convaincu : ces mesures vont permettre de « renforcer la complémentarité de l’action de la justice, du préfet et du président du conseil général, dont l’action en matière de prévention de la délinquance pourra ainsi être mieux coordonnée et gagner en efficacité » (Rap. A.N. n° 2271, Ciotti, février 2010, page 219).
Avec la Loppsi 2, le législateur a également entendu lutter contre les fraudes en matière sociale en facilitant les échanges d’informations entre agents. Certains bénéficiaient déjà de la levée du secret professionnel en matière de lutte contre le travail dissimulé (notamment les inspecteurs et contrôleurs du travail, les officiers et agents de police judiciaire, etc.).
Désormais, la loi parle d’agents ou d’organismes de protection sociale « habilités à s’échanger tous renseignements et tous documents utiles à l’accomplissement des missions de recherche et de constatation des fraudes en matière sociale […], ainsi qu’au recouvrement des cotisations et contributions dues et des prestations sociales versées indûment » (code de la sécurité sociale [CSS], art. L. 114-16-1 nouveau). Elle allonge par ailleurs la liste des agents concernés en y ajoutant notamment (CSS, art. L. 114-16-3 nouveau) :
les agents des administrations centrales de l’Etat en charge de la lutte contre la fraude aux finances publiques désignés par le directeur ou le directeur général de chaque administration à cet effet ;
les agents des organismes de protection sociale – caisses nationales de l’assurance maladie, des allocations familiales, d’assurance vieillesse… – en charge de la lutte contre la fraude ;
les agents de directions des organismes locaux de protection sociale ainsi que leurs agents de contrôle en charge de la lutte contre la fraude ;
les agents de Pôle emploi, de l’Unedic et de l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés en charge de la lutte contre la fraude.
Ces échanges croisés de données sont toutefois limités à la prévention, la recherche et la répression des fraudes en matière sociale limitativement énumérées par le nouvel article L. 114-16-2 du code de la sécurité sociale. Figurent notamment dans cette liste l’usage de faux, le fait de bénéficier ou de tenter de bénéficier frauduleusement des allocations de chômage, ou bien encore le fait d’établir de fausses déclarations ou de fournir de fausses informations pour être inscrit ou demeurer inscrit sur la liste des demandeurs d’emploi.
Autre nouveauté : les agents chargés de la prévention des fraudes au sein de Pôle emploi doivent dorénavant être agréés et assermentés à cet effet, à l’image des agents des organismes de sécurité sociale (code du travail, art. L. 8271-7 – 9° nouveau).
Dans le cadre du dispositif de lutte contre l’absentéisme scolaire mis en place par la loi du 28 septembre 2010 (7), l’inspecteur d’académie qui, confronté à un élève absentéiste, adresse un avertissement à ses parents doit en informer le maire. La Loppsi 2 prévoit que cette information doit dorénavant avoir lieu au fur et à mesure de l’envoi des avertissements et non plus trimestriellement (code de l’éducation, art. L. 131-8).
(2) Circulaire du ministère de l’Intérieur n° IOC/D11/08861/C du 28 mars 2011, disponible sur
(3) Circulaire du ministère de l’Intérieur n° IOC/D/11/08861/C du 28 mars 2011, disponible sur
(4) Circulaire du ministère de l’Intérieur n° IOC/D/11/08861/C du 28 mars 2011.
(5) Ibid.
(6) Ibid.