Contrairement aux entreprises, les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) n’ont pas pour priorité l’activité économique mais se consacrent à l’accueil de travailleurs handicapés auxquels ils sont chargés de fournir un travail adapté à leur capacité. Les impératifs économiques se font toutefois de plus en plus criants, exacerbant les tensions entre leur mission médico-sociale et les considérations commerciales – avec le risque de faire passer au second plan l’accompagnement de leur public. Ce dispositif « original et spécifique » est aussi « fragile », a rappelé Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, lors des dernières rencontres nationales des directeurs et cadres d’ESAT (1). Il l’est d’autant plus qu’il doit faire face à des évolutions qui le déstabilisent.
En premier lieu, les ESAT – gérés à 75 % par l’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis) et l’APAJH (Association pour adultes et jeunes handicapés) et leurs associations adhérentes – sont confrontés à la transformation du profil de leurs usagers. Ces derniers sont vieillissants (45 % ont plus de 40 ans et 16 % plus de 50 ans) et près d’un quart souffrent d’une fatigabilité accrue. Dans ce contexte, les emplois à temps partiel – qui concernent déjà un usager sur six – sont une solution intéressante. Leur développement suppose néanmoins une clarification administrative, puisque l’aide aux postes est calculée en fonction du nombre d’équivalents temps plein (ETP) et non de celui des personnes accueillies.
Autre solution : les dispositifs de retraite adaptés. En Haute-Savoie, le conseil général finance – à hauteur de 4 000 € par bénéficiaire – un service de préparation, de transition et de suivi, destiné à mieux prendre en compte le vieillissement des usagers handicapés des ESAT. Pendant un an (renouvelable une ou deux fois), ce service aide la personne handicapée à prendre conscience de son vieillissement et à élaborer un nouveau projet, puis il l’accompagne dans sa réalisation. C’est le cas, par exemple, d’Annie, 54 ans, souffrant d’une infirmité motrice cérébrale. Malgré sa fatigabilité, elle ne voulait pas quitter l’ESAT dans lequel elle avait travaillé pendant 25 ans. Après réflexion, elle a fait le choix de s’orienter vers une maison de retraite ordinaire avec la possibilité de passer les vacances d’été chez sa mère et de visiter régulièrement son ancien établissement.
Mais c’est sans aucun doute l’arrivée massive d’un public handicapé psychique – alors que, traditionnellement, les ESAT recevaient des personnes souffrant de handicap intellectuel – qui constitue le grand changement. Aujourd’hui, le handicap psychique, qui a été reconnu par la loi sur le handicap de 2005, concerne officiellement un usager sur cinq – bien davantage, selon les associations. Or « c’est un handicap complexe à cerner, qui se manifeste par des difficultés à s’orienter dans le temps et dans l’espace, à gérer ses efforts, à avoir des relations interpersonnelles… », explique Alain-Paul Perrou, directeur de l’ESAT Essor à Mézin (Lot-et-Garonne). Générateur d’instabilité, il pose des difficultés spécifiques en termes d’accompagnement, de prise en charge et d’organisation. « Il implique un dispositif d’aide qui prenne en compte la non-linéarité des parcours avec parfois des arrêts maladie assez longs ; les personnes peuvent n’être présentes qu’un quart du temps », souligne Fabienne Pressard, directrice de l’ESAT Le Manoir à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne).
Dans son établissement, la moitié des usagers souffrent de handicap psychique – une spécificité historique liée à sa proximité avec un hôpital psychiatrique – ce qui pose la question de la coexistence entre handicapés psychiques et mentaux. Pour Fabienne Pressard, cette mixité des publics peut être une source de richesse à condition de l’intégrer dans le projet d’établissement et de mettre en place des outils spécifiques : partenariat avec les services de santé mentale, pluridisciplinarité des équipes – son établissement, qui compte 153 travailleurs handicapés, fonctionne avec 1,5 équivalent temps plein (ETP) de psychologue, une vacation d’une demi-journée par semaine d’un médecin psychiatre, une assistante sociale et une animatrice –, formation des professionnels et analyse des pratiques. « La distanciation des personnels est plus difficile face à ces personnes qui ont eu une vie normale avant de souffrir de troubles psychiques », explique Fabienne Pressard.
D’autres établissements commencent à proposer des solutions d’emplois modulés dont la caractéristique principale est la souplesse : le lieu (à l’intérieur de l’ESAT ou en détachement dans une entreprise), le temps de travail et l’accompagnement sont aménageables selon les besoins de la personne, avec une attention particulière à la continuité des soins. Pour formaliser ces emplois et bénéficier d’un financement pérenne, l’ESAT Afaser, à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), qui accueille un large public issu de l’immigration cumulant troubles psychiques et précarité, devrait bientôt bénéficier d’un service d’emplois modulés (SEM) à part entière – le CROSM (comité régional de l’organisation sociale et médico-sociale) a rendu un avis favorable en 2010 et il manque encore l’autorisation de l’agence régionale de santé (ARS).
A côté de l’individualisation des parcours et des prises en charge différenciées, nombreux sont ceux qui soulignent l’importance de la formation du personnel encadrant, notamment des moniteurs d’ateliers – qui représentent 40 % des effectifs des ESAT. « On leur demande beaucoup, tant au niveau éducatif qu’économique ou commercial », insiste Philippe Richard, administrateur du Syneas (Syndicat d’employeurs associatifs de l’action sociale et santé), qui plaide pour qu’un effort particulier soit fait à leur égard.
Outre le changement des profils des usagers, les ESAT sont confrontés à un deuxième défi : faire face aux évolutions réglementaires et institutionnelles. En plus des procédures d’appels à projets, qui font craindre une réduction des marges de manœuvre des associations, la mise en place des ARS suscite l’inquiétude des acteurs : sauront-elles prendre en compte les spécificités des ESAT ? A cela s’ajoute la multiplication des directives qui, notamment sous la houlette de l’ANESM (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) et de l’ANAP (Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux), inondent les établissements et poussent à la standardisation des pratiques. « Pourquoi faire des recommandations de 60 pages que personne ne lit ? », s’interroge Gérard Zribi, président d’Andicat (Association nationale des directeurs et cadres d’établissements et services d’aide par le travail). Pour lui, le cadre réglementaire est tout simplement « asphyxiant ». Il faudrait, au contraire, « amender les dispositions les plus gênantes et assouplir les règles pour rendre l’ESAT plus réactif », souligne-t-il, déçu par la réflexion engagée par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) visant à moderniser le dispositif (voir encadré, page 32).
A cela s’ajoutent les problèmes de financement. « 12 % des ESAT ont eu une trésorerie négative » en 2008, peut-on lire dans le rapport du cabinet Opus 3, effectué à la demande de la DGCS. Et, selon Andicat, entre 30 et 40 % d’entre eux auraient des problèmes de financement durables (2). « Comment répondre aux besoins des personnes et aux mutations en cours avec un budget surréaliste ?, se demande Gérard Zribi, qui dénonce la logique de convergence tarifaire et les enveloppes fermées mises en place par les pouvoirs publics. Il faut revenir à l’objet des CAT [centres d’aide par le travail] : le travail servait à rendre la personne handicapée citoyenne. Aujourd’hui, le discours économiste oublie les personnes en situation de handicap au profit d’une politique gestionnaire. Sans moyens suffisants, les droits des personnes handicapées risquent de régresser. » Nombreux sont ceux qui, comme lui, craignent que les gains commerciaux viennent uniquement compenser la baisse des budgets sociaux. Depuis quelques années déjà, le chiffre d’affaires généré par les activités économiques, au lieu de servir essentiellement au versement des rémunérations directes des travailleurs handicapés et à l’achat de matières premières et d’équipements professionnels, « comble les insuffisances du financement des ESAT par l’Etat », explique Gérard Zribi (3).
Cette tendance risque de s’accentuer avec la mise en place des tarifs plafonds, qui correspondent à un coût de fonctionnement à la place déterminé annuellement et sont modulés selon le type de handicap (4). « C’est une belle mécanique économique mais elle ne tient pas compte des besoins », déplore Jean-Louis Garcia, président de l’APAJH. Ces nouvelles mesures « plongent nos établissements dans une difficulté que nous ne pourrons résoudre sans attenter à la prise en charge des personnes accueillies », commente Olivier Jammot, directeur de l’ESAT « Les ateliers morsaintois » à Morsang-sur-Orge (Essonne) (5). Ce dernier craint que ce « désengagement effectif de l’Etat » ne conduise les établissements à la pratique d’admissions sélectives, à l’orientation des personnes les moins performantes vers des foyers occupationnels et au développement des seules activités jugées rentables – ce qui reviendrait à « trahir la mission dévolue » aux ESAT.
Faut-il alors, comme le propose Andicat, résorber le déficit des ESAT par une ponction sur les crédits supplémentaires générés par le durcissement de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés (voir encadré ci-contre) ? Cette solution ne séduit guère les autres fédérations du secteur. « Le feu est-il suffisamment grave pour qu’on détourne ainsi les fonds de l’Agefiph, qui sont destinés au travail ordinaire ? », se demande Dominique Balmary, président de l’Uniopss.
Les acteurs du secteur s’accordent, en tout cas, sur le fait que la situation est d’autant plus préoccupante que – troisième évolution majeure – les ESAT sont confrontés à un environnement économique difficile. Malgré l’existence d’une demande potentielle avec le développement des pratiques d’achat responsable des entreprises et des collectivités et le renforcement des pénalités pour les employeurs qui ne remplissent pas leur obligation d’embauche de travailleurs handicapés, la crise économique, s’ajoutant à des évolutions structurelles (comme la disparition progressive de certains secteurs d’activités, notamment le conditionnement et le tri), n’a pas épargné les ESAT. Ce qui les fragilise d’autant plus que le secteur manque de visibilité, quand il ne souffre pas d’une mauvaise image ou d’une représentation qui le cantonne dans des tâches simples et répétitives.
« Les entreprises ne nous connaissent pas assez, il faut être plus lisibles », affirme Jean-Marc Phommavong, directeur d’ESAT et président de l’Association des directeurs des structures de travail adapté de Franche-Comté. Cette dernière, qui réunit 26 directeurs d’ESAT, prouve que des solutions existent. Constituée en réseau, elle a créé des supports de communication et un site Internet communs (6). Objectifs : fournir aux entreprises régionales un interlocuteur unique, répartir la charge de travail entre les établissements, lors de pics d’activités, et développer des coopérations commerciales – à l’instar de la réponse groupée des ESAT de la région pour le tri des archives du Crédit agricole.
Le cas de la Franche-Comté n’est pas isolé. Malgré un environnement économique et règlementaire incertain, les ESAT font preuve de nombreuses initiatives qui mériteraient, de l’avis de tous, d’être davantage capitalisées. Dans un bassin d’emplois sinistré, les trois sites de l’ESAT de la Ferme du Pont-de-Sains, gérés par l’association La maison des enfants, dans l’Avesnois (Nord), ont contribué à l’aménagement du territoire en créant leurs propres activités agricoles et touristiques (7). « Ce sont des activités valorisantes et signifiantes, que nous maîtrisons entièrement – nous ne dépendons d’aucune entreprise », précise Michel Deliège, directeur de l’établissement.
Le site de la Ferme du Pont-de-Sains abrite ainsi une laiterie destinée à la fabrication du fromage de maroilles, un centre équestre ouvert à tous les publics et des activités d’horticulture et d’espaces verts. Appartenant à la même association, Le Bol vert, installé sur un ancien site industriel, est un centre touristique qui propose hébergement, restauration, activités de détente, organisation de séminaires, séjours adaptés, poney-club… dans un cadre verdoyant. Enfin, le site de la Ferme du Pont-de-l’Ecluse accueille un centre d’initiation à l’environnement et une ferme pédagogique destinés aux enfants. « Le travail avec les animaux est particulièrement intéressant pour les usagers, malgré la nécessité d’une ouverture 365 jours par an – qui n’est d’ailleurs pas prise en compte dans les budgets qui nous sont alloués –, alors que la restauration est plus difficile compte tenu de l’amplitude horaire importante et de l’emploi du temps non fixe, explique Michel Deliège. Mais le fait d’avoir trois sites permet à ceux qui s’essoufflent de changer facilement d’activité s’ils en font la demande. Certains font ainsi du service en salle pendant six mois, puis participent à la culture d’endives pendant l’autre moitié de l’année. »
Autre action intéressante : dans les Pyrénées-Orientales, un partenariat a été noué, dans le cadre d’un groupement de coopération sociale et médico-sociale, entre l’ESAT Charles-de-Menditte et l’hôpital de Perpignan, désireux de répondre à son obligation d’emploi en matière de travailleurs handicapés. Aujourd’hui, une vingtaine de personnes handicapées sont détachées à l’hôpital pour des activités liées aux espaces verts, de restauration et de blanchisserie. « Ils se vivent comme faisant partie du personnel hospitalier, c’est très valorisant pour eux », relève Omar Laouadi, directeur de l’ESAT.
Soulignant la « capacité [des ESAT] à s’adapter et à évoluer », Marie-Anne Montchamp a réaffirmé, lors des rencontres d’Andicat, l’attachement des pouvoirs publics à ce dispositif. De son côté, la DGCS a annoncé un plan d’aide à l’investissement de 12 millions d’euros sur trois ans dont les modalités seront précisées dans la prochaine circulaire budgétaire sur les ESAT, qui devrait être publiée d’ici à l’été. Il est prévu que les ARS fassent remonter les projets prioritaires d’investissement pour une sélection nationale à l’automne. La DGCS explique également qu’une étude sur le coût des ESAT devrait démarrer en septembre prochain pour une durée minimale de six mois ; l’appel d’offres pour rechercher un prestataire est prévu en juillet.
Si ces mesures vont dans le bon sens, suffiront-elles à rassurer le secteur ? Rien n’est moins sûr : beaucoup de structures observent une diminution du nombre de leurs postes adaptés, en contradiction avec le plan pluriannuel de création de 10 000 places en ESAT annoncé en 2008 (8). « Celui-ci a été créé à l’aveugle selon l’idée que tous les territoires ont les mêmes besoins, regrette-t-on à Andicat. Cela aboutit à une distribution uniforme alors qu’on aurait besoin de réponses fléchées, adaptées aux nécessités locales. »
Les 1 400 ESAT (établissements et services d’aide par le travail), qui remplacent les CAT (centres d’aide par le travail) depuis 2005, appartiennent au secteur de l’emploi protégé.
Ces structures médico-sociales proposent à environ 140 000 personnes handicapées une mise au travail adaptée et des actions de soutien qui visent à favoriser leur épanouissement.
La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées précise notamment qu’elles « mettent en œuvre ou favorisent l’accès à des actions d’entretien des connaissances, de maintien des acquis scolaires et de formation professionnelle, ainsi que des actions éducatives d’accès à l’autonomie et d’implication dans la vie sociale ».
Au-delà du cœur historique de l’activité des ESAT (conditionnement, travail à façon, assemblage, montage, tri et contrôle) soumis à une importante concurrence internationale mais aussi entre les ESAT ou avec les entreprises adaptées, d’autres activités existent et se développent : activités « vertes » (espaces verts ou liées à l’agriculture), services (textile, nettoyage, hôtellerie, tourisme…). Elles s’exercent généralement sous la forme d’ateliers in situ ou dans le cadre d’une mise à disposition de travailleurs handicapés au sein d’une entreprise ordinaire. Afin de permettre une progression à l’intérieur de chaque établissement et une adéquation entre les capacités des travailleurs et les activités, la plupart des ESAT proposent plusieurs activités.
L’orientation en ESAT se fait par le biais de la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) et vaut reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Les personnes handicapées – souvent mentales, mais aussi moteurs ou, de plus en plus, psychiques – doivent avoir une « capacité de travail inférieure à un tiers » par rapport à celle d’un travailleur ordinaire et une « aptitude potentielle à travailler » suffisante. La personne handicapée (qui n’a pas le statut de salarié au sens du code du travail) signe alors avec l’établissement un contrat de soutien et d’aide par le travail – l’équivalent du contrat de séjour – qui définit les activités à caractère professionnel et la mise en œuvre du soutien médico-social ou éducatif.
Le travailleur perçoit une rémunération garantie théoriquement comprise entre 55 % et 110 % du SMIC horaire, financée par l’activité économique de l’ESAT et par une aide au poste de l’Etat, à laquelle peut s’ajouter une prime d’intéressement. Il peut cumuler cette rémunération avec l’AAH (allocation aux adultes handicapés) à taux partiel. Le montant moyen touché par la personne handicapée se situerait aux alentours de 90 % du SMIC.
Les sources de financement des ESAT proviennent, d’une part, du budget principal d’activité sociale (BPAS) financé par les agences régionales de santé via une dotation globale annuelle pour l’accueil des personnes handicapées et, d’autre part, du budget annexe de l’activité de production et de commercialisation (BAPC) et des aides aux postes versées par l’Etat.
Président de l’Association nationale des directeurs et cadres d’établissements et services d’aide par le travail (Andicat), qui réunit 90 % des directeurs et cadres d’ESAT, et directeur général de l’Afaser, une association qui gère 22 établissements et services.
Sur la base du rapport du consultant Opus 3, qui visait à dresser un état des lieux sur la situation des ESAT, la DGCS (direction générale de la cohésion sociale) a présenté en juin 2010 un plan d’actions visant à moderniser ces structures (9). Où en est-on ?
Alors qu’on nous avait annoncé des groupes de travail, nous n’avons plus aucunes nouvelles (10). La démarche, qui s’appuyait sur une large concertation avec les acteurs du terrain, a accouché d’une souris. Nous sommes très déçus d’autant que nous avions fortement mobilisé nos adhérents. Le plan d’actions annoncé par la DGCS n’apporte pas grand-chose. Certaines propositions – comme celle visant à améliorer la communication entre les ESAT et les maisons départementales des personnes handicapées ou celle invitant à mobiliser les organismes paritaires collecteurs agréés pour favoriser le développement de la formation professionnelle diplômante dans les établissements de petite taille – ne font que reprendre ce que font déjà les acteurs sur le terrain. Il est aussi suggéré de créer un centre national d’appui et de ressources « travail protégé et adapté ». C’est à la mode, mais en a-t-on vraiment besoin ? De toute façon, je ne vois pas pourquoi il faudrait « moderniser » les ESAT ; ils sont déjà dans cette dynamique. Les problèmes ne sont pas là.
Où sont-ils alors ?
Nous avions proposé la création d’emplois modulés pour les travailleurs ayant un handicap psychique. Ce type d’emploi permettrait de mieux prendre en compte leur comportement très variable. Cette proposition a bien été retenue par la DGCS, mais aucune consigne n’a été donnée en ce sens aux agences régionales de santé. Par ailleurs, il faudrait renforcer la formation continue des professionnels – moniteurs d’ateliers, psychologues, éducateurs spécialisés… – qui interviennent dans les ESAT, parce que les problématiques de leurs publics sont de plus en plus lourdes et qu’il faut les accompagner dans leur choix de vie. Là aussi la DGCS a reconnu la nécessité de modifier les référentiels de formation des moniteurs d’atelier, mais on ne voit rien venir. A cela s’ajoutent les difficultés financières…
Quelles sont-elles précisément ?
A l’instar de tout le secteur médico-social, nos financements s’orientent vers un financement au forfait avec des enveloppes fermées, ce à quoi nous nous opposons. D’autant que le coût des ESAT, en France, n’est pas exorbitant : il est inférieur à nos voisins, l’Allemagne par exemple, alors que c’est un des meilleurs dispositifs au niveau européen. 70 % des coûts sont liés à des frais de personnel, c’est incompressible ! En outre, 90 % des ESAT ont des prix de revient très proches. L’Etat cherche à faire des économies là où il n’a pas à en faire.
Quelles sont vos propositions ?
Nous proposons que le déficit des ESAT soit comblé par les nouvelles masses financières générées par le durcissement de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés prévu par la loi de 2005. Ce ne serait pas incohérent dans la mesure où ces structures se situent du côté de l’emploi. C’est pour cela que nous demandons qu’une enquête de l’inspection générale des affaires sociales soit diligentée sur l’utilisation de ces crédits supplémentaires. Nous faisons l’hypothèse que cet argent ne revient pas à l’emploi des personnes handicapées.
PROPOS RECUEILLIS PAR C.S.-D.
A en croire le chiffre avancé par Marie-Anne Montchamp, le 21 mars, lors des rencontres d’Andicat (Association nationale des directeurs et cadres d’établissements et services d’aide par le travail), les sorties vers le milieu ordinaire sont extrêmement rares : elles concerneraient seulement 0,22 % des usagers. Ce qui s’explique par l’alourdissement des difficultés de la population et la dégradation de la situation de l’emploi.
Pour les acteurs du secteur, ce chiffre rend intenable l’idée que les ESAT (établissements et services d’aide par le travail) se réduiraient à une simple étape vers le milieu ordinaire, comme l’a encore affirmé la sécrétaire d’Etat. Alors que la loi du 11 février 2005 précise seulement que ces établissements médico-sociaux doivent permettre aux travailleurs handicapés ayant des capacités suffisantes d’accéder au milieu ordinaire de travail, les pressions toujours plus fortes vers l’insertion en entreprise, certes conformes à la logique d’inclusion sociale dans le cadre de l’Union européenne, interrogent certains acteurs : S’agirait-il d’en finir avec le travail protégé ?
Paradoxalement, le législateur n’a toutefois pas été au bout de la logique d’intégration puisque, s’il a encouragé la formation professionnelle des travailleurs handicapés et les formes de travail « hors les murs » afin de ne pas enfermer les publics dans un statut dérogatoire au droit commun, et donc stigmatisant, il a restreint l’aide à l’emploi liée à la lourdeur du handicap aux seules entreprises embauchant des personnes handicapées moteurs, minoritaires en ESAT. Un non-sens, pour Andicat, qui propose que tout travailleur handicapé sortant d’un ESAT puisse bénéficier de cette aide à l’emploi.
(1) Les 21 et 22 mars dernier, à Paris, sur le thème « Faut-il inventer un nouveau profil d’ESAT ? », à l’initiative de l’Association nationale des directeurs et cadres d’établissements et services d’aide par le travail – Andicat : 1, avenue Marthe – 94500 Champigny-sur-Marne – Tél. 01 48 75 90 63 –
(2) Andicat vient de lancer une étude sur la situation financière des ESAT, qui devrait aboutir d’ici la fin de l’année.
(3) In L’avenir du travail protégé. Les ESAT dans le dispositif d’emploi des personnes handicapées – Ed. EHESP, rééd. 2008.
(4) L’APF, l’Uniopss, la FEHAP, L’Adapt et la Fegapei ont déposé un recours devant le Conseil d’Etat contre l’arrêté du 3 août dernier qui a reconduit les tarifs plafonds 2010 au même niveau que ceux de 2009 – Voir ASH n° 2686 du 10-12-10, p. 10.
(6)
(9) Voir ASH n° 2667 du 9-07-10, p. 11 – Intitulé Appui des services de l’Etat à la modernisation et au développement des établissements et services d’aide par le travail dans leurs missions médico-sociale et économique, ce rapport a été commandé par la DGCS sous l’égide d’un comité de pilotage – Disponible sur
(10) La DGCS a précisé aux ASH que des journées interrégionales seraient organisées sur l’enquête Opus 3 avec les ARS d’ici le mois de juillet avec tous les acteurs. Quatre groupes de travail devraient également être constitués fin juin, pour démarrer leurs travaux en septembre avec l’appui d’un consultant.