Deux semaines après que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé illégale la détention, en Italie, d’un migrant en situation irrégulière qui a refusé de quitter ce pays (1), la chancellerie a diffusé aux cours d’appel et aux parquets une circulaire précisant la « portée » de cette décision. Une démarche qui lui est apparu « utile » compte tenu « des divergences d’interprétations entre diverses cours d’appel » que l’arrêt de la juridiction européenne a produites. De fait, des décisions favorables aux étrangers ont été rendues à Nîmes, Rennes et Toulouse tandis que des décisions contraires étaient prononcées à Marseille et Paris.
Au cœur du problème : la directive européenne 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – dite directive « retour » – qui, selon la CJUE, interdit aux Etats membres de prévoir une réglementation permettant d’emprisonner un étranger de pays tiers en situation irrégulière qui ne se conforme pas à un ordre de quitter le territoire national. Or, en France, l’article L. 624-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) dispose notamment que tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l’exécution d’une mesure d’éloignement encourt une peine de trois ans d’emprisonnement.
En premier lieu, le ministère de la Justice indique que le dispositif répressif existant en vue de pénaliser une méconnaissance d’une mesure d’éloignement « judiciaire » – comme par exemple l’exécution d’une interdiction judiciaire – n’est pas affecté par l’arrêt de la CJUE. Autrement dit, pour la chancellerie, cette décision prohibe seulement les poursuites pénales à l’égard des étrangers qui se sont soustraits à une mesure d’éloignement prise par l’administration.
Par ailleurs, pour la chancellerie, l’arrêt de la CJUE n’empêche pas de recourir à des sanctions pénales et à des peines privatives de liberté lorsque l’infraction au séjour ou la soustraction à une mesure administrative d’éloignement s’est accompagnée d’autres infractions pénales. Tel sera le cas s’il s’agit de sanctionner des comportements de violence envers les personnes dépositaires de l’autorité publique ou de fraudes avérées (remise de faux documents administratifs, par exemple), détachables de l’infraction de séjour irrégulier ou de soustraction à une mesure d’éloignement. Ou bien encore s’il s’agit de punir les comportements visant à faire échec à l’exécution forcée de la mesure d’éloignement par l’autorité administrative après un placement en rétention – un refus d’embarquement, par exemple.
La chancellerie appelle en conséquence les parquets à s’attacher désormais, avant toute poursuite fondée sur l’article L. 624-1 du Ceseda, à caractériser l’existence de ces infractions connexes. « A titre d’illustrations, pourront encore être poursuivis de ce chef le refus de suivre les enquêteurs aux fins d’obtenir un laissez-passer consulaire, l’omission de présenter à l’autorité administrative les documents de voyage permettant l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière, le renseignement inexact sur son identité par l’intéressé faisant obstacle à l’exécution d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, etc. », précise le ministère.
Enfin, selon la circulaire, les dispositions de la directive communautaire ne sont pas non plus susceptibles d’affecter les mesures de garde à vue et les poursuites engagées sur le fondement de l’article L. 621-1 du Ceseda, prévues en cas de séjour irrégulier sur le territoire français (emprisonnement de un an et amende de 3 750 €). Car « c’est seulement une fois qu’une mesure d’éloignement a été prise que la directive fait obstacle au prononcé d’une peine d’emprisonnement et que l’intéressé ne peut être placé qu’en rétention ». La chancellerie demande donc aux parquets d’interjeter appel des décisions de refus de prolongation des mesures de rétention administrative « fondées sur l’inconventionnalité alléguée de l’article L. 621-1 du Ceseda au regard de la directive du 16 décembre 2008 », et de se pourvoir en cassation en cas de rejet de l’appel.
Dans un communiqué du 13 mai, le Syndicat de la magistrature a dénoncé la « mauvaise foi ministérielle » sur cette question des « simples » séjours irréguliers. Pour le syndicat, le ministère fait « une erreur de bon sens » en ne tirant les conséquences de l’arrêt de la CJUE que dans l’hypothèse où la sanction vise le fait de s’être soustrait à une mesure d’éloignement et non dans celle où le séjour irrégulier est constaté avant même qu’une telle mesure ait été prise par l’administration. « La chancellerie […] nous explique en effet qu’on ne pourrait ni emprisonner, ni placer en garde à vue une personne qui s’est soustraite à une mesure d’éloignement, mais qu’on pourrait en revanche le faire sans problème pour une personne à qui aucune mesure de cette nature n’a encore été notifiée. » « En somme : la peine la plus grave pour la situation la moins grave », analyse le syndicat, pour qui « il s’agit, à l’évidence, de mettre “à l’abri” la pratique de la garde à vue comme antichambre des centres de rétention ».
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