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Immigration : la législation française se durcit à nouveau

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Le Parlement a, le 11 mai, donné son ultime feu vert à la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, qui durcit notamment les règles en matière d’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Le texte doit désormais passer l’obstacle du Conseil constitutionnel.

Le droit français des étrangers et de l’asile s’apprête à connaître son cinquième grand bouleversement depuis 2003. Après plusieurs mois de navettes et de débats animés, le parcours législatif du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité s’est en effet achevé le 11 mai avec l’adoption définitive, par l’Assemblée nationale et le Sénat, du texte de compromis élaboré par la commission mixte paritaire. Un parcours qui aura vu députés et sénateurs s’opposer sur de nombreux points, sous l’œil inquiet des associations de défense des droits des étrangers et de lutte contre l’exclusion.

La nouvelle loi repose principalement sur trois fondements. Il s’agissait tout d’abord de tenir compte de certaines des conclusions du séminaire gouvernemental sur l’identité nationale établissant la nécessité de renforcer les politiques d’intégration des étrangers entrant et vivant en France (1). Deuxième « source d’inspiration » : le rapport de la commission « Mazeaud » sur la politique des migrations, qui a avancé, en juillet 2008, plusieurs propositions pour améliorer l’efficacité des procédures d’éloignement des clandestins (2). Enfin, le texte traduit en droit français trois directives européennes : sur la « carte bleue » destinée aux migrants hautement qualifiés, sur les sanctions à l’égard des employeurs d’étrangers en situation irrégulière et, surtout, sur les procédures applicables au retour de ceux-ci dans leur pays – la fameuse « directive retour ». On soulignera également l’incidence du discours très musclé prononcé par Nicolas Sarkozy le 30 juillet 2010 à Grenoble (3), dont plusieurs articles de la loi – introduits par voie d’amendements – sont la traduction législative. Sous la pression de l’opposition et surtout des centristes, l’extension des motifs de déchéance de la nationalité aux Français naturalisés meurtriers d’une personne dépositaire de l’autorité publique aura toutefois été retirée. Tour d’horizon des dispositions les plus controversées, sous réserve de leur validation par le Conseil constitutionnel que les parlementaires socialistes ont saisi le 17 mai.

Renforcer les exigences en matière d’intégration

Souhaitant marquer plus nettement que « l’assimilation » d’un étranger qui sollicite sa naturalisation ne peut se limiter à la seule connaissance de la langue française et des droits et devoirs du citoyen français, le législateur a ajouté à la liste des éléments pris en compte par l’autorité administrative une « connaissance suffisante de l’histoire, de la culture et de la société françaises » ainsi que « l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République ». Il a également prévu que, à l’issue du contrôle de son assimilation, l’intéressé signe une « charte des droits et devoirs du citoyen français », dont le contenu sera approuvé par décret et qui rappellera les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française. Cette même charte sera remise aux personnes ayant acquis la nationalité française au cours de la cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française organisée à leur intention.

Le niveau de connaissance de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises requis ainsi que les modalités de son évaluation devraient par ailleurs être fixés par décret. Il en sera de même s’agissant des conjoints de Français souhaitant acquérir la nationalité française par déclaration.

Autre nouveauté : le délai d’enregistrement des déclarations de nationalité souscrites en raison du mariage avec un conjoint français est porté à deux ans dans le cas où le gouvernement a engagé une procédure d’opposition pour indignité ou défaut d’assimilation.

Enfin, traduisant la volonté du gouvernement de mieux prendre en compte l’intégration de l’étranger dans les décisions relatives à son séjour, la nouvelle loi précise les critères au regard desquels le respect des stipulations du contrat d’accueil et d’intégration (CAI) souscrit par un étranger doit être évalué. Jusqu’à présent, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) indiquait simplement que, lors du premier renouvellement de la carte de séjour, l’autorité administrative devait tenir compte du « non-respect, manifesté par une volonté caractérisée, par l’étranger, des stipulations du CAI ». Afin de manifester plus clairement ce que peut recouvrir ce non-respect, il est dorénavant inscrit dans la loi qu’il s’agit des valeurs fondamentales de la République, de l’assiduité de l’intéressé et du sérieux de sa participation aux formations civiques et linguistiques, à la réalisation de son bilan de compétences professionnelles et, le cas échéant, à la session d’information sur la vie en France.

Faciliter l’éloignement des clandestins

La réforme des procédures et du contentieux de l’éloignement prévue dans la nouvelle loi aura fait couler beaucoup d’encre. Parmi les mesures les plus marquantes : l’allongement de 32 à 45 jours de la durée maximale de rétention administrative – c’est-à-dire après deux prolongations (4) –, afin de laisser plus de temps à l’administration pour organiser les retours contraints. Ou bien encore le passage de deux à cinq jours de la durée de rétention décidée par le préfet – avant l’intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) – à l’égard d’un étranger faisant l’objet d’une mesure d’éloignement. En outre, la saisine du JLD aux fins de prolongation de la rétention n’interviendra désormais qu’au terme d’un délai de cinq jours depuis la décision de placement, contre 48 heures auparavant.

Plusieurs mesures visant à renforcer la sécurité juridique des procédures d’éloignement devraient par ailleurs avoir un impact sur le quotidien des juges judiciaires : augmentation de quatre à six heures du délai imparti au ministère public pour former un appel suspensif contre la décision du JLD refusant la prolongation de la rétention administrative d’un étranger (ou son maintien en zone d’attente), instauration de règles pour éviter que des irrégularités formelles invoquées à l’encontre d’un maintien en zone d’attente ou de la prolongation d’une rétention n’entraîne une main-levée de ces mesures, etc.

Toujours au chapitre de l’éloignement, le texte procède à la transposition de la directive européenne 2008/115/CE du 16 décembre 2008 – dite « directive retour » –, qui fixe des normes et des procédures communes au retour, dans leur pays d’origine ou tout Etat tiers, des ressortissants non communautaires en situation irrégulière sur le territoire de l’Union européenne. Une transposition qui implique une réforme importante des dispositions du Ceseda relatives aux clandestins. Elle entraîne par exemple une refonte du régime de l’assignation à résidence ou bien encore une fusion de l’obligation de quitter le territoire français et de l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Par ailleurs, la décision sanctionnant le séjour irrégulier devrait ouvrir dorénavant un délai de départ volontaire de 30 jours à l’issue duquel l’exécution d’office sera possible. Le législateur a toutefois prévu une série de circonstances dans lesquelles l’étranger sera obligé de quitter le territoire sans délai. Par exemple « s’il existe un risque que l’intéressé se soustraie à l’obligation qui lui est faite » de quitter le territoire. La loi vise, à cet égard, plusieurs situations dans lesquelles ce risque sera regardé comme établi. Autre nouveauté : l’autorité administrative devrait pouvoir assortir sa décision d’éloignement d’une interdiction de retour sur le territoire français d’une durée pouvant aller, selon les cas, de deux à cinq ans.

Sans rapport avec la directive « retour », on notera encore la possibilité accordée aux préfets de créer, « lorsqu’il est manifeste qu’un groupe d’au moins dix étrangers vient d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier, en un même lieu ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres », une zone d’attente temporaire – pour une durée maximale de 26 jours – reliant le ou les lieux de découverte des migrants au point où sont normalement effectués les contrôles.

Signalons également deux mesures visant implicitement les Roms : la première prévoit qu’un ressortissant européen pourra faire l’objet d’une mesure d’éloignement en cas d’« abus d’un court séjour » (moins de trois mois) s’il multiplie des allers-retours « dans le but de se maintenir sur le territoire » ou s’il constitue « une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale » ; la seconde fait des vols, de la « mendicité agressive » ou encore de l’occupation illégale d’un terrain public ou privé des « menaces à l’ordre public » autorisant des reconduites à la frontière.

Dispositions diverses

La question de l’encadrement de la carte de séjour temporaire accordée pour raisons de santé aura été un des points de friction entre députés et sénateurs. Au final, il a été décidé que ce titre de séjour ne sera dorénavant accordé de plein droit à l’étranger gravement malade qu’en cas d’« absence » du traitement approprié dans le pays d’origine, alors qu’auparavant il lui était accordé sous réserve qu’il ne puisse « effectivement bénéficier » d’un traitement approprié dans le pays d’origine. L’autorité administrative pourra toutefois prendre en compte des « circonstances humanitaires exceptionnelles », après avis du directeur général de l’agence régionale de santé. Toujours à propos des étrangers malades, signalons que ceux qui souhaitent bénéficier de l’aide médicale de l’Etat déposeront désormais leur demande auprès d’un « guichet unique » : la caisse primaire d’assurance maladie du lieu de résidence de l’intéressé.

La nouvelle loi modifie par ailleurs, comme prévu, l’article L. 622-4 du Ceseda afin de rendre plus explicite l’immunité pénale des personnes qui apportent une aide humanitaire d’urgence aux clandestins, la disposition faisant désormais référence, pour justifier ce régime d’immunité, non plus seulement à la « sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger » mais plus largement à la « sauvegarde de la personne de l’étranger ».

Parmi les autres mesures du texte, on citera encore la pénalisation des « mariages gris », unions fondées sur une tromperie volontaire…

Nous reviendrons plus en détail sur la nouvelle loi dans un prochain numéro des ASH.

[Loi à paraître]
Notes

(1) Voir ASH n° 2646 du 12-02-10, p. 16.

(2) Voir ASH n° 2567-2568 du 18-07-08, p. 19.

(3) Voir ASH n° 2670 du 20-08-10, p. 5.

(4) Dans le détail, la durée actuelle de 32 jours correspond à un premier placement de deux jours + 15 jours après une première prolongation + 15 jours après une deuxième prolongation. La durée de 45 jours prévue par la loi correspond à un premier placement de cinq jours + 20 jours après une première prolongation + 20 jours après une deuxième prolongation.

Dans les textes

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