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Convivialité africaine

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A Saint-Denis, en région parisienne, l’association Ikambere aide des femmes séropositives, originaires pour la plupart d’Afrique noire, à recouvrer leurs droits et à sortir de leur isolement par le biais d’ateliers d’activités et d’insertion. Mais la récente loi « immigration » risque de chambouler sa tâche…

Séropositives. Toutes les femmes reçues à Ikambere, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) (1), se savent atteintes du VIH. Suivies par un hôpital, sous traitement, elles ont été orientées vers l’association il y a une semaine, un mois ou une année, pour rompre, d’une part, leur isolement et pour accéder, d’autre part, à leurs droits sociaux. Souvent en situation illégale, 90 % d’entre elles sont originaires d’Afrique subsaharienne. « J’ai fondé Ikambere pour toutes les femmes atteintes du VIH et, par la force des choses, peut-être parce que je suis moi-même africaine, l’association a reçu essentiellement des femmes de ce continent – des Camerounaises, des Ivoiriennes, des Maliennes, des Congolaises, observe Bernadette Rwegera, directrice. Mais attention, il n’existe pas de “femme africaine” comme il n’y a pas de “femme française” ! Elles sont toutes différentes, avec leur éducation, leur niveau social, leur culture, leur religion, leurs envies. Nous recevons des nonchalantes, des actives, certaines aimant faire la cuisine, d’autres pas. Et à chacune nous proposons une prise en charge personnalisée. »

Bernadette Rwegera n’imaginait pas l’ampleur que prendrait son projet. En 1997, après avoir rédigé pour son DEA d’anthropologie un mémoire sur « Les femmes et les enfants immigrés vivant en Ile-de-France face au VIH », elle crée, avec deux employés à temps partiel, un « lieu de rencontre » dans un appartement au cœur d’une cité dionysienne. Son seul objectif ? Permettre à des femmes contaminées de se retrouver pour partager leur détresse – « car leurs blessures à l’âme surpassent souvent leurs maux physiques ». Quinze ans plus tard, avec 18 salariés (14 en équivalent temps plein) et une enveloppe budgétaire annuelle approchant les 850 000 € (financement public et privé), Ikambere – qui signifie « maison accueillante » en kinyarwanda, langue nationale du Rwanda – s’est déplacée dans un immeuble d’une zone plus anonyme de la ville. Désormais, l’association compte 428 personnes dans sa file active et propose une multitude d’activités, de l’atelier socio-esthétique à la recherche d’emploi.

Avant de participer à tout atelier, chaque nouvelle arrivante est reçue par l’une des deux assistantes de service social. Diane Caba travaille à l’association depuis dix ans. Auparavant, elle a exercé son métier en Côte d’Ivoire, où elle a notamment mis en place auprès des jeunes un grand projet autour de la prévention du sida. A son arrivée en France, après avoir fait valider son diplôme, elle a travaillé en centre médico-psychologique, puis en permanence d’accès aux soins de santé, sans jamais perdre de vue son idée d’approcher les populations immigrées, « pour les aider à mieux s’intégrer, à mieux s’adapter ». En 2001, ses collègues médecins lui parlent d’Ikambere, alors en plein développement. Une rencontre avec Bernadette Rwegera, et voilà l’énergique assistante sociale embauchée par l’association. Sa journée type ? Une succession d’entretiens visant à évaluer la situation de chaque femme et à mettre sur pied un projet d’accompagnement spécifique selon leurs demandes : soutien moral, problème d’hébergement, aide financière, etc. Diane Caba suit chaque dossier jusqu’à ce que la personne ait acquis son autonomie – « c’est-à-dire qu’elle ait un toit, des papiers en règle et un travail ». Sa consœur Concessa Kamaliza, embauchée à Ikambere en février dernier, reçoit les nouvelles venues, avec ou sans rendez-vous. « Une femme qui arrive à l’improviste sera prise en priorité, car nous pensons que c’est sûrement une personne qui a mis du temps à trouver le courage de franchir le seuil de l’association. Souvent, ces femmes ont des craintes, comme de rencontrer ici des personnes qu’elles connaissent alors qu’elles n’ont pas annoncé à leur entourage leur maladie », explique celle qui fut auparavant assistante de service social au Rwanda.

Une précarité qui s’étend

Ce matin, Concessa Kamaliza accueille une Ivoirienne d’une quarantaine d’années. Arrivée en France en octobre 2010 pour soigner son diabète, elle apprend sa séropositivité deux mois plus tard. Alors que son objectif était un retour au pays, elle sait que ce n’est plus possible : en raison des événements en Côte d’Ivoire, du problème d’accès aux trithérapies, et enfin parce que son mari – le seul à qui elle a parlé de sa maladie par téléphone – refuse désormais tout contact avec elle. Sans revenus, hébergée temporairement chez sa sœur, elle ne mange pas tous les jours. Le tableau est sombre, mais il est assez caractéristique des situations de plus en plus précaires qui se présentent à Ikambere. « Il existe des solutions », assure l’assistante sociale, qui propose à cette femme d’être dirigée vers France terre d’asile pour demander l’asile politique, avant de lui détailler l’ensemble des prestations proposées par Ikambere. Une visite des locaux s’impose. De la salle de sports à la salle informatique, tout est au même étage. Mais la pièce la plus importante de cette maison accueillante est le grand salon, où les femmes peuvent aller et venir tous les jours de la semaine, de 9 heures à 18 heures, pour se retrouver dans une ambiance conviviale, échanger ou se restaurer. L’an dernier, Ikambere y a enregistré 4 347passages…

« Causeries » et diététique

La nouvelle recrue ne se fait pas prier pour rejoindre les dames installées confortablement sur les canapés et pour déjeuner à leurs côtés. Le menu du jour – salade composée, escalope, riz et légumes, yaourt et fruits – a été réalisé par une cuisinière aidée des femmes présentes, et sur les conseils d’une diététicienne. « Un repas chaud et équilibré est primordial pour ces femmes à la santé fragile », affirme Concessa Kamaliza. Au centre de la salle, une table sur laquelle trône un petit panier rempli de préservatifs masculins et féminins. Les sachets colorés attirent l’œil d’un tout jeune garçon, fils d’une des bénéficiaires. Il tente de s’en emparer. « Hé ! Pose ça, ce ne sont pas des bonbons », le sermonne Diane Caba, en riant. Le moment du repas est propice à la sensibilisation de ces migrantes à la prévention. Aujourd’hui, c’est Rose Nguereng, déléguée des femmes de l’association, qui s’occupe de l’animation. « J’ai été orientée à Ikambere il y a quelques mois par une infirmière du centre du Moulin Joli de la Croix-Rouge, à Paris, confie-t-elle. Au Cameroun, j’avais créé une association pour la lutte contre le VIH où nous proposions également ce que j’appelle les “causeries”, ces temps informels où l’on aborde des problèmes médicaux, de diététique ou liés à la maternité… J’ai donc tout de suite été convaincue par cette “maison accueillante”, où je me sens comme en Afrique. Surtout, j’ai reçu ici un soutien extraordinaire de la part de mes pairs et de l’équipe, ce qui m’a donné envie de m’investir bénévolement dans son fonctionnement. »

Ainsi, sans complexe, cette militante commence une démonstration de pose de préservatifs, répondant à toutes les questions et encourageant les débats. « Qui peut me dire pourquoi il est impératif de se protéger ? », lance-t-elle. Passé les premiers rires gênés, les femmesrépondent : « Pour ne pas transmettre les MST. » « Qu’est-ce qu’une MST ? », enchaîne Rose Nguereng. Les langues se délient, les questions fusent, souvent empreintes de croyances propres aux différents pays d’origine. Malgré les informations régulières, les Africaines restent persuadées d’une chose : ce sont les hommes qui transmettent le virus. Et ces femmes – quelques-unes mariées, mais beaucoup concubines d’hommes ayant une épouse au pays – ont du mal à imposer le port d’une protection à ceux qui la refusent. L’animatrice a réponse à tout : « Justement, le préservatif féminin, c’est ce qui permet aux femmes de reprendre le pouvoir car il peut être posé plusieurs heures avant le rapport ! »

Les débats clos, le déjeuner terminé, les bénéficiaires s’entraident pour nettoyer la vaisselle. Très rapidement, le salon se transforme en salle d’activité. Aujourd’hui, place à l’atelier de socio-esthétique, cornaqué par la diététicienne et par une socio-esthéticienne diplômée du Cours d’esthétique à option humanitaire et sociale. Davantage groupe de parole qu’atelier de soins du corps, il est l’un des plus populaires au sein de l’association. C’est l’occasion pour les femmes de parler de leur image et d’exprimer leur mal-être. « Fragiles psychologiquement et physiquement, elles se laissent parfois aller et n’arrivent plus du tout à se projeter dans l’avenir. Tout l’intérêt d’Ikambere est de leur prouver qu’elles vivent encore et qu’elles sont capables de faire plein de choses malgré la maladie, explique Bernadette Rwegera. Beaucoup arrivent la première fois très introverties, se croyant seules au monde. Elles ont peur de tout : du jugement des autres, d’être rejetées, discriminées, expulsées, et elles ont si peu de moyens de défense ! Ici, elles se font des amies avec lesquelles elles partagent le même malheur. Elles cheminent ensemble et s’encouragent mutuellement. » Une participante acquiesce : « C’est l’assistante sociale de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis, qui m’a donné l’adresse d’Ikambere après l’accouchement de mon quatrième enfant. J’étais sans logement, sans papiers, avec beaucoup de difficultés économiques. Aujourd’hui, je m’en suis sortie et je continue à venir pour fraterniser. Ici, j’ai retrouvé des amies du Congo. Certaines ont des difficultés avec leur mari et on s’entraide. »

Se redresser, s’épanouir, se mettre à construire des projets, cela prend du temps et nécessite d’abord l’aide des travailleuses sociales. Dans son bureau, Diane Caba reçoit Myriam F. (2), qui vient solliciter une aide au financement pour des lunettes de vue et souhaite faire le point sur l’avancée de sa demande de titre de séjour. « Je souffre d’une tuberculose oculaire et j’ai besoin de verres spéciaux », déclare-t-elle en présentant timidement à l’assistante sociale un devis. Il faut trouver 538 €, et Diane Caba, qui a fait des recherches de son côté, propose un montage financier : « Ikambere peut débloquer 100 € et l’hôpital prend en charge 300 €. Pour les 138 € manquants, nous allons présenter une demande d’aide financière à Solidarité Sida. » (3) La jeune femme ne semble pas tout à fait soulagée. Elle finit par confier qu’elle dort dans une cave depuis que la famille qui l’hébergeait a appris sa maladie. « Il faut lancer une demande d’hébergement », s’exclame Diane Caba. « C’est avec le temps que les personnes s’ouvrent. Cette femme, obnubilée par ses problèmes de santé, a eu tendance à minimiser ses autres soucis. Mais nous sommes là pour ça », rappelle-t-elle. Et aussi pour la dépanner financièrement : Myriam F. repartira du bureau de l’assistante sociale avec 20 € en liquide et quelques chèques de services. « Cet argent lui servira à acheter de la nourriture et des titres de transport », précise la professionnelle. En 2010, Ikambere a attribué 22 200 € d’aides financières (dont 8 000 € en chèques de services).

De nombreux partenariats

Diane Caba connaît bien son prochain rendez-vous : « C’est une Béninoise que nous soutenons depuis qu’elle a découvert sa pathologie. Nous l’avons conseillée, orientée, et avons réussi à lui obtenir un titre de séjour, un logement social puis un travail. C’est une battante. » Pourtant, aujourd’hui, cette jeune mère, qui maîtrise encore mal le français, vient pour une demande particulière. « Je ne veux plus rester dans cet appartement, trouvez-m’en un autre. J’ai entendu des voix, je sais que le diable est à l’intérieur ! » L’assistante sociale ne se laisse pas démonter. Par expérience, elle sait que ces « voix », que les Africains assimilent à de la sorcellerie, peuvent être l’un des nombreux effets secondaires des traitements médicamenteux. Elle rassure la jeune mère et l’oriente vers la psychiatre de l’hôpital où elle est suivie. Elle la connaît bien car, au fil du temps, Ikambere a su nouer de nombreux partenariats – médicaux et associatifs (Restos du cœur, Sol en si, Dessine-moi un mouton, etc.) – sur lesquels les assistantes sociales s’appuient pour démêler les fils de ce qu’elles appellent « les parcours du combattant » de ces femmes.

Demande d’allocation aux adultes handicapés (AAH), recherche d’hébergement mère-enfant, prospection pour un emploi, accompagnement pour des démarches à la préfecture… Les rendez-vous se succèdent et ne se ressemblent pas. « Ikambere est une maison-ressources. Les femmes que nous recevons doivent y trouver une réponse à tous leurs problèmes à court, moyen et long terme. Nous parvenons presque toujours à leur donner de l’autonomie, mais plus la personne est dynamique, plus les choses vont vite », assure Diane Caba, qui admet : « Parfois, ces femmes ont tendance à se reposer un peu trop sur l’association. Nous devons les aider tout en leur permettant de rester actrices de leur propre vie. » Autre grain de sable dans la mécanique : « Il arrive que quelques jalousies émergent. On entend ici et là “c’est toujours les Maliennes qui obtiennent un logement” ou “les Ivoiriennes sont favorisées”, ce qui est évidemment totalement faux. »

Le problème le plus urgent, et « le plus fréquent » selon la professionnelle, est celui des personnes qui risquent de se retrouver à la rue et dont l’état de santé ne leur permet pas d’être hébergées par le 115. Dans le pire des cas, l’association peut débloquer de l’argent pour payer une nuit d’hôtel. Sinon, quand c’est possible, Diane Caba les oriente vers les appartements-passerelles gérés par Ikambere depuis trois ans. « Il s’agit de deux logements meublés pour deux personnes, situés dans Saint-Denis. L’objectif est qu’elles y restent peu de temps et accèdent à un logement social ou à un appartement de coordination thérapeutique. » Mais pour obtenir un logement stable, « seul moyen de trouver l’équilibre indispensable à leur bon accompagnement et à leur bon suivi médical », il leur faut un revenu. Afin de faire face aux difficultés de ses bénéficiaires régularisées à trouver un emploi – leur état de santé, leur niveau scolaire, leur manque d’expérience professionnelle en France mais surtout leur déficit de confiance en elles jouent en leur défaveur –, Ikambere a créé en 2002 l’association La Main fine, chantier d’insertion par la couture. Dans cette boutique du centre-ville (4), douze femmes en contrat aidé sont salariées pour une période de six mois, renouvelable une fois. « Elles créent des vêtements, des tissus d’ameublement et touchent le SMIC mi-temps. Ce qui ne veut pas dire qu’elles feront de la couture leur métier par la suite, mais cela leur met le pied à l’étrier professionnellementet leur donne une reconnaissance sociale », note Diane Caba. Ikambere prévoit d’ouvrir un dispositif similaire autour de la coiffure.

L’ouverture vers l’extérieur

Lister toutes les autres activités de cette association est sans fin : distribution de colis alimentaires en période hivernale, dons de couches et de lait pour les enfants, cours d’alphabétisation, de broderie, de yoga, coaching… Les projets sont montés en fonction des demandes des femmes. En outre, Ikambere s’ouvre vers l’extérieur, puisque les cinq médiatrices de l’association, dont la principale mission est l’information au sein de 13 services hospitaliers franciliens et l’orientation vers Ikambere des publics concernés, font aussi de la prévention dans les foyers de migrants et interviennent dans les instituts de formation aux soins infirmiers. Quant à l’Infobus Ikambere, il circule trois fois par an en Seine-Saint-Denis pour sensibiliser sur le VIH et distribuer des préservatifs. Enfin, si le lieu a été créé pour les femmes par une femme, les locaux ne sont pas interdits à l’autre sexe : tous les trois mois, des flyers sont distribués dans les hôpitaux pour inviter « des hommes célibataires, sérieux, qui suivent bien leur traitement », à un après-midi dansant autour d’un buffet.

L’édition du 30 avril dernier a insufflé une bouffée d’air frais à l’association, où l’ambiance est quelque peu morose à l’approche du vote de la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, qui risque de perturber son fonctionnement.

CONTEXTE
Sous la menace de la loi

Jusqu’ici, l’action d’Ikambere reposait sur la régularisation de ses usagers grâce la législation qui permettait à un étranger gravement malade de bénéficier d’un titre de séjour temporaire à la condition de ne pouvoir « effectivement » disposer de traitement dans son pays d’origine. « La loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité remet tout en cause », s’inquiète Diane Caba, assistante sociale. En effet, ce texte, que le Parlement devait adopter définitivement le 11 mai, prévoit que l’étranger malade devra désormais prouver l’« absence » de traitement dans son pays d’origine. Diane Caba insiste sur le fait que, même quand ils existent sur place, les traitements sont rarement accessibles ou en nombre suffisant pour les malades, et que les femmes renvoyées dans leur pays d’origine y seront « en danger ». « Mais il y a sûrement des moyens d’action, avance cette éternelle optimiste. Nous pourrons peut-être prouver qu’en Afrique on ne trouve pas les mêmes molécules pour appuyer nos demandes de régularisation. Cela va représenter un gros travail, car il va falloir étudier ce qui existe, pays par pays. »

Bernadette Rwegera, elle aussi, reste placide : « Notre action n’a jamais été facile, nous allons continuer à nous battre comme on l’a toujours fait. »

Notes

(1) Ikambere : 39, boulevard Anatole-France – 93200 Saint-Denis – Tél.01 48 20 82 60 – ikambere@wanadoo.fr – www.ikambere.com.

(2) Certaines identités ont été changées.

(3) Cette demande n’ayant pas abouti, l’assistante sociale s’est tournée vers le Secours catholique, autre partenaire d’Ikambere.

(4) La Main fine : 30, rue de Strasbourg – 93200 Saint-Denis – Tél. 01 48 20 81 46 – www.lamainfine.com.

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