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Pour une conférence de consensus sur la recherche en travail social

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Il faut « y voir plus clair » sur la question des « savoirs professionnels » spécifiques au secteur social et sur la possibilité de constituer une « science du social », estiment Marcel Jaeger, titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale au CNAM, et Frederik Mispelblom Beyer, professeur de sociologie à l’université Paris Sud-Evry et chercheur au Centre de recherche sur la formation du CNAM.

« Le secteur social, aujourd’hui durement touché par de multiples réformes, restrictions budgétaires et nouvelles exigences en termes d’évaluation et qualité, réclame et défend depuis longtemps l’existence de “savoirs d’intervention spécifiques”, irréductibles aux connaissances existantes des disciplines constituées. Ces savoirs s’affirment dans des colloques et des congrès, des mémoires et des rapports de stage d’étudiants en fin de formation, quelques thèses, et des recherches comme celles impulsées par les pôles ressources régionaux dont l’intitulé exact juxtapose les termes “recherche”, “travail social”, “intervention sociale”, “action sociale”, “formations”. La circulaire du 6 mars 2008 qui les a rendus possibles (1) marque enfin la reconnaissance officielle de la recherche-action : de son existence depuis longtemps et de l’intérêt de son principe. Elle indique que, “dans le secteur, il existe déjà, sous diverses modalités et à des degrés divers (citons les formations supérieures, les professionnels ou les formateurs engagés dans des formations doctorales, les activités d’étude ou de recherche développées par les établissements de formation, les liens forts de ces derniers avec le monde professionnel pour la mise en œuvre de l’alternance, les pratiques de recherche-action) un lien entre formation, action et recherche”. Ces savoirs, qui peuvent prétendre à la création de “sciences” propres au secteur social, peuvent revendiquer une proximité avec les exemples d’autres secteurs dans lesquels des “savoirs professionnels spécifiques” ont été transformés en sciences aujourd’hui dûment reconnues comme telles, donnant lieu à l’existence d’une section particulière dans les classements ministériels. Ainsi en est-il depuis longtemps des sciences de l’éducation, proches de tout le secteur éducatif, enseignées dans les instituts de formation en travail social. Bien que plus éloignées du secteur social, on peut citer aussi les sciences de gestion ou les sciences et techniques d’activités physiques et sportives. Le point commun entre ces différentes sciences, constituées en disciplines reconnues au niveau de l’université et du CNRS, est d’avoir été construites à partir des apports de plusieurs autres sciences (psychologie, sociologie, économie) et techniques (outils de gestion), appliqués ensemble à un secteur d’activités spécifique. Plus proches du secteur social sont les “sciences infirmières” ou “sciences en soins infirmiers”. Portées en France par une association, elles sont, en Suisse ou au Québec, reconnues comme sciences à part entière, qui s’enseignent, donnent lieu à diplômes, et dans le cadre desquelles sont produites des thèses et des recherches. Et cela, très souvent dans des départements d’universités. Une situation comparable se présente depuis des années au Québec pour les formations en travail social : d’une durée de quatre ans, elles sont enseignées à l’université, où il est possible de faire des thèses et des recherches en “travail social”.

Des « mariages réussis »

En France, la situation des “savoirs professionnels spécifiques” au secteur social est assez différente. Ces savoirs sont dans un rapport d’attraction-répulsion avec les disciplines académiques constituées.

Attraction comme dans le cas des différentes approches “psy” – psychologie, psychanalyse, puis psychologie comportementale –, qui ont connu chacune leur heure de gloire et leur “mode” dans le secteur. Répulsion, non pas par rapport aux disciplines constituées, mais de par les formes académiques, jugées trop “théoriques”, dans lesquelles elles sont souvent dispensées. Dans la conjoncture actuelle, cette affirmation de la nécessité de disposer de “savoirs pratiques”, de “savoirs d’action” et de savoirs “propres au secteur” se fait d’autant plus insistante que différents secteurs voisins, comme l’enseignement ou la santé, subissent des pressions fortes allant vers l’“universitarisation” de leurs formations. Il existe pourtant des exemples historiques de “mariage réussi” entre des disciplines constituées, l’université et le secteur social. Le plus ancien réside dans les apports de la sociologie naissante à la rupture entre charité et travail social, au début du XXe siècle, quand Emile Durkheim donnait des conférences aux futures assistantes sociales sur la “solidarité sociale”. Dans les années 1950, la méthodologie d’intervention du case-work constitue lui aussi un exemple significatif réussi où une combinaison de psychologie, de sociologie et de psychologie sociale donne lieu à la création d’un ensemble de méthodes et de techniques d’intervention, avec des dispositifs de formation spécifiques qui ont fortement contribué à “professionnaliser” le service social de l’époque. La question des rapports entre disciplines constituées et de l’émergence potentielle de “sciences du social” qui seraient le pendant dans le secteur social des sciences de l’éducation dans le secteur de l’enseignement, de l’éducation et de la formation, comporte donc deux aspects : celui des rapports avec les sciences existantes et celui des rapports avec l’université. On notera également que l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, à l’occasion de l’évaluation de l’école doctorale du CNAM, a incité au développement de “doctorats professionnels”. Elle entend valoriser ainsi des “rassemblements inédits de disciplines de recherche et d’enseignement correspondant souvent à des champs de pratiques professionnelles ou ayant pour objet les pratiques professionnelles” (juillet 2010). Ce message mérite d’être repris pour avancer vers la reconnaissance d’un doctorat de travail social en France. Ce sont ces questions que nous souhaitons aborder dans une conjoncture politique qui se caractérise notamment par l’apparition du projet de création de hautes écoles professionnelles en travail social. Elles pourraient l’être à partir des sous-thèmes suivants :

 le rôle respectif des apports des sciences sociales et humaines enseignées dans les formations professionnelles d’une part, l’apprentissage en situation et par l’expérience de l’autre ;

 les différents types de dispositifs de formation dans le secteur social (formation dans des instituts, des écoles, des universités, mais aussi formation par les stages, les tuteurs, les “initiateurs”), avec une comparaison européenne et mondiale ;

 l’exemple d’autres secteurs d’activité comme celui de la santé, avec les exemples étrangers des “sciences infirmières”, ou l’exemple du Québec avec ses doctorats en travail social ;

 la notion même de “savoirs professionnels propres”, les rapports entre théories et pratiques, les notions de “savoirs d’action” (qui existent dans bien d’autres secteurs) et celle de “théorisations profanes” (théorisation par les “professionnels réflexifs” de leurs propres pratiques) ;

 l’“état de la recherche” dans le secteur social, en privilégiant les recherches faites par les travailleurs sociaux ou cadres du social eux-mêmes.

Bref, il importe d’“y voir plus clair” sur cette question des “savoirs professionnels” et sur la possibilité de constituer un jour “une science du social” ou “les sciences du social”. D’où l’intérêt d’envisager, en 2012, une conférence de consensus sur la recherche sociale et la recherche en travail social. »

Contact : marcel.jaeger@cnam.fr et mispelblom@wanadoo.fr
Notes

(1) Voir ASH n° 2550 du 21-03-08, p. 15.

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