L’OCDE a récemment souligné les résultats positifs de la politique familiale française. Pourquoi vouloir repenser cette politique ?
La politique familiale française a beau être de qualité, elle n’en reste pas moins en questionnement. D’abord, parce qu’elle coûte cher et que, par les temps qui courent, toutes les dépenses publiques doivent être justifiées. Ensuite, parce que l’articulation entre politiques familiales et sociales n’esttoujours pas très claire. Face à certaines situations de grande pauvreté, ne faudrait-il pas davantage cibler les familles les plus en difficulté, en particulier les familles monoparentales ? C’est autour de cette tension que se justifie la nécessité de repenser l’architecture de la politique familiale. A cela s’ajoute le fait que cette politique a beaucoup évolué. Certaines allocations ont été créées, d’autres supprimées… Il n’est pas inutile de faire le point.
Le caractère universel de certaines prestations, telles les allocations familiales, est régulièrement remis en question. Pour quelles raisons ?
Selon les catégories socioprofessionnelles, les aides n’empruntent pas les mêmes canaux. Pour certaines familles, les allocations familiales représentent une part importante de leur revenu. Pour d’autres, ces allocations pèsent peu dans leur budget. En revanche, elles bénéficient du quotient familial qui leur permet de diminuer leur niveau d’imposition directe. Mais, par définition, ce quotient plafonné pour les très hauts revenus ne bénéficie qu’aux familles imposables. Quand on voit ce que cela représente pour le budget de l’Etat, on est en droit de se poser des questions. Néanmoins, le Haut Conseil ne conclut absolument pas à la nécessité de mettre fin au quotient familial ou à l’universalité des allocations familiales. Il existe déjà une certaine tension dans la société autour de la question de l’assistance. Or, jusqu’à présent, les allocations familiales ont eu cette vertu de réunir toute la population. Si l’on décide que certaines familles n’auront plus droit aux allocations familiales, cela risque d’être un ferment de discorde supplémentaire.
Les modalités de l’indexation du montant des prestations familiales sont très discutées…
L’indexation peut prendre comme référence les prix ou les salaires. Normalement, sur une période longue, les salaires évoluent plus vite que les prix. Ce qui permet une amélioration du pouvoir d’achat. Les prestations familiales étant indexées sur les prix, elles décrochent inéluctablement par rapport aux salaires. C’est grâce à ce décrochement que la branche famille a longtemps bénéficié d’un excédent qui a permis la création de nouvelles allocations – par exemple la prestation d’accueil du jeune enfant en 2004. Le Haut Conseil préconise donc que l’on modifie le mode d’indexation de certaines prestations afin de leur garder leur pouvoir d’achat réel, en particulier celles qui visent les familles modestes, moyennes ou nombreuses, telles que l’allocation de rentrée scolaire, l’allocation de soutien familial ou encore les aides au logement. Il y a toutefois un bémol. Avec la crise, l’excédent de la branche famille a quasiment disparu, mais en période de croissance on pourrait imaginer qu’il se reconstitue.
De même, l’accueil des jeunes enfants devrait être l’un des axes forts de la politique familiale…
Cette question mérite un vigoureux rappel. On sait que la qualité de l’accueil des jeunes enfants est la condition indispensable, avant toutes les autres, au maintien d’un taux d’activité des femmes satisfaisant pour elles-mêmes et la société. Si la France a réussi à maintenir le nombre de ses naissances à un niveau honorable, c’est d’abord grâce à son système d’accueil des jeunes enfants. Mais ce système est fragile et l’on observe actuellement une régression considérable de l’accueil des enfants de 2 ans à l’école maternelle. Des centaines de milliers d’entre eux ne sont plus accueillis, en raison d’une politique scolaire conduite pour des raisons à la fois pédagogiques et financières. Les parents sont donc contraints de chercher d’autres formes d’accueil. La difficulté est que si les crèches sont plébiscitées par les familles, elles coûtent très cher aux collectivités et aux entreprises, qui rechignent à en créer de nouvelles, malgré le soutien de la CNAF. On bute là sur des problèmes compliqués car il faut trouver des financements mais aussi, et surtout, des professionnels pour s’occuper des enfants. Au sein du Haut Conseil, nous avons débattu sur l’opportunité d’obliger les collectivités territoriales à lancer des programmes de création de places de crèches ou de regroupements d’assistantes maternelles. Mais l’expérience du logement social, avec les lois sur la solidarité et le renouvellement urbains et sur le droit au logement opposable, montre que la contrainte n’est pas nécessairement productive.
Le renforcement du soutien à la fonction parentale est une autre des préconisations du Haut Conseil. Pourquoi ?
Tout d’abord, il n’est pas indifférent de savoir qui intervient dans ce domaine. Si le soutien à la parentalité relève des services sociaux ou d’éducation spécialisée, cela prend une connotation dérogatoire. Il faut au contraire que les parents aient accès à des ressources de la manière la plus normale possible, par le droit commun. A l’heure actuelle, les réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents fonctionnent avec la volonté de n’être pas une émanation des pouvoirs publics mais des lieux que les parents font vivre. Toute la difficulté consiste à éviter que les initiatives associatives se trouvent fragilisées. Malheureusement, au gré des politiques et des avatars des finances publiques, des subventions sont supprimées, des associations se retrouvent sans moyens et des initiatives qui fonctionnaient sont stoppées net. C’est désastreux pour les familles. Bien sûr, on pourrait décider de sanctuariser des financements dans le cadre de la politique familiale. Mais sur ces sujets on fonctionne beaucoup par conventions multipartites entre l’Etat, les collectivités, les CAF et d’autres partenaires. Comment sanctuariser des financements dépendant de partenaires multiples et d’aléas conjoncturels ?
Le soutien aux jeunes adultes va-t-il devenir, dans les années à venir, un nouvel axe d’intervention des politiques familiales ?
Là aussi, nous avons voulu faire passer un message fort. Notre société est aujourd’hui terriblement indifférente aux difficultés des jeunes adultes. A partir de 25 ans, ils ont accès au RSA, mais avant on ne veut pas savoir ce qui se passe, en dehors du cas des mères célibataires. Ne parlons pas du RSA jeune, dont les conditions d’attribution sont tellement restrictives que presque personne ne peut les remplir. On laisse donc les jeunes se débrouiller avec des bourses universitaires qui ont, certes, été revalorisées mais restent insuffisantes pour vivre. Au bout du compte, l’aide aux jeunes adultes continue à transiter par leurs familles – dont la plupart, c’est vrai, les soutiennent. Le problème est que ceux dont les familles n’ont pas les moyens de les aider ou qui sont en situation de rupture familiale vivent des situations de pauvreté insoupçonnées et considérables. Mais lorsque l’on parle d’autonomie financière des jeunes, les associations familiales réagissent, car elles craignent que l’on mette en péril le lien familial. Pour les responsables politiques, c’est une justification puissante pour ne rien faire.
Le financement actuel de la politique familiale représente déjà entre 4 et 6 % du PIB. Peut-on améliorer l’utilisation des ressources existantes ?
Le Haut Conseil a essayé de tracer des priorités, non sans peine. Certaines dépenses pèsent très lourd et devraient sans doute être allégées. C’est le cas des allocations de logement, qui représentent des milliards d’euros sans que, pour autant, les gens soient forcément mieux logés. Bien sûr, il faut continuer d’aider les gens à se loger, mais cela empêche d’investir dans d’autres domaines. De même, il serait symboliquement intéressant de créer une allocation familiale au premier enfant, mais ce n’est pas possible car la dépense serait énorme. Je pense néanmoins que la France ne souhaite pas abandonner le principe d’une politique familiale ouverte à tous. Dans le même temps, il est évident que l’on va continuer à soutenir par priorité les familles les plus en difficulté, particulièrement en facilitant au maximum la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Car le but de la politique adressée aux familles les plus fragiles est de les aider à sortir de leurs difficultés par l’insertion professionnelle. En résumé, je ne pense pas que l’on aille vers un « grand soir » de la politique familiale. La France me semble assez en phase avec cette politique. Il y a peut-être des changements à opérer, mais pas de profondes remises en cause.
Professeure de droit privé, Françoise Dekeuwer-Défossez enseigne à l’Institut catholique de Lille. Membre du Haut Conseil de la famille, elle a participé à ses récents travaux sur la refonte de l’architecture de la politique familiale. Auteure de nombreux ouvrages sur le droit de la famille, elle avait remis en 1999 à Elisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, un rapport intitulé « Rénover le droit de la famille : propositions pour un droit adapté aux réalités et aux aspirations de notre temps ».