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PJJ : « Prendre appui sur les divers réseaux de sociabilité des jeunes »

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Comment aider les adolescents en grande difficulté à entrer dans l’âge adulte du bon pied ? Revenant sur l’itinéraire de jeunes qui ont trouvé leur place dans la société après avoir traversé des zones de turbulences, cinq équipes socio-éducatives se sont attachées à identifier les supports dont les intéressés avaient pu bénéficier dans leurs réseaux de sociabilité. Entretien avec la sociologue Catherine Delcroix, codirectrice du Centre d’études et de recherches sur l’intervention sociale de l’université de Strasbourg, qui a piloté cette recherche-action.

Dans l’ouvrage Education(s) et réseaux de sociabilité. Parcours de jeunes en difficulté, publié sous votre direction (1), vous rendez compte d’une recherche-action menée avec des équipes de la protection judiciaire de la jeunesse concernant une vingtaine d’adolescents avec lesquels celles-ci ont travaillé. Quel était le but de cette recherche ?

Il s’agit d’une demande du Centre national de formation et d’études de la protection judiciaire de la jeunesse (CNFE-PJJ) et plus particulièrement d’Elisabeth Callu, qui y était alors chargée d’études (2). A rebours de l’hypothèse très répandue selon laquelle les jeunes en difficulté pendant l’adolescence seraient complètement ­isolés, ou mal entourés, cet institut souhaitait que des professionnels de la PJJ puissent réfléchir à la notion de « réseaux sociaux » de ces adolescents. L’idée était de voir si, au-delà – et en soutien – des parents, il y avait, dans l’entourage des intéressés, d’autres adultes et/ou des jeunes à même d’assurer auprès d’eux une forme de « co-éducation ». Pour ma part, j’avais déjà effectué différentes recherches-actions avec des travailleurs sociaux sur les risques de passage à la pré-délinquance et sur les stratégies de prévention (voir encadré, page 34).

Avec qui avez-vous réalisé ce travail ?

Avec cinq équipes éducatives, situées à Toulouse (Haute-Garonne) ou dans ses environs, qui ont été coordonnées localement par Anne Joubert, directrice du pôle territorial de formation du CNFE-PJJ en Midi-Pyrénées (voir encadré ci-dessous). Plusieurs personnes ressources intervenant à des titres divers dans le champ socio-éducatif – comme des responsables scolaires ou associatifs – ont participé à certaines phases de l’enquête. Enfin, deux jeunes adultes, une juriste et un animateur d’insertion, ayant été en relation avec la PJJ par le passé (à titre personnel ou pour un proche), ont été associés à l’intégralité de la recherche. Celle-ci a nécessité de nombreuses réunions : à partir de 2005 et durant trois ans, nous nous sommes rencontrés une journée par mois. La rédaction du livre, ensuite, a également constitué un gros chantier auquel les cinq groupes de travail ont participé.

Il s’agissait de groupes thématiques ?

Tout à fait. Notre objectif étant d’explorer les réseaux de sociabilité des mineurs, nous avons pris en compte différentes dimensions importantes de leur environnement : leur environnement familial, bien sûr, mais aussi leurs réseaux de pairs, ceux qui étaient liés à leur scolarité ou à leur insertion, ainsi que leurs relations à caractère religieux. Chaque groupe s’est chargé d’explorer l’un de ces milieux de vie à travers l’étude de deux ou trois cas.

Comment ces exemples ont-ils été choisis ?

Nous voulions reconstituer les parcours « réussis » de jeunes adultes qui ont trouvé leur place dans la société après avoir été accompagnés par la PJJ à l’adolescence, dans le cadre d’une mesure civile (assistance éducative) ou pénale (prévention de la délinquance). Selon le thème étudié, les services se sont tournés vers l’une des personnes ressources déjà évoquées, appartenant au cercle de leurs partenaires de travail. Ces dernières ont guidé les équipes dans le repérage des familles à rencontrer. Dans chaque cas, les professionnels ont eu de nombreux entretiens : d’une part avec la famille (parents, fratrie) des jeunes concernés, ainsi qu’avec les intéressés et avec des membres de leurs réseaux de sociabilité (amical, scolaire, professionnel) ; d’autre part, quand cela a été possible, avec les acteurs dont ces récits de vie avaient mis en relief le rôle significatif auprès des anciens usagers. Au total, 20 trajectoires ont été approfondies – très majoritairement des parcours de garçons, principaux usagers des services de la PJJ. Il s’agit d’itinéraires et de configurations familiales variés, qui sont évidemment singuliers. Néanmoins, nous avons cherché à privilégier, autant que possible, les situations qui avaient une certaine proximité avec celles d’autres adolescents actuellement pris en charge par les équipes participant à la recherche-action.

Les professionnels s’y sont-ils beaucoup investis ?

Ils ont fait preuve d’une mobilisation que vous n’imaginez même pas ! Et qui n’est pas terminée, car aujourd’hui les équipes vont dans toute la France présenter notre ou­vrage. Une grande angoisse des travailleurs sociaux, c’est le rapport au temps : compte tenu de la durée réduite de leur intervention, les professionnels se demandent si celle-ci a une quelconque efficacité sur le processus de sociali­sation des adolescents. Aussi étaient-ils particulièrement mobilisés par l’idée d’identifier, dans l’entourage des jeunes, des personnes susceptibles d’être associées, d’une manière ou d’une autre, à leur action et de la relayer dans le temps. Qu’il s’agisse d’avoir un conseil, une information ou un coup de pouce, par exemple dans la recherche d’un logement ou d’un emploi, la qualité de son réseau social constitue, pour tout un chacun, un atout déterminant. C’est vrai aussi pour les jeunes sortant de mesures de protection.

Les éducateurs sont-ils trop focalisés sur les parents ?

Pas toujours. Parfois, ils refusent les pa­rents, ils partent de l’idée que les parents sont défaillants ou que personne ne peut être utile. Quand je travaille, comme ici, avec des professionnels, c’est eux qui mettent la casquette de chercheur et on se lance sur leurs hypothèses. Dans une recherche-action, le gage de la réussite, c’est le basculement d’hypothèses. Ici – comme cela est déjà arrivé pour d’autres travaux que j’ai réalisés –, on a assisté à un basculement relatif à la figure des pères. Leur rôle a été nettement réévalué par l’analyse des places des différents membres de l’entourage des jeunes. Un autre présupposé central a été revisité, celui de l’échec scolaire des mineurs pris en charge par la PJJ. Aiguillés par un conseiller principal d’éducation, les professionnels ont été conduits à réviser leur appréhension de la notion de réussite. Réussir a été redéfini comme le fait de partir d’un point x pour arriver à un point y. Par exemple, pour un primo-arrivant, être scolarisé en SEGPA (section d’enseignement général et professionnel adapté) ne signifie pas que ce collégien est en échec, mais qu’un projet a pu être mis en place pour lui.

Dans les itinéraires retracés, avez-vous aussi constaté des moments de bascule ?

Oui, et nous avons été amenés à beaucoup réfléchir au concept de « points tournants », c’est-à-dire aux événements marquants vécus par les jeunes et leurs familles, dont les conséquences influent durablement sur la suite des parcours. Il peut s’agir d’événements de l’histoire collective, comme la mort d’un adolescent dans le quartier du Mirail, à Toulouse, qui condui­ra trois jeunes à créer une association pour demander justice. Ou bien d’événements de portée plus individuelle, tels qu’une arrestation et une incarcération vécues comme arbitraires, qui ont engendré une conduite délinquante en réaction. Ce sont des moments charnières où il peut être important de mobiliser le réseau personnel du jeune et/ou les réseaux professionnels qui l’entourent pour accompagner un changement dans sa vie. A cet égard, deux éléments sont ressortis avec force de plusieurs biographies : le très grand sentiment d’injustice éprouvé par de nombreux adolescents et le fait que celui-ci peut avoir un débouché légal – comme un dépôt de plainte en cas de discrimination – plutôt qu’une issue violente. Cette dualité dans le potentiel de chaque jeune a été beaucoup interrogée par les participants à la recherche. Différents exemples montrent, en effet, que des possibilités d’action existent, mais qu’elles sont fragiles.

Quels sont les enseignements essentiels de ce travail ?

Le résultat principal est la confirmation de l’importance des divers réseaux de sociabilité des jeunes : la place tenue par les parents, mais aussi l’importance que peuvent avoir pour l’adolescent tel ou tel membre de sa famille (une sœur, une tante) et/ou d’autres acteurs, parfois inconnus des professionnels du social. Un imam et un prêtre, qui ne se si­tuaient pas du tout dans une perspective prosélyte, sont ainsi apparus comme ayant joué un grand rôle dans la vie de deux adolescents, alors même que ce fait n’avait pas été perçu pendant l’exercice de la mesure judicaire. Peut-être en raison de la crainte qu’ont les travailleurs sociaux par rapport au religieux. Parmi les pairs des jeunes dont on a étudié le parcours, nous avons également repéré des potentialités, des énergies, sur lesquelles il aurait été possible de s’appuyer. Dans leurs entretiens avec les chercheurs, certains jeunes adultes, auparavant suivis par la PJJ, ont d’ailleurs regretté qu’il n’ait pas été tenu compte, à l’époque, des ressources offertes par leurs groupes d’appartenance.

En dépit du nombre réduit de trajectoires que vous avez retracées, y a-t-il certaines « leçons » généralisables ?

Le postulat de ce type de recherche est que, à partir de quelques études de cas approfondies de jeunes et de leurs réseaux, on arrive à mettre au jour des « mécanismes » générateurs de processus récurrents au sein du milieu social étudié. Et, effectivement, le travail biographique qualitatif, fondé sur de très nombreux entretiens, fait apparaître des configurations d’acteurs et de situations, des dynamiques et des transformations à l’intérieur de ces dynamiques. Des propositions de pratiques professionnelles, nourries des résultats de ces analyses, ont d’ailleurs été construites au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête.

En termes de bonnes pratiques, quelles préconisations peut-on transmettre ?

Cette recherche ouvre l’esprit sur la possibilité de… mais elle ne livre pas de réponses clés en main. Il s’agit de pistes vers lesquelles les services peuvent aller. Au premier rang de celles-ci, l’attitude réflexive autour des biographies et des histoires des familles – supposant, évidemment, que les services disposent de temps de réflexion.

Pour reconstituer les réseaux, nous avons aussi développé des outils méthodologiques reproductibles, comme des guides thématiques d’entretien. Ces derniers pourraient être utilisés dans le contexte d’une mesure en cours afin de mieux comprendre la dynamique relationnelle dans laquelle évolue un jeune et de s’appuyer sur elle pour essayer de construire des processus de co-éducation. Certains participants à la recherche n’ont pas attendu que celle-ci soit terminée pour concrétiser cette idée dans leur travail quotidien et ils en ont constaté les effets positifs.

Il apparaît également précieux de coopérer avec d’anciens usagers de la PJJ. Ils peuvent apporter beaucoup aux éducateurs, notamment pour leur éviter certaines erreurs d’interprétation et, symétriquement, ils sont également à même d’expliquer aux mineurs suivis et à leurs familles le sens des mesures judiciaires. Elargir le regard et penser qu’outre les parents il est possible de nouer des collaborations susceptibles d’aider les adolescents en difficulté à se construire un sentiment positif d’appartenance à la société, tel est le message pragmatique de cette recherche-action. N’est-ce pas là aussi le but de l’éducation ?

CINQ ÉQUIPES IMPLIQUÉES

Quatre services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de Haute-Garonne et une association spécialisée dans l’insertion des jeunes, qui travaille en lien étroit avec eux, se sont investis dans la recherche-action pilotée par Catherine Delcroix. Chaque équipe était représentée par deux professionnels, toujours les mêmes : principalement des éducateurs, mais aussi une psychologue, une infirmière, une assistante de service social et un responsable associatif. Chacun des cinq groupes de travail a choisi, avec son service, d’étudier un type particulier de réseau de sociabilité. L’unité éducative en milieu ouvert (UEMO) de Saint-Gaudens a opté pour les réseaux familiaux et de voisinage, l’UEMO Méditerranée, située à Toulouse, a décrypté les réseaux de pairs, l’association Voir et comprendre (Toulouse) s’est chargée des réseaux d’insertion, le foyer d’action éducative Mercadier (Toulouse) s’est interrogé sur les réseaux à caractère religieux et l’UEMO Lespinet (Toulouse) s’est confrontée aux réseaux construits autour de la scolarité.

LES RESSOURCES DES FAMILLES

« Face aux mineurs dont les comportements déviants interrogent et dérangent, la stigmatisation des parents “démissionnaires” est encore souvent un réflexe, alors qu’aucun travail de recherche sérieux n’a mis en évidence cet hypothétique abandon de responsabilité », affirment Elisabeth Callu et Anne Joubert, coordinatrices de la recherche-action du CNFE-PJJ sur les réseaux de sociabilité des mineurs en difficulté.

Bien plus : différentes études concourent à démentir cet a priori. Depuis plusieurs années (3), la sociologue Catherine Delcroix montre ainsi que, « comme la très grande majorité des parents, ceux qui vivent en situation précaire dans des quartiers dégradés s’évertuent au contraire à éduquer leurs enfants du mieux qu’ils peuvent, à préparer leur avenir, à faire face aux problèmes multiples rencontrés dans un contexte souvent peu favorable », soulignent Elisabeth Callu et Anne Joubert. Mais, en dépit des ressources de ces familles, leurs stratégies peuvent achopper sur des problèmes de relations avec les institutions (école, police, justice). A cet égard, selon Catherine Delcroix, l’entrée des préadolescents au collège constitue un moment clé : le jugement de l’école sur les enfants (et parfois sur les parents) joue un rôle fondamental pour les familles des quartiers de relégation. D’autres chercheurs, comme le sociologue Paul Durning (4), ont d’ailleurs mis en évidence « le fort sentiment de disqualification ressenti par certains parents dans leurs rapports avec les coéducateurs que sont les professionnels de l’éducation ou du travail social », précisent Elisabeth Callu et Anne Joubert.

Notes

(1) Editions Petra, 23 €.

(2) Elisabeth Callu est aujourd’hui chef de projet à l’IRTS de Montrouge/Neuilly-sur-Marne et chargée de mission au pôle ressource du groupement régional de coopération de recherche en action sociale et médico-sociale d’Ile-de-France (GRIF).

(3) Cf. notamment Une nouvelle approche de la prévention de la délinquance des jeunes Maghrébins : le rôle social du père, sous la direction de C.Delcroix, étude menée par l’association de prévention de Nantes Nord, Agence pour le développement des relations interculturelles, 1995 ; Ombres et lumières de la famille Nour. Comment certains résistent face à la précarité, de C. Delcroix – Petite Bibliothèque Payot, 2005.

(4) Cf. « Le partage de l’action éducative entre parents et professionnels », in Instruments et méthodes – CNFE-PJJ, 1999.

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