Ils ont une tête ovale surmontée de petites oreilles rondes ; les hommes portent tous une moustache, les femmes un nœud dans les cheveux… ou un voile. Les personnages que Jérôme Ruillier dessine dans un style enfantin sont inspirés du livre-enquête de Yamina Benguigui Mémoires d’immigrés. L’héritage maghrébin, paru en 1997, et des documentaires vidéo qui l’ont suivi. Sur 300 pages de traits noirs, l’auteur nous propose sa version des situations évoquées dans le livre. Pourquoi s’est-il embarqué dans ce projet ? Il a un enfant handicapé, et de nombreuses situations auxquelles ont été confrontés les immigrés à leur arrivée en France lui rappellent ce que sa fille subit au quotidien : les difficultés d’intégration, l’humiliation, l’intolérance, l’incompréhension, les difficultés de communication, mais aussi les petits et grands bonheurs. En trois volets, comme dans l’œuvre originale, l’auteur nous fait redécouvrir l’histoire de l’immigration maghrébine à travers des récits multiples. D’abord ceux des « pères », ces hommes venus en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale pour reconstruire le pays et relancer l’économie. Beaucoup ont suivi les recruteurs, pensant avoir trouvé l’Eldorado. Khémais, Abdel, Ahmed ont été envoyés à la chaîne ou dans la mine et surnommés, « forcément », Mohamed – « hein, c’est pareil ! » Suivent les récits des « mères », arrivées enfants avec leurs parents ou qui ont rejoint leur mari installé dans l’Hexagone. Leur témoignage d’apprentissage de la vie loin du bled se lit avec une grande empathie. Le dernier volet dresse le portrait des « enfants », souvent responsables des tâches administratives à la place de leurs parents analphabètes.
Quinze ans après le recueil de leurs récits, ce nouveau regard sur l’histoire de ces hommes et de ces femmes trouve donc une nouvelle forme, plus pédagogique sans doute, et une nouvelle portée, appuyée par les commentaires et les interrogations de Jérôme Ruillier.
Les Mohamed. D’après le livre « Mémoires d’immigrés » de Yamina Benguigui – Jérôme Ruillier – Ed.Sarbacane/Amnesty International – 25 €