Mille cent logements divisés en quatre cités, chacune avec des noms de poètes que leurs habitants ne liront jamais – « une réalisation spectaculaire conçue dans un esprit futuriste, qu’ils disaient… » Gilles Rochier y a grandi dans les années 1970, à 15 kilomètres de la gare qui, bien plus tard, le mènera dans la capitale, où il deviendra auteur de BD. A l’époque, avec tous ses copains, « les enfants des cités » – « à la base on n’est pas des méchants, ni des dangereux… tout juste des branleurs et des fumistes » –, il joue au foot, fait quelques bêtises, se bagarre et relève des défis idiots. Ils vivaient « heureux, pas riches, pas beaux mais heureux ». Surtout, ils n’avaient peur de rien. Sauf de croiser la mère d’un copain – ou même la leur – chaque fin de mois, à l’arrêt du bus. « “Ta mère la pute”, faut pas croire, c’est pas sorti de nulle part comme expression… » Un secret lourd et encombrant, mais surtout fragile. Les enfants ferment les yeux, jusqu’au jour où tout bascule, pour une bête histoire de cassette audio.
Cette bande dessinée autobiographique en bichromie, entre gris déprimant et marron boueux, narre une histoire poignante, loin des clichés sur la banlieue. Chaque case, intense, remplie de traits simples et sans recherche esthétique, raconte avec fluidité ce qui mènera au drame. On sent que Gilles Rochier aime sa banlieue autant qu’il la déteste. En épilogue, il retourne, l’estomac serré, sur les lieux qui ont marqué sa jeunesse. A Montmorency, une banlieue qu’il ne reconnaît plus.
TMLP – Gilles Rochier – Ed. 6 pieds sous terre, coll. « Monotrème » – 16 €