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Gratification des stages : sauver le partenariat formatif

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L’impréparation de la mise en place de la gratification des stages longs dans les formations en travail social a de nombreux effets pervers. Revenant sur ces derniers, Jean-David Peroz, formateur permanent dans un centre de formation parisien, filière « éducateur spécialisé », appelle à une réaction collective structurée pour sauver le partenariat liant écoles de travail social et sites qualifiants.

« Permettez-moi de remercier le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale pour les quelques “vacances” accordées depuis plusieurs mois aux centres de formation (filière “éducateurs spécialisés”), après la vague de réformes initiées à partir de 2007 (nouveau référentiel métier, certifications confiées aux centres de formation, gratification des stages de trois puis de deux mois…). Reprise (momentanée) d’une respiration ? Que les formateurs perdent aussitôt dans le marathon des recherches de stages aux côtés des étudiants. Si des budgets sont à prévoir pour la gratification (encore en grande partie en attente), les centres de formation en ont aussi besoin, en amont et en aval. Je m’explique.

En amont : pour des infirmeries réaménagées, accueillant des étudiants surmenés, en sanglots, en crise… devant l’exclusion vécue, dans un secteur qui lutte contre ce même phénomène auprès des différents publics. D’aucuns diront qu’il s’agit là, pour les étudiants, d’une bonne initiation (subie) à la “vie à la marge” comme certains usagers auxquels ils feront face tôt ou tard. Avons-nous inventé une forme de bizutage pour les étudiants primo-arrivants dans la formation ? Il faudra aussi accueillir leurs familles, inquiètes (pour ne pas dire révoltées) de l’horizon bouché pour leur descendance, elles qui avaient noté que ce secteur conduisait à 96 % vers l’emploi au sortir de la formation. Le problème étant qu’il faudrait déjà sortir de cette formation ou ne pas trop s’y maintenir à force de chercher des stages. Enfin, ces mêmes infirmeries pourraient être l’espace thérapeutique des formateurs troublés, “dérepèrisés”, anémiés… à soutenir les “naufragés” de la gratification. Le lecteur notera que je parle d’“infirmerie” et pas encore de “service des urgences psychiatriques”… En aval : parce que le retard à trouver un stage est susceptible d’une rallonge de la formation, mais où trouver actuellement le financement, si ce n’est dans le portefeuille de l’étudiant ? La vie estudiantine a un coût, et nous leur infligeons le “luxe” de faire perdurer ce statut.

Cette introduction quelque peu scénarisée a une réalité que les ASHont largement relayée par des articles ou par les différentes tribunes : 25 % de stages en moins, des étudiants en compétition, ceux qui relèvent des Assedic se retrouvant en position de force… Nous sommes plusieurs à penser que des “deals” sont parfois passés entre les institutions et les étudiants (pas forcément innocents) sur les conditions d’accueil du stagiaire qui ne sera pas gratifié (c’est une hypothèse, pour un nombre infime de surcroît). Ne sommes-nous pas en train de glisser vers un “marché parallèle” de la recherche de stages ? En tout cas, en décembre dernier, la gratification déclenche l’hilarité du directeur général de la cohésion sociale de l’époque que j’interpelle sur le sujet. L’assemblée qu’il a en face de lui est d’ailleurs médusée de sa réaction, pour ne pas dire plus…

Un état des lieux « amer »

La mise à mal des stages dans les formations sociales de niveau III est un contresens alors que celles-ci reposent sur la parité entre théorie et pratique. Qui plus est, le projet pédagogique en découle et l’échafaudage individualisé des stages aussi. La diversité de ces derniers et l’opportunité de rencontres multiples de l’usager sont-elles en fin de vie ? Et que dire de la motivation des étudiants qui arrivent sur des sites qualifiants qu’ils ne souhaitaient pas rejoindre ?

Devant les difficultés, plus que les doléances, d’une partie des formateurs en Ile-de-France, plusieurs d’entre eux se sont, avec des responsables de filière, réunis le 15 février dernier à Paris pour amorcer des réponses, peut-être collectives, mutualisées. Cette bataille des étudiants et des formateurs pour recenser les disponibilités des terrains de stages doit-elle se poursuivre de façon isolée ? D’autant plus que nous réalisons les mêmes démarches, les mêmes liaisons téléphoniques, auprès des mêmes institutions et des mêmes interlocuteurs…

Force est de constater que l’état des lieux – dont une analyse plus affinée est en cours – est amer et peu encourageant. Les “sans-stages” sont désormais une nouvelle catégorie dont le sociologue Robert Castel ferait certainement une lecture très pertinente. Aussi, avec l’émergence de ce groupe de travail, s’agit-il d’initier une dynamique, une réactivité, pour faire face à une situation d’alerte, tout en maintenant confiance et cohésion entre centres de formation et en préservant la collaboration avec les sites qualifiants. Parce que là réside un autre effet pervers de la gratification : celui d’empoisonner le contrat moral et la relation qui nous lient avec les établissements et les services qui n’accueillent plus de stagiaires.

Le grand écart touche toutes les strates de la formation, nul n’est épargné (1). Nous l’entendons, nous y adhérons, les sites qualifiants veulent rester sur le bateau de la formation, au nom de la transmission d’une fonction, d’un métier. Notons à ce propos la détermination des cadres de l’action sociale et des équipes éducatives à lutter contre la raréfaction des stages. Nous souhaitons non seulement maintenir un partenariat formatif avec les sites qualifiants et une confiance “conventionnelle”, mais aussi nous adapter de la façon la plus favorable à chacun. Ni auprès des étudiants, ni auprès des centres de formation, ni auprès des établissements et services, nous ne voulons organiser des “primaires” pour désigner les meilleurs candidats à cette mutation et dans cette funeste course.

La création de ce groupe ne constitue pas un sursaut accidentel ou une démarche “hesselienne” soudaine. Les formateurs n’ont pas pu faire abstraction des conséquences de la mise en place de la gratification depuis 2008. Mais nous avons à ce jour plus d’éléments sur les budgets octroyés (même s’ils varient selon les départements), sur les institutions en difficulté pour maintenir l’alternance et sur les positionnements des étudiants. A ce propos, la résistance des étudiants s’est-elle dissoute au nom d’un “sauve qui peut” ? En tout cas le mouvement a perdu de sa détermination.

A partir de ces constats et des premiers travaux, une collégialité est déjà à l’œuvre, mais elle doit se structurer avant de médiatiser ses préconisations. Cette présente tribune sera peut-être l’un des premiers pupitres officiels pour la mise en œuvre d’une phase active et pragmatique. Rendez-vous est donc pris avec les “indignés” qui confirmeront ainsi leur volonté d’agir. »

Contact : jdperoz@hotmail.fr

Notes

(1) Par là s’explique peut-être l’intitulé du texte par lequel la gratification est arrivée, la loi du 31 mars 2006 « pour l’égalité des chances »…

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