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Soins palliatifs : une révolution culturelle pour le secteur médico-social

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Avec le développement de la culture palliative prôné par le plan soins palliatifs 2008-2012, les regards se tournent désormais vers les établissements médico-sociaux. Massivement concernés par la fin de vie, ils accusent un retard considérable par rapport au secteur hospitalier. Dans ces structures qui se définissent avant tout comme des lieux de vie, prendre en compte la mort est loin d’aller de soi.

En achevant sa mission d’audit, le Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l’accompagnement ne pouvait adresser un message plus clair à l’attention des pouvoirs publics : « Compte tenu de l’évolution démographique de notre pays, la place des établissements médico-sociaux et particulièrement celle des établissements d’hébergement pour personnes âgées va être majeure dans l’organisation des soins palliatifs », peut-on lire dans le rapport qu’il vient de remettre à Nicolas Sarkozy (voir ce numéro, page 9).

Le retard accusé par les établissements du secteur du handicap ou de la dépendance est, en effet, considérable par rapport au secteur hospitalier. Tout ou presque reste à faire dans cet environnement de structures de petite ou moyenne importance, essentiellement configurées dans leur dimension soignante (cadres de santé, infirmiers, aides-soignants) pour accompagner des personnes aux pathologies stabilisées. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans les établissements pour enfants handicapés, où le taux d’encadrement soignant n’est que de 0,2 emploi équivalent temps plein (ETP) par enfant, qui plus est avec une majorité d’aides-soignants, on estime que 15 % des places sont concernées par les soins palliatifs. Dans les structures pour adultes handicapés, cette proportion monte à 30 % alors que le taux d’encadrement soignant n’est que de 0,4 ETP. Et que dire des 6 000 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), tous potentiellement concernés par les soins palliatifs, et de leur taux d’encadrement soignant inférieur à 0,3 ETP, qui se traduit par l’absence d’infirmier de nuit dans les structures de moins de 100 lits ?

Sur le plan législatif, les textes incitatifs ne manquent pas. Ainsi, la loi 2002-2 a obligé les établissements à passer une convention avec un hôpital ou un réseau de santé. Le décret du 6 février 2006 est ensuite venu préciser le contenu du projet d’établissement en matière de soins palliatifs (1) et un autre, en date du 22 février 2007, a autorisé les structures d’hospitalisation à domicile à intervenir dans les EHPAD (2). Enfin, la circulaire du 15 juillet 2010 a incité les équipes mobiles de soins palliatifs, créées par les hôpitaux, à intervenir dans les établissements en valorisant financièrement cette activité (3).

Pourtant, la tendance est encore massivement au basculement vers l’hôpital des résidents dont la prise en charge devient trop lourde. Pour Bruno Maresca, sociologue au département « Evaluation des politiques publiques » du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) et directeur d’une recherche sur le développement des soins palliatifs dans le secteur médico-social (4), ce constat prouve que les freins ne peuvent se réduire à un simple problème de moyens ou de compétences des personnels : « Il renvoie aussi aux difficultés à intégrer la confrontation à la fin de vie dans le projet de l’établissement. »

De fait, en milieu hospitalier, les équipes savent qu’elles doivent s’occuper des situations de fin de vie alors que, dans les structures médico-sociales, beaucoup de professionnels considèrent que la dé­marche palliative n’entre pas dans leurs missions. « Prendre en compte l’imminence de la mort ne convient pas à la finalité de l’établissement, qui tient à se définir comme un lieu de vie par opposition à l’image négative du mouroir », analyse Bruno Maresca. Et lorsque la volonté existe, elle réveille un débat éthique auquel le médico-social semble mal préparé (voir encadré, page 32). La simple pose d’une sonde alimentaire chez des personnes qui ne peuvent plus se nourrir seules peut être vécue par certains soignants comme de l’acharnement ou le prolongement artificiel d’une vie douloureuse. Plus globalement, souligne Bruno Maresca, « dans les EHPAD, où la mort est envisagée comme allant de soi, la mise en place d’un accompagnement spécifique nourrit des interrogations sur l’opportunité, voire la légitimité, de poursuivre certains soins, en allant parfois contre la volonté des personnes. Dans les établissements pour personnes handicapées et en institut médico-éducatif en particulier, la souffrance des enfants en fin de vie peut devenir insupportable pour des soignants, qui s’interrogent alors sur le bien-fondé de leur pratique dès lors qu’elle conduit à prolonger des fins de vie difficiles. »

L’hésitation est pire encore dans les établissements accueillant de très jeunes publics, où l’on observe une résistance aux soins palliatifs. « La petite enfance, c’est le début de la vie, ce qui rime très mal avec palliatif », témoigne Elisabeth Chasper, pédiatre au Nid béarnais, une maison d’enfants spécialisée composée d’un service de soins de suite pédiatrique et d’un institut médico-éducatif pour enfants polyhandicapés. « Nous accueillons de très jeunes patients qui n’ont plus d’espoir de vie, mais qui sont bel et bien là et dont il faut s’occuper. De tous les enfants, les polyhandicapés sont peut-être les plus délaissés, car ils n’ont pas de lobbies derrière eux comme il en existe pour les myopathes, et ils nous renvoient à nos échecs pédiatriques. »

« Une soupape qui s’ouvre »

Toutefois, une évolution est perceptible. Plus de 60 % des EHPAD déclarent avoir abordé les soins palliatifs dans leur projet de soins et 70 % souhaitent renforcer leur formation dans ce domaine (5). Même si, du côté des organismes de formation spécialisés, on nuance ces indicateurs. « S’il est vrai que les personnels sont demandeurs de formations à l’accompagnement de la fin de vie, tant ils se reconnaissent en difficulté, la faiblesse des budgets de formation fait que les priorités des directions vont ailleurs », affirme Martine Carbonnier, responsable des formations à Allliance, une fédération d’associations d’accompagnants bénévoles implantée dans le sud-ouest de la France.

Comme quelques pionniers, cette fédération milite depuis 20 ans pour le développement d’une culture palliative, mais ses modules de sensibilisation peinent à franchir les portes des établissements médico-sociaux. « Les responsables ne sont pas conscients des effets négatifs sur leur personnel de ce que représente le contact avec ces corps dégradés et la cohabitation avec la souffrance. La particularité de la fin de vie, c’est qu’elle affecte les bien-portants à des niveaux très profonds, avec ce que cela engendre de rejet, de violence, d’absentéisme », constate Martine Carbonnier. Tout l’enjeu, alors, consiste à montrer que la mise en place d’une démarche d’accompagnement de la fin de vie a un retentissement positif sur l’institution. « Cela suppose d’introduire des protocoles clairs, notamment par l’intermédiaire de groupes de parole. A partir du moment où vous permettez l’expression de ce mal-être – souvent les personnels préfèrent ne pas en parler de peur d’être ridicules –, c’est une soupape qui s’ouvre. »

Pour l’heure, les motivations des établissements pour intégrer les soins palliatifs sont aussi diverses que leur niveau d’avancement (6). La réflexion naît le plus souvent de l’insatisfaction de se décharger des résidents sur l’hôpital et de la multiplication des allers et retours entre institutions que cela engendre. Dans certains établissements, un traitement adéquat de la douleur va, par exemple, être recherché avec l’appui de compétences spécifiques (équipe mobile de soins palliatifs, réseaux) pour maintenir la personne dans un état de conscience satisfaisant. La notion de « projet de fin de vie » est alors sous-jacente.

Ainsi la maison d’accueil spécialisée (MAS) de Saint-Denis-de-Pile (Gironde), qui accueille 54 personnes polyhandi­capées, s’appuie sur l’équipe de soins palliatifs du centre hospitalier voisin pour accompagner jusqu’au bout certains résidents. Amorcée en 2006 lors d’une première tentative d’accompagnement d’une résidente en fin de vie, cette collaboration a permis de déterminer jusqu’où une équipe, essentiellement tournée vers l’éducatif, pouvait intervenir en tenant compte des contraintes fonctionnelles de la structure (pas d’infirmier en permanence, donc pas le droit légalement pour les aides-soignants de faire des soins techniques).

Une réflexion a été engagée entre l’équipe mobile et les professionnels de la MAS sur l’évaluation de la douleur et l’introduction de soins confiés à des infirmiers libéraux. Parallèlement, l’équipe mobile intervient en soutien des éducateurs, confrontés à la fin de vie de résidents qu’ils ont pu côtoyer, parfois depuis plus de 20 ans, et épaule la psychologue de l’établissement dans la prise en charge des parents. « Le rôle d’une équipe mobile consiste à mettre en place un projet de fin de vie sur lequel va venir se greffer le projet de soins, et non l’inverse. Comme personne ne peut être formé à l’infini, c’est la rencontre entre la culture palliative et celle de l’accompagnement des personnes handicapées qui enrichit les soins palliatifs », résume Ankass Montasser, médecin responsable de l’équipe mobile de soins palliatifs du centre hospitalier de Libourne (Gironde). Inscrit désormais dans une convention, ce partenariat a modifié le fonctionnement de l’établissement. Un roulement de personnel a été établi entre les deux unités de la structure afin de rompre les liens très forts qui se créent au fil des années entre la famille, l’équipe et les résidents. « La fin de vie pousse les établissements tels que les nôtres dans leurs limites », reconnaît Dominique Lacomme, directeur de la MAS.

A l’EHPAD de l’Institut hélio-marin de Labenne (Landes), une importante structure médicalisée qui compte 30 lits de soins de suite et de réadaptation gériatriques et 150 lits de long séjour, la démarche s’est imposée comme une évidence. Avec une cinquantaine de décès chaque année, la cohabitation avec la mort est une réalité quotidienne, chargée de souffrance tant pour le résident en fin de vie et son entourage familial que pour les autres pensionnaires de l’établissement et les professionnels. « Il s’agissait de nous organiser pour que la mort escamotée fasse place à un accompagnement de qualité », explique la directrice, Joëlle Dareths.

L’établissement, qui dénombre 150 soignants, a fait le pari de ne compter que sur ses ressources internes. Le processus qu’il a dû suivre en dit long sur le défi d’adaptation posé au secteur médico-social. Partant d’un diagnostic qui montrait les faiblesses de son organisation par rapport aux fins de vie des résidents (manque de compétences, corporatismes entre soignants et paramédicaux, prises en charge stéréotypées, manque d’ouverture sur l’extérieur…), un binôme médecin-infirmier est formé aux soins palliatifs dès 1999, autour duquel une équipe pluridisciplinaire va progressivement s’agréger. Parallèlement, un travail sur le savoir-être collectif est entrepris par le biais de formations sur le toucher relationnel, les techniques de communication ou la distance professionnelle. Des temps de réunion sur le projet de fin de vie et le suivi des soins palliatifs sont inscrits dans le planning des personnels et des rites de deuil sont instaurés. Enfin, l’EHPAD s’ouvre à des compétences externes en s’associant à un réseau de soins palliatifs et en passant une convention avec une association de bénévoles accompagnants. « Aujourd’hui, dès la décision de passer en soins palliatifs prise par l’équipe soignante, les souhaits de la famille et du résident sont recueillis et un projet de soins personnalisé, accessible à tous les professionnels impliqués, soignants et personnel d’animation, permet de fixer les objectifs communs de manière à relier les pratiques », explique Claire Crespo, une infirmière dont le poste est entièrement dédié aux soins palliatifs.

En 2008, deux lits ont été identifiés de soins palliatifs. Pour autant, une douzaine d’années après son lancement, la démarche reste un travail de chaque instant. Si huit nouveaux soignants sont formés chaque année, « les habitudes des équipes et les contraintes des services ne permettent pas toujours de personnaliser l’accompagnement décidé en réunion et un grand nombre de soignants ont encore des difficultés à lâcher prise, malgré les formations aux symptômes de la fin de vie », constate Joëlle Dareths.

Dans les structures de moindre importance, les questionnements sont encore nombreux. Dans l’esprit de tous, l’hôpital demeure toujours le lieu par excellence du soin infirmier et de la fin de vie. « Les traitements contre la douleur et le maintien dans l’établissement continuent de diviser, témoigne Denis L’Huillier, directeur de l’EHPAD Notre Maison, à Nancy, une institution publique de 110 lits. Quand nous présentons à une famille la réalité de l’accompagnement qui va suivre le diagnostic de fin de vie de leur proche, il faut parfois convaincre que les toilettes sont peut-être moins importantes que le confort du patient… »

Face à des budgets de formation limités, cet établissement a fait le choix de spécialiser une équipe de soignants sur la base du volontariat. L’accompagnement en fin de vie est effectué sous la supervision du médecin traitant en concertation avec le médecin coordonnateur et une psychologue et un partenariat avec une association d’accompagnants bénévoles complète le soutien des familles. Dans le projet soumis au renouvellement de sa convention tripartite, l’EHPAD Notre Maison compte franchir un pas supplémentaire en contractant avec une équipe mobile de soins palliatifs, « ce qui représentera un apport de compétences », précise Denis L’Huillier. Confiant, ce directeur estime que s’engager dans une telle démarche, alors que la loi n’oblige les établissements qu’à passer une convention avec un réseau ou un hôpital, va de pair avec la sensibilisation croissante des équipes à la gestion des fins de vie.

Le bénévole, un intermédiaire

Reste la faiblesse des moyens humains propre au secteur. Faute d’une disponibilité suffisante de l’équipe, le soutien du patient ou de sa famille va souvent reposer sur l’empathie spontanée des soignants. « Ceux-ci se plaignent alors d’être les seuls à se confronter à l’angoisse de la fin de vie, sans pouvoir se décharger sur d’autres intervenants », observe Bruno Maresca.

Le rôle joué par l’accompagnement bénévole est à ce titre considérable. « Il occupe une position intermédiaire entre les familles et l’équipe, avec le gros avantage par rapport aux professionnels de ne pas être bloqué par les protocoles », pointe Marie-Ange Guignard, présidente d’Alliance. Formé aux différentes facettes de la fin de vie et régulièrement évalué, l’accompagnant bénévole intervient toujours en équipe sur la base d’une convention qui encadre sa présence dans le service et garantit sa neutralité. « Ni soignant, ni supplétif, il est d’abord un témoin de la société venu rappeler aux personnes en fin de vie qu’elles ne sont pas seules et qu’un espace d’écoute et de parole leur est ouvert », explique Paulette Le Lann, présidente de la fédération Jalmalv (Jusqu’à la mort accompagner la vie).

Il n’empêche, sur les 70 associations locales que regroupe Jalmalv – soit le tiers des 210 associations d’accompagnants présentes sur le territoire –, on recense moins de 190 conventions signées avec des EHPAD en 2010, alors que la fédération est présente dans le secteur médico-social depuis une douzaine d’années. En cause, la difficulté de penser cette intervention dans l’institution. Au point que, dans les quelques établissements demandeurs, un travail préparatoire d’in­tégration des bénévoles doit être systématiquement conduit, « faute de quoi, le flou dont on entoure leur rôle peut se traduire par un bénévolat de service venant compenser le manque de personnel », commente Paulette Le Lann.

Pour les observateurs du Crédoc, la leçon est claire : le développement des soins palliatifs dans les établissements médico-sociaux suppose de « redéfinir leur fonction sociale ». « Parallèlement au fait d’être des lieux de vie et de mobilisation pour des personnes nécessitant une prise en charge en institution, ils doivent se penser aussi comme des lieux de la fin de vie de leurs résidents. » Cette révolution des mentalités peut passer par plusieurs vecteurs, tels que les formations initiales des soignants, les formations continues dispensées dans les établissements, voire par le biais de recommandations nationales. C’est, en tout cas, l’avis du Comité national de suivi du développement des soins palliatifs qui, outre la systématisation des coopérations entre établissements et services hospitaliers ou réseaux de soins palliatifs, plaide pour une diffusion de la culture palliative par une formation simultanée des professionnels et des familles « qui ne soit pas seulement théorique, mais repose aussi sur l’exemple ». Dans le même sens, Nora Berra, secrétaire d’Etat chargée des aînés, a annoncé, le 8 juin dernier, la mise en place à la rentrée prochaine d’une formation aux soins palliatifs des soignants de proximité dont le coût est évalué à 2 millions d’euros par an (7). Elle a également souligné l’importance accordée à la formation de nouveaux bénévoles depuis 2008 à hauteur de 1,5 million d’euros par an.

Pour autant, « encore aujourd’hui, la simple évocation du mot mourir prend les professionnels à contre-pied et les laisse dans la confusion, estime Mado, une viticultrice qui consacre quatre heures de son temps par semaine à l’accompagnement de personnes en fin de vie. En réalité, outre une question de moyens et de formation, l’accompagnement à la fin de vie est une question de société : quel projet voulons-nous pour les personnes handicapées ou dépendantes ? »

UNE ORGANISATION PYRAMIDALE

Les soins palliatifs sont organisés comme une pyramide avec au sommet les unités de soins palliatifs. Il en existe 107 en France, soit près de 1 200 lits. Très spécialisées, ces unités s’adressent aux situations les plus complexes, aussi bien sur le plan médical qu’éthique. Généralement adossées à un plateau technique hospitalier important, elles assurent aussi des missions d’enseignement et de recherche.

Environ 4 800 lits identifiés de soins palliatifs, situés dans les services hospitaliers de court séjour et de soins de suite, s’adressent à des situations moins complexes. Ils permettent au patient en fin de vie de ne pas être transféré dans un autre service ou un autre établissement. Issus d’un redéploiement, ces lits ne bénéficient d’aucuns moyens supplémentaires, ce qui nuit à leur développement.

353 unités mobiles de soins palliatifs, rattachées à un hôpital, exercent un rôle de conseil et de soutien auprès des équipes soignantes. Composées d’une équipe pluridisciplinaire, elles interviennent auprès de tout type d’établissement dans une aire géographique donnée.

Les 124 réseaux de soins palliatifs recensés assurent la coordination entre les différents professionnels et font le lien entre la ville et l’hôpital. Ils exercent également un rôle de conseil.

Enfin, 300 structures d’hospitalisation à domicile permettent la prise en charge chez elles des personnes qui ont besoin d’un accompagnement important en assurant la coordination des professionnels libéraux. Leur périmètre d’action intègre les établissements médico-sociaux considérés comme le domicile de leurs résidents.

Environ 5 000 bénévoles accompagnants forment la base citoyenne de l’édifice en occupant une position tierce entre les soignants et la famille.

L’APPROCHE DE LA FIN DE VIE RÉINTERROGÉE

Les interrogations parfois très vives des professionnels de la dépendance ou du handicap sur l’acharnement thérapeutique, notamment à travers l’alimentation par intubation de résidents en fin de vie, en témoignent : les débats entourant le développement des soins palliatifs sont loin d’être pacifiés.

Lors de leur enquête dans le secteur médico-social (8), les rapporteurs du Crédoc ont constaté, à travers leurs entretiens avec des équipes soignantes, que la demande d’euthanasie était « une réalité qui se donne à voir de manière tangible ». Dans plus de la moitié des établissements, les équipes ont admis y avoir été confrontées. La demande est majoritairement formulée par les proches des résidents dans des situations où leur état devient difficile à supporter. Les soignants, quand ils en parlent, tentent de l’expliquer par un contexte particulier ou un moment de révolte passager. Toutefois, quelques médecins ont évoqué explicitement des pratiques de quasi-euthanasie active.

« Au-delà des sollicitations auxquelles sont confrontés les soignants, la demande euthanasique traduit l’importance des difficultés et des souffrances qu’engendre la gestion des agonies dans les établissements médico-sociaux », analyse le Crédoc. Ainsi, la fréquente évocation de « longs mourir difficiles » « tend à souligner en creux que le faible investissement dans la démarche palliative, en tant que construction d’une approche de la fin de vie et des difficultés qu’elle pose, fait in fine le lit de la demande euthanasique ». De fait, le sentiment d’inutilité de continuer un accompagnement après que la médecine s’est déclarée impuissante est encore très répandu chez les personnels soignants.

« On entend couramment dire que le palliatif, c’est lorsqu’on ne peut plus rien faire, s’offusque Jacques Ricot, philosophe et auteur de plusieurs essais sur la fin de vie (9). Il est totalement contre-productif de laisser s’installer ce type de réflexe dans notre langage et dans nos comportements. Le palliatif ne fait que prolonger le curatif ! » Selon le philosophe, on continue en réalité à soigner tout au long de l’accompagnement palliatif. « La différence, c’est que, dans le curatif, on cherche à réduire un mal qui menace le patient, tandis que, dans le palliatif, il y a presque toujours une polypathologie que l’on soigne symptôme après symptôme en sachant qu’on ne peut rien contre le mal qui, au final, emportera le patient. »

La notion de dignité apparaît centrale dans ce débat. « C’est la valeur qui vient déterminer toutes les autres. La dignité, c’est simplement l’humanité reconnue de toute personne, quel que soit son statut ou sa situation », définit Jacques Ricot. Or, à mesure que la technologie médicale progresse et que l’on peut prolonger la vie, la question du respect de cette dignité devient cruciale. La loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie est très claire sur le risque d’acharnement thérapeutique : elle rappelle qu’en fin de vie la qualité de la vie prime sur sa durée et qu’on ne doit pas hésiter à calmer la souffrance, même au prix du raccourcissement de la vie.

C’est pourquoi, face à la relance par les sénateurs, en janvier dernier, d’un projet de loi sur l’euthanasie, la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) (10) a tenu à réaffirmer l’état du consensus à l’attention des professionnels et des associations de bénévoles. « Qu’il soit en fin de vie, ou qu’il soit maintenu en vie artificiellement, le malade capable de décider pour lui-même peut arrêter tout traitement, y compris ceux qui, le cas échéant, le maintiennent en vie. Les médecins ont alors l’obligation de se conformer à cette décision. » Pour autant, insiste la SFAP, refus thérapeutique ne signifie pas abandon médical, et là encore les soins palliatifs peuvent venir prendre le relais. Enfin, la SFAP précise que, « lorsque le malade n’est pas en capacité de décider pour lui-même », comme c’est souvent le cas dans les services médico-sociaux, le médecin doit rechercher tout signe de refus ou d’assentiment des soins auprès de la personne et prendre l’avis de la famille et des proches.

Notes

(1) Voir ASH n° 2443 du 17-02-06, p. 11.

(2) Voir ASH n° 2496 du 2-03-07, p. 10.

(3) Voir ASH n° 2670 du 20-08-10, p. 14.

(4) Vingt ans après les premières unités, un éclairage sur le développement des soins palliatifs en France – Le secteur médico-social – Crédoc, novembre 2008 – Disponible sur www.credoc.fr – Synthèse présentée lors de la journée « Handicap, dépendance et soins palliatifs », organisée le 19 novembre 2010 par la fédération de bénévoles Alliance – Alliance : 5, rue Haut-Queyron – 33000 Bordeaux – Tél. 05 56 69 85 52.

(5) Selon une étude réalisée dans le cadre du plan « Soins palliatifs 2008-2012 », dans deux régions de France (Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon).

(6) Voir l’exemple de la Fondation Denis-Lemette à Roeulx (Nord) dans les ASH n° 2700 du 11-03-11, p. 34.

(7) Voir ASH n° 2663 du 11-06-10, p. 10.

(8) Vingt ans après les premières unités, un éclairage sur le développement des soins palliatifs en France – Le secteur médico-social – Crédoc, novembre 2008 – Disponible sur www.credoc.fr.

(9) Notamment Ethique du soin ultime (Ed. ENSP, 2010) et Euthanasie et dignité (Ed. Pleins Feux, 2003).

(10) SFAP : 106, avenue Emile-Zola – 75015 Paris – Tél. 01 45 75 43 86 – www.sfap.org.

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