La réglementation qui permet d’emprisonner un immigrant de pays tiers en séjour irrégulier ne se conformant pas à un ordre de quitter le territoire national est contraire à la directive européenne 2008/115/CE relative aux normes et procédures communes applicables au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive « retour ». Tel est le sens de l’arrêt rendu le 28 avril, en procédure d’urgence, par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans une affaire concernant l’Italie mais qui pourrait ne pas être sans conséquences pour la France.
Les faits sont les suivants : un ressortissant algérien est entré illégalement en Italie et a été condamné à un an de prison pour ne pas avoir respecté un ordre de quitter le territoire italien édicté à son encontre. Ce, en application d’un décret prévoyant pour ces faits une peine d’emprisonnement pouvant aller de un à quatre ans. La Cour d’appel qu’il a saisie pour s’opposer à cette décision s’est alors tournée vers la CJUE pour lui demander de se prononcer, à la lumière de la directive « retour », sur la validité de la peine d’emprisonnement qui lui a été infligée.
Cette directive, en particulier ses articles 15 et 16, prévoit une gradation des mesures à prendre en vue d’exécuter une procédure d’éloignement et de rapatriement pour un immigrant en situation illégale, rappelle la Cour. Ainsi, les législations nationales doivent d’abord proposer un départ volontaire et peuvent, après un délai maximum de 30 jours, procéder à un éloignement forcé. Ce n’est que si l’éloignement risque d’être compromis par le comportement de l’intéressé que l’Etat membre peut procéder à la rétention de ce dernier. Mais cette rétention doit être aussi brève que possible, soumise à un réexamen régulier et ne peut dépasser 18 mois. Par ailleurs, les étrangers clandestins doivent, sauf dérogations, être placés dans un centre de rétention spécialisé et, en tout état de cause, doivent être détenus séparément des prisonniers de droit commun.
Pour la CJUE, la directive « retour » n’interdit pas aux Etats membres de prévoir des mesures pénales permettant notamment de dissuader les étrangers clandestins de demeurer illégalement sur leur territoire. Mais elle les oblige à aménager leur législation pour assurer le droit de l’Union européenne. Ainsi, les Etats membres « ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile ». La Cour considère donc que les Etats membres ne peuvent pas prévoir, « en vue de remédier à l’échec des mesures coercitives adoptées pour procéder à l’éloignement forcé, une peine privative de liberté […] pour le seul motif qu’un ressortissant d’un pays tiers continue, après qu’un ordre de quitter le territoire national lui a été notifié et que le délai imparti dans cet ordre a expiré, de se trouver présent de manière irrégulière sur le territoire d’un Etat membre ». En effet, poursuivent les magistrats, « une telle peine […] risque de compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ».
Or, en France, l’article L. 624-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) dispose notamment que tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à l’exécution d’un arrêté d’expulsion, d’une mesure de reconduite à la frontière ou d’une obligation de quitter le territoire encourt une peine de trois ans d’emprisonnement. Une disposition similaire au décret italien condamné par la CJUE, et qui ne semble donc pas non plus conforme à la directive « retour ».
Dans un communiqué commun du 29 avril, les principales associations françaises de défense des étrangers (1) estiment ainsi que la décision de la cour européenne « marque un coup d’arrêt majeur aux politiques de pénalisation des étrangers en situation administrative irrégulière en vigueur dans nombre d’Etats membres dont la France ». Selon elles, il appartient désormais au gouvernement français de mettre sa législation « en conformité avec le droit de l’Union en supprimant purement et simplement toute peine d’emprisonnement ». Comme tous les Etats membres de l’Union, la France avait jusqu’au 24 décembre 2010 pour transposer la directive « retour » (2). C’est par le biais du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, toujours en cours d’examen au Parlement, qu’il a choisi de procéder à cette transposition. Ce texte est en fin de parcours législatif puisqu’il a fait l’objet, le 4 mai, d’une commission mixte paritaire (CMP), réunissant quelques députés et sénateurs chargés d’élaborer un texte de compromis sur les dispositions qui n’avaient pas encore été adoptées dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. Or, l’article 73 du projet de loi, qui modifie l’article L. 624-1 du Ceseda, avait d’ores et déjà fait l’objet d’un vote conforme des deux chambres et il prévoit toujours la possibilité d’infliger une peine d’emprisonnement de trois ans aux étrangers clandestins qui se maintiennent illégalement sur le territoire français. Le gouvernement peut encore le modifier par voie d’amendement lorsque le texte issu de la CMP sera soumis au vote des deux assemblées, probablement le 10 mai. Cependant, interrogé par l’AFP sur les conséquences de l’arrêt, le ministère de l’Immigration a laissé entendre que la France n’est pas concernée, estimant que le dispositif français « est suffisament différent » de la législation italienne.
(1) Le Gisti, la Cimade et la FASTI, accompagnés notamment du Syndicat de la magistrature, des Avocats pour la défense des étrangers, du Syndicat des avocats de France et du Syndicat de la médecine générale.
(2) Rappelons que le retard pris par un Etat dans la transposition de la directive permet aux particuliers d’invoquer contre cet Etat celles de ses dispositions qui sont « inconditionnelles » et « suffisamment précises », ce qui est le cas, selon la CJUE, de ses articles 15 et 16. Le Conseil d’Etat a quant à lui jugé récemment que l’article 7 de la directive, qui prévoit de laisser un délai minimum avant la mise en œuvre d’une reconduite à la frontière, est directement invocable devant les tribunaux nationaux – Voir ASH n° 2702 du 25-03-11, p. 13.