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Les atteintes au droit à la confidentialité et aux liens familiaux préoccupent le contrôleur des lieux de privation de liberté

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En dépit des diverses recommandations qu’il publie régulièrement, Jean-Marie Delarue insiste à nouveau, dans son rapport annuel 2010 rendu public le 3 mai (1), sur la réalité des lieux de privation de liberté, « encore souvent celle de la vétusté et quelquefois du sordide, dans des établissements anciens et mal entretenus ». Etablissements au sein desquels certains droits fondamentaux des détenus – tels que le droit au maintien des liens familiaux ou celui de pouvoir s’entretenir avec le corps médical ou son avocat en toute confidentialité – sont quotidiennement bafoués. Et le contrôleur général des lieux de privation de liberté va pouvoir continuer à dénoncer ces insuffisances puisqu’il échappe à la fusion, initialement envisagée, avec le défenseur des droits (2). C’est « une autorité indépendante désormais bien établie dans le paysage institutionnel français », s’est félicité le président de la République dans un communiqué, soulignant l’importance de ses recommandations et avis « auxquels le gouvernement doit être particulièrement attentif ».

En 2010, pour la première fois, Jean-Marie Delarue a visité des « établissements de taille exceptionnelle », tels que la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (3 600 détenus). Au total, tous lieux de privation de liberté confondus, il a effectué 140 visites (3) et, sur les 96 départements métropolitains, 79 ont vu un lieu de privation de liberté situé sur leur territoire visité.

Forte hausse du nombre des saisines

L’année dernière, les services du contrôleur général ont reçu 3 276 lettres (+ 158 % par rapport à 2009), dont 1 317 ont donné lieu à intervention. La plupart de ces courriers émanaient de détenus (91,4 %) mais aussi, dans une moindre mesure, de personnes hospitalisées en santé mentale (5,3 %) ou ayant fait l’objet d’une garde à vue (1,2 %). Les motifs, eux, sont toujours les mêmes. Par exemple, les détenus se plaignent souvent des décisions d’affectation au sein ou dans un autre établissement pénitentiaire, des difficultés d’accès aux soins ou encore des conditions matérielles de détention. Jean-Marie Delarue a ouvert 620 dossiers d’enquête (au lieu de 289 en 2009). Une particularité : « 2010 a vu se développer ce qui était apparu rapidement nécessaire, mais qui n’avait pu guère être mené à bien jusqu’alors faute de personnels suffisants : les enquêtes sur place » (4). Neuf ont ainsi pu être diligentées (au lieu de 3 en 2009). Le délai moyen de réponse diminue encore, passant de près de 21 à 19 jours. « Toutefois, souligne le contrôleur général, en raison de l’accroissement du volume des saisines […], ce gain est malheureusement illusoire. »

Insuffisances du parc pénitentiaire

Jean-Marie Delarue constate des « insuffisances ou anomalies qui accompagnent les constructions récentes » d’établissements pénitentiaires. En premier lieu, leur taille. Les établissements construits depuis 1987 comportent au moins 690 places, une concentration « dommageable à la fois pour [les détenus], pour leurs proches et pour le personnel ». Selon lui, « des établissements de plus de 200 détenus génèrent des tensions, et donc des échecs multiples, incomparablement plus fréquents que ceux qui sont plus petits. » En outre, « la capacité des établissements à organiser et à financer la maintenance des lieux pénitentiaires est notoirement insuffisante », raison pour laquelle, selon le rapport, « les conditions de vie et de travail se sont considérablement dégradées ».

Non-respect du secret et de la confidentialité

S’agissant des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, les notions de secret et de confidentialité ne sont pas toujours respectées, estime le contrôleur général. Par exemple, lorsqu’un détenu est hospitalisé sans son consentement, il doit en principe être informé de sa situation juridique, de ses droits et de son état de santé. Or, lors des visites d’établissements de santé, les contrôleurs ont relevé des difficultés créées par le respect du secret médical. Ainsi, illustrent-ils, « le diagnostic précis n’est pas forcément communiqué aux patients et aux proches », « la date de sortie d’hospitalisation du patient n’est pas toujours communiquée aux proches, alors qu’elle peut l’être au patient »… Aussi l’institution préconise-t-elle, pour faciliter la communication et la collaboration entre les praticiens, les patients et leurs proches, d’« organiser des groupes d’échanges ou de formation des familles par des équipes médicales ». Au-delà, Jean-Marie Delarue considère que le respect du secret médical et de la confidentialité se heurte à « l’inadéquation des locaux » (séparation vitrée des bureaux, partage de bureaux avec les avocats, présence d’agents de surveillance…), qu’il s’agisse des locaux de garde à vue, des centres de rétention administrative, des zones d’attente ou encore des prisons. Au sein de ces dernières, la présence des surveillants dans la salle de soins, « assez fréquente », « ne peut être tolérée », martèle-t-il.

Le contrôleur général dénonce aussi les conditions de prise en charge des détenus à l’hôpital : « pendant les examens médicaux, la présence des surveillants et le port d’entraves sont monnaie courante ». Une situation « inacceptable » : « les moyens de contrainte doivent être enlevés sauf pour une raison de sécurité fondée et explicite », précise-t-il.

Le secret et la confidentialité des entretiens entre le détenu et son avocat se heurtent également à l’inadéquation des locaux de garde à vue. Avec l’« accroissement très sensible de la durée de la présence de l’avocat dans les locaux de garde à vue [5], la question d’un local permettant la confidentialité se pose avec une force accrue », explique Jean-Marie Delarue.

Limitation du droit au maintien des liens familiaux en prison

L’exercice du droit au maintien des liens familiaux est également « soumis à des conditions pouvant en limiter souvent l’effectivité ». Le rapport cite l’exemple des maisons d’accueil des familles, construites sur le domaine pénitentiaire et à proximité de l’entrée de l’établissement. Dans les établissements pénitentiaires les plus récents (fonctionnant en gestion mixte ou avec un partenariat « public-privé »), l’organisation matérielle des rendez-vous et l’accueil des familles sont désormais assurés par des groupements privés. Constatant des différences de traitement selon les établissements, Jean-Marie Delarue demande que les prestations offertes soient harmonisées. Dans ce cadre aussi, le contrôleur général souligne l’importance du rôle des associations, toujours chargées du dialogue avec les familles, et la nécessité de les soutenir sur le plan matériel. Au-delà, poursuit-il, « dans chaque établissement pour peines, une proposition d’hébergement doit être faite aux familles visitant leurs proches plusieurs jours successifs », en lien avec les associations localement investies et l’Union des fédérations régionales des associations de maison d’accueil de familles et de proches de personnes incarcérées.

Le rapport relève également que, pour les condamnés, « la délivrance des permis de visites par l’autorité pénitentiaire n’intervient pas toujours dans des délais raisonnables » au motif que l’autorité sollicite un peu trop souvent une enquête préfectorale préalable qui peut prendre plusieurs mois (6). Jean-Marie Delarue insiste donc sur le caractère exceptionnel de cette enquête.

L’accès aux unités de vie familiale (UVF) – prioritairement destinées aux condamnés qui ne peuvent bénéficier d’une permission de sortir ou d’un autre aménagement de peine – pose aussi des problèmes. « En raison du nombre des demandes, le délai d’attente dépass[e] parfois le trimestre », note le contrôleur général, qui recommande alors que « l’ensemble des établissements pour peines soit doté d’UVF et/ou de parloirs familiaux ».

Enfin, le rapport s’est penché sur le cas particulier des femmes détenues, qui représentait 3,4 % de la population carcérale au 1er janvier 2011. « Il est courant de dire que les femmes incarcérées subissent davantage de ruptures familiales et sont plus isolées que les détenus hommes », souligne le contrôleur général. Et pour cause, puisque seulement quatre établissements pour peines accueillent des femmes condamnées à de moyennes et longues peines : à Rennes (Ille-et-Vilaine), à Roanne (Loire), à Bapaume (Pas-de-Calais) et à Joux-la-Ville (Yonne). Leur localisation soulève ainsi « quelques interrogations au regard du maintien des liens familiaux et pose des difficultés d’éloignement familial, le sud de la France et la région parisienne étant dépourvus d’établissements pour peines accueillant des femmes », relève Jean-Marie Delarue. Aussi rappelle-t-il que, « dans un contexte de rareté de places en établissements pour peines, le choix du lieu d’affectation des femmes détenues doit faire l’objet d’un examen attentif en prenant en considération le reliquat de peine et le maintien des liens familiaux ». En outre, il suggère qu’« un quartier “établissement pour peines” destiné aux femmes soit ouvert dans le sud de la France et en région parisienne ». Et que, dans l’attente, « le maintien en maison d’arrêt des femmes condamnées à une peine supérieure à deux ans pourrait être envisagé à leur demande et de manière spécialement motivée si une affectation en établissements pour peines compromettait gravement le maintien des liens familiaux. »

Notes

(1) Rapport disponible sur www.cglpl.fr.

(2) Voir ASH n° 2701 du 18-03-11, p. 5.

(3) Ont ainsi été visités 47 locaux de garde à vue, 37 établissements pénitentiaires, 15 locaux de rétention administrative, 8 centres éducatifs fermés (CEF) et 18 établissements de santé.

(4) Grâce à une augmentation substantielle des crédits alloués à l’institution en 2010, celle-ci a pu recruter deux chargés d’enquête.

(5) La loi réformant la garde à vue confère aux avocats un rôle plus important lors des auditions – Voir ASH n° 2705 du 15-04-11, p. 16 et n° 2706 du 22-04-11, p. 7.

(6) Or, selon une note de la direction de l’administration pénitentiaire du 15 septembre 2009, ce délai raisonnable doit être inférieur à 10 jours. Et, en cas d’enquête préalable, une autorisation provisoire de visite peut être accordée.

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