Peu après son arrivée en France, il circulait avec une radio diffusant des chants turcs, dans l’espoir de trouver des compatriotes. C’était l’astuce imaginée par le père de Jasemin, qui dit à elle seule l’isolement et le mal du pays. Dans les années 1970, des entrepreneurs ariégeois sont allés en Turquie chercher de la main-d’œuvre pour le bûcheronnage. Le père de Jasemin voulait améliorer la vie de sa famille. Aujourd’hui, la jeune femme est devenue coiffeuse et vit toujours dans le département où elle a grandi.
Pendant près de quatre ans, deux photographes – Gilles Favier, de l’agence Vu, et Sara Jabbar-Allen – ont arpenté les routes des huit départements de Midi-Pyrénées, accompagnés par des radios locales, pour recueillir les témoignages des migrants de la première génération et de leurs enfants. Ceux-ci parlent des « cent kilos pleins » qu’on amène pour le grand voyage, d’une traversée de la frontière à pied, ou encore de la main que tend le patron qui vient vous recruter pour vérifier la force de la main-d’œuvre. Les histoires sont brièvement racontées sous les photos, elles sont également enregistrées sur le DVD qui accompagne le livre.
Mais c’est l’accumulation des parcours, de ces histoires pas si ordinaires, qui constitue l’intérêt de l’ouvrage, réalisé avec l’association Alter Image. Des dizaines de portraits d’hommes et de femmes seuls, de familles, d’anciens étrangers dans leur cadre de vie rural, souvent désindustrialisé. A travers ces parcours individuels et familiaux, c’est un siècle d’histoire sociale qui surgit. C’est surtout cette France des campagnes, anciennement ouvrière, qui fait peu la une des médias, que révèle ce très beau livre.
Travailleurs venus d’ailleurs – Laure Teulières (texte), Gilles Favier et Sara Jabbar-Allen (photos) – Ed. Le Rouergue – 30 €