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Logement de substitution

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A Gap, un dispositif de logements-relais conçu par l’association AIDES permet à des personnes séropositives au VIH ou à l’hépatite C de bénéficier d’un hébergement temporaire, le temps de stabiliser leur projet de soin et d’élaborer un projet de vie.

Une sonnerie retentit. Dominique Pasquio, la coordinatrice d’Alter Ego (1) – un dispositif d’appartements-relais géré à Gap (Hautes-Alpes) par l’association de lutte contre le sida AIDES – ouvre la porte à Antoine M., l’un de ses résidents. « J’ai tous les documents pour mon nouvel appartement, commence celui-ci, enthousiaste, une fois installé dans le bureau de l’éducatrice spécialisée. Mais bon, il a besoin d’être un peu mis au propre. Et puis il y a tous ces rendez-vous à prendre avec le plombier, le menuisier. Je ne sais pas quand je vais pouvoir emménager avec tout ça. » Après sept mois d’hébergement dans l’un des six appartements-relais d’Alter Ego, Antoine, originaire des Bouches-du-Rhône, vient de se voir attribuer un logement HLM. « Ne t’inquiète pas, on attendra que tout soit prêt avant d’organiser ton déménagement, le rassure Dominique. On ne va pas te mettre dehors pour que tu te retrouves dans un appartement en travaux et que tu retombes malade. En attendant, il faut vite que tu t’organises pour fixer les rendez-vous. »

Un environnement très attractif

Alter Ego a été conçu en 1993 par AIDES et par le centre spécialisé de soins aux toxicomanes (CSST) Accueil Joie Espoir, par la suite rebaptisé Le Cap, puis transformé en centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). « Le besoin d’appartements était ancien, explique François Monnier, éducateur spécialisé et ancien directeur du Cap. Nous étions deux structures agissant sur des thématiques différentes, mais qui se retrouvaient avec un public en commun partageant ce problème d’habitat. » Le projet initial est donc d’accueillir des personnes séropositives et/ou toxicomanes rencontrant des difficultés de logement, de leur offrir un hébergement adapté et un accès à un logement durable. « Mais rapidement, pour des questions de fléchage des crédits, le VIH est devenu la porte d’entrée officielle dans le dispositif », résume François Monnier. Même si, jusqu’à récemment, plus de 90 % des résidents d’Alter Ego étaient des toxicomanes (désormais sous substitution) ou des anciens toxicomanes. « Il s’agissait souvent de personnes orientées par des centres médicaux, des centres d’accueil pour toxicomanes de Marseille ou de la région parisienne, qui voulaient faire un break, s’exiler pour entamer un sevrage et changer de vie », explique Dominique Pasquio (2).

La région des Hautes-Alpes est en effet particulièrement attractive, réputée pour son bon air et sa qualité de vie. Le centre médical Rhône-Azur y a longtemps disposé d’un service de soins de suites pour les pathologies infectieuses qui accueillait de nombreux malades du sida. Et le CSST était également très fréquenté. « Les gens venaient dans la région pour des soins, notamment lorsque leur état de santé était compliqué par des pneumopathies ou une tuberculose, fréquentes chez les personnes séropositives avant que n’apparaissent les trithérapies, résume Dominique Pasquio. Et puis ils s’apercevaient que la qualité de l’environnement améliorait, voire prolongeait leur vie, alors ils avaient envie de rester. »

A l’image de Brigitte Budet, qui a débarqué dans la région en 1992 dans l’objectif de « décrocher de la poudre ». Elle se savait séropositive depuis 1985. « A l’époque, j’avais une amie qui habitait dans un petit village des environs et qui a proposé de m’accueillir. La substitution n’existait pas, j’avais déjà suivi plusieurs cures de désintoxication, il me fallait tenter autre chose. » Elle découvre alors la montagne, une autre vie, se lance à nouveau dans des études et parvient progressivement à s’insérer. « J’avais trouvé un appartement, une sorte de studio aménagé dans un garage, mais qui s’est très vite révélé insalubre, se rappelle-t-elle. A l’hôpital où j’étais suivie pour le VIH, on m’a parlé d’Alter Ego, et c’est comme cela que j’ai intégré un de leurs appartements. »

A présent, pour accéder à un logement du programme, il faut être séropositif ou atteint d’une hépatite C et s’inscrire dans un projet de soin. Le candidat est généralement convié à une ou deux rencontres dans les locaux d’Alter Ego. Les entretiens sont réalisés par Dominique Pasquio, accompagnée d’un représentant d’AIDES ou du CSAPA. « Il s’agit de voir où en est la personne avec sa maladie, ses traitements, explique Michelle Hadou, volontaire à AIDES Gap. De s’assurer qu’elle correspond à ce que le dispositif peut lui apporter. Et d’avoir des regards différents sur sa candidature. » Une fois les entretiens réalisés, un comité technique qui réunit des représentants du CSAPA et d’AIDES prend une décision. « Il est rare que nous refusions les personnes qui sont orientées vers nous, parce qu’Alter Ego est désormais parfaitement connu des instances sanitaires et sociales de la région », note Dominique Pasquio. Néanmoins, des pathologies trop complexes ou non stabilisées peuvent amener à refuser l’accueil, le résident devant être capable de se prendre en charge dans un logement autonome.

Dès l’origine, le programme s’est constitué autour de six appartements (deux T1, trois T2 et un T3), dont deux sont loués à des propriétaires privés. Ils accueillent en majorité des personnes seules, parfois en colocation dans le T3, mais des couples ou des parents avec enfants ont aussi pu être hébergés. Au total, jusqu’à une quinzaine de personnes peuvent être accueillies chaque année. « Une de nos réussites, c’est que nous avons toujours gardé les mêmes logements, alors qu’on aurait pu croire que le voisinage n’accepterait pas nos résidents et créerait des problèmes, se félicite Dominique Pasquio. Il n’y en a jamais eu, sauf au tout début du programme, avec des personnes qui avaient repris consommation et trafic dans l’appartement loué par Alter Ego. » L’accès à un logement durable, adapté à des ressources souvent réduites à la seule allocation aux adultes handicapés, est l’objectif le plus courant du contrat d’accueil que signent tous les résidents à leur arrivée. Ce document, valable pour une durée de trois mois et renouvelable jusqu’à un an, prévoit aussi souvent une meilleure observance des traitements.

C’est notamment le cas d’Ablassé Zoungrana. Originaire du Burkina Faso, cet artisan avait émigré en France pour rejoindre sa compagne française en 2001. Il avait créé une ONG avec laquelle il invitait d’autres artisans burkinabés à venir organiser des ateliers de loisirs dans l’Hexagone. En 2003, la découverte de sa séropositivité a sonné le glas de sa belle histoire. Obligé de quitter sa compagne, il est hébergé une première fois chez Alter Ego, puis se reconvertit comme agent de chantier et trouve un logement. « Mais au bout de quelques années, la boîte a coulé et j’ai appris que mon patron n’avait jamais cotisé pour moi aux Assedic, explique Ablassé. Et je me suis retrouvé à la rue. » Sans ressources, avec un état de santé se dégradant et plus d’accès au soin, Ablassé reprend finalement contact avec AIDES. « Fin 2010, je suis rentré dans un des appartements à Molines. Je reprends bien mes traitements à présent. Et j’espère que je vais retrouver un boulot, peut-être faire une formation… »

L’objectif du retour à l’emploi est rarement intégré dans les contrats d’accueil. « Même si le dispositif n’inclut que des personnes totalement autonomes, leur état de santé est souvent trop dégradé pour reprendre un travail, note Dominique Pasquio. Nous avons également des personnes qui ont vécu un long parcours d’exclusion. Ce qui rend difficile leur insertion sur le marché du travail. » Brigitte Budet fait presque figure d’exception dans ce décor : grâce à son réseau personnel et à ses efforts, elle a pu décrocher un emploi à temps partiel, qu’elle occupe depuis quinze ans. Sur son temps libre, elle assure l’accueil à AIDES durant l’une des trois demi-journées de permanence de la semaine.

Cette permanence est conçue comme un outil d’insertion et de soutien. La plupart des résidents s’engagent à s’y rendre deux fois par semaine, beaucoup y passant plus régulièrement : 40 % de la file active de l’accueil sont constitués par les résidents, auxquels s’ajoutent les « anciens » du dispositif… « Les personnes qui font appel à nous pour leurs difficultés d’hébergement sont généralement dans un état de grand isolement lié à leur parcours marginal, à leur “exil volontaire”, lorsque ce sont des personnes qui débarquent d’une autre région, à leur pathologie aussi, résume Dominique Pasquio. Passer à l’accueil, c’est les engager à sortir de chez elles, à rencontrer ici d’autres personnes hébergées, des volontaires, voire d’anciens bénéficiaires du programme. » La permanence est également un lieu de parole. « Les gens ne peuvent pas parler à l’extérieur de leur maladie ou de leurs traitements, parce que le VIH, cela reste stigmatisant. Ici, c’est possible », souligne Patricie Mugwaneza, qui remplace actuellement Marie Capellan, avec qui Dominique Pasquio partage habituellement la coordination du programme.

Communauté et volontariat

« Car la vraie force d’Alter Ego, c’est son côté communautaire, souligne François Monnier. Les gens vont travailler sur leur projet de soin et leur projet de vie, et une fois qu’ils sont stabilisés, ils vont continuer à venir et à aider les autres. » Certains passent de temps à autre, pour prendre des nouvelles de l’équipe et donner des leurs. D’autres assurent une permanence, à l’image de Brigitte Budet. « Un jour, ici, j’ai accueilli quelqu’un qui refusait de se faire soigner, se souvient-elle. Nous avons parlé longuement et je lui ai raconté l’histoire d’un jeune mort d’avoir refusé trop longtemps les traitements. Je lui ai parlé de moi, de ce que j’avais vécu. Je lui ai dit que je prenais des traitements et que tout allait bien. Et le lundi matin, j’apprenais qu’il était entré à l’hôpital pour enfin se soigner. »

Certains deviennent également des volontaires d’AIDES : dans les Hautes-Alpes, sa délégation départementale est constituée de dix volontaires qui font vivre l’ensemble des actions de prévention et de soutien aux malades, et qui participent aux décisions d’inclusion dans le dispositif Alter Ego. Dominique Pasquio est elle-même devenue l’une de ces volontaires. « Cela m’a permis de suivre les journées de formation que doivent suivre tous les volontaires et d’acquérir une légitimité, précise-t-elle. En tant que salariée, j’étais partie prenante de la réflexion, mais pas des décisions. » Enfin, parmi les anciens bénéficiaires du dispositif d’hébergement-relais, certains sont devenus des élus locaux de l’association. C’est le cas de Julien D., ancien bénéficiaire de l’un des appartements d’Alter Ego. « J’ai décidé de m’impliquer davantage afin de pouvoir participer aux décisions politiques de l’association », explique-t-il simplement.

Hors permanences d’accueil, les résidents viennent sur rendez-vous pour travailler avec Dominique Pasquio sur un point de leur dossier social : réouverture de droits, transfert de dossier depuis un autre département, demande de logement social, etc. Chaque lundi matin, une infirmière du centre hospitalier de Gap, Sylvie Dopre, est également présente pour coordonner le suivi des patients VIH. « L’hôpital est une grosse machine qui fait un peu peur, explique-t-elle. Quand les patients me rencontrent ici, sans la blouse, c’est plus sympathique. » Il s’agit de pouvoir évoquer les traitements, le suivi médical global, éventuellement planifier les examens biologiques pour les personnes vraiment en difficulté avec l’institution hospitalière. Sylvie Dopre participe également à d’autres activités organisées par AIDES, telles qu’un atelier nutrition ou des sorties conviviales.

Pour accompagner les résidents vers leurs objectifs, Dominique Pasquio doit parfois les soutenir de façon intensive. « Pour certains, il faudra leur apprendre à vivre seul, à faire leurs propres achats, à prendre soin d’un logement », résume-t-elle. Pour d’autre, une véritable médiation sociale sera nécessaire. « Nous aidons des gens en difficulté avec le dispositif de droit commun. Par exemple, si nous envoyons quelqu’un à la CAF avec un dossier un peu spécial, nous passerons un coup de fil auprès de l’institution pour prévenir de son arrivée. Dans certains cas, nous accompagnerons les personnes, parce que le simple fonctionnement de l’institution ne leur est pas accessible. L’accompagnement limite beaucoup les démarches infructueuses. »

Des financements en baisse

Le programme est financé par l’allocation logement temporaire – versée directement à Alter Ego pour l’ensemble des appartements conventionnés – et une subvention de l’agence régionale de santé. Un financement du conseil général pour l’accompagnement social complète le budget. En outre, une participation d’environ 85 € mensuels est demandée à la personne hébergée. « Mais ces financements sont en baisse depuis plusieurs années, s’inquiète Dominique Pasquio. Jusqu’à présent, AIDES a financé la diminution de budget, mais nous allons à présent devoir abandonner un appartement. » A l’avenir, ces logements-relais devraient donc être transformés en appartements de coordination thérapeutique. « Ce serait plus proche de ce que nous faisons. Et peut-être plus logique puisque la porte d’entrée chez Alter Ego, c’est la santé, et non la précarité. » Le dispositif est par ailleurs inséré dans de nombreux réseaux locaux. La coordination santé précarité, par exemple, un groupe de travail créé par la CPAM afin de réfléchir sur ce qui fait obstacle au soin. Ou bien le réseau logement, qui réunit les partenaires du secteur médico-social pour travailler sur l’accès au logement de publics prioritaires, dont font partie les résidents d’Alter Ego.

« Longtemps, nous avons rencontré d’importantes difficultés pour accéder au parc HLM, qui était saturé », raconte Dominique Pasquio. Ce qui a pu constituer un obstacle pour organiser les sorties du dispositif. « A une époque, j’ai même incité certains de nos résidents à chercher un logement dans le secteur privé. Mais c’était très difficile, car ils ne présentaient pas les garanties exigées. Puis cela a changé, les bailleurs sociaux ont construit, les délais d’accès aux logements HLM se sont raccourcis. Et depuis la loi DALO, je n’hésite pas à allonger la durée d’hébergement jusqu’à ce qu’un logement social se libère. » De bonnes relations ont ainsi été nouées avec le principal bailleur de la ville. « Nous travaillons avec eux depuis le début et ils savent que nous accompagnons les personnes dans l’emménagement et même après leur sortie de notre dispositif. » Les résidents d’Alter Ego sont d’ailleurs presque systématiquement reçus par Katherine Noto, la conseillère sociale de l’office public HLM de Gap, afin de mieux préparer leur dossier pour la commission d’attribution : « Nous pouvons nous adapter à des demandes très ciblées en fonction de leur état de santé, compte tenu du parc locatif actuellement disponible », souligne-t-elle. A l’exemple de Stéphane C., qui a emménagé dans la commune de Saint-Bonnet. Un passage de relais a été organisé avec Louise Picard, l’assistante de service social du conseil général qui exerce sur ce secteur. « Je récupère tout le suivi administratif, financier de ce monsieur. C’est plus pratique, car la commune est relativement éloignée de Gap, et je suis installée à 500 mètres de chez lui. » L’assistante sociale a l’habitude de ce genre de procédure. « La facilité avec Alter Ego, c’est qu’ils connaissent vraiment bien la personne, poursuit-elle. Et je sais que Dominique Pasquio maintient le contact. Donc si j’ai un souci, je peux la contacter et on en parle pour voir ce qui est possible. »

Depuis quelques années, le profil type des personnes prises en charge a évolué. Désormais le programme accueille aussi des personnes infectées par l’hépatite C ou par les deux maladies. Pour celles qui entament un traitement sous interféron, le contrat peut être renouvelé jusqu’à dix-huit mois, en raison des puissants effets secondaires du traitement. « Et depuis deux ans, nous recevons beaucoup de demandes émanant de centres d’accueil d’urgence et de France terre d’asile, qui a installé un CADA à Gap », ajoute Dominique Pasquio.

Pour la travailleuse sociale, la réussite est au rendez-vous : « Quasiment tous les résidents sortent vers un logement social. Occasionnellement, il est arrivé qu’on oriente vers un centre d’hébergement et de réinsertion sociale quelqu’un qui avait besoin d’un accompagnement plus cadré. Et tous sont engagés dans un projet de soin et vivent bien avec leurs traitements. » Un tiers des quelque 200 bénéficiaires du dispositif se sont installés définitivement dans la région, d’autres ont poursuivi leur projet dans leur ville d’origine ou ailleurs. Des objectifs individuels plus spécifiques sont parfois atteints, comme une reprise de contact avec la famille ou le rétablissement d’un lien père-enfant. Enfin, certains rencontrent aussi l’âme sœur. « Après m’être reconstruit une vie ici, y avoir retrouvé une famille, puis fait venir ma mère, qui vivait en région parisienne, rencontrer mon Luis il y a onze ans, cela a été comme la cerise sur le gâteau », aime à souligner Brigitte Budet.

Notes

(1) Alter Ego : 2, rue Champollion – 05000 Gap – Tél. 04 92 51 13 44.

(2) Dominique Pasquio vient de publier VIH, le virus de l’intégration (Presses de l’EHESP), dans lequel elle évoque le projet d’Alter Ego.

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