« Le CV anonyme reste un outil efficace », estime l’association IMS-Entreprendre pour la cité (1), qui conteste les résultats de l’étude sur l’impact de l’anonymisation des CV, publiée fin mars par le Centre de recherche en économie et statistiques (CREST) (2). Les chercheurs avaient comparé l’accès aux entretiens des candidatures envoyées par CV anonymes et CV nominatifs aux entreprises. Les résultats montrent que, loin de les aider à trouver un emploi, le CV anonyme diminuerait les chances des candidats issus de l’immigration ainsi que ceux habitant dans les zones urbaines sensibles (ZUS) d’accéder à un entretien de recrutement.
Pour Claude Bébéar, président d’IMS-Entreprendre pour la cité, « ces résultats ne sont pas révélateurs de l’impact réel du CV anonyme » car la méthodologie serait « biaisée ». Selon lui, « les recruteurs », volontaires pour participer à l’expérimentation qui a nourri l’étude, savaient qu’ils seraient évalués et ont, « consciemment ou non, modifié leurs pratiques en prêtant une attention particulière à la non-discrimination et à la diversité ». Ainsi, lorsqu’ils faisaient partie de l’échantillon recevant des CV nominatifs, les employeurs ont privilégié des candidats habitant en ZUS ou issus de l’immigration, relève, sur son blog, Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations, ce qui constitue « une nette discrimination positive ». Les recruteurs ayant été informés que leur pratique serait analysée, « comment imaginer [qu’ils] n’aient pas souhaité se comporter de manière vertueuse ? », s’interroge-t-il. Même constat de la part de l’association A compétence égale (3), qui note que ce travail a été réalisé « sur un nombre limité de recrutements, de surcroît effectués par des entreprises volontaires et dans un contexte de récession économique et d’aggravation du chômage ».
Au final, « ces résultats indiqueraient qu’il n’y a pas de discrimination en France », s’étonne IMS-Entreprendre pour la cité, qui précise que cette conclusion va à l’encontre des constats faits sur le terrain. « Toutes les études menées tant en France qu’à l’étranger ont montré que lorsque des CV similaires sont envoyés dans le cadre de testings, les employeurs préfèrent nettement les CV de candidats qui ne sont pas issus de l’immigration africaine », affirme Jean-François Amadieu. Pour l’IMS-Entreprendre pour la cité, les principaux atouts du CV anonyme – limiter les phénomènes d’autocensure des candidats issus de la diversité et sensibiliser les recruteurs en les formant à la non-discrimination – « n’ont pas été évalués ». L’association soutient d’ailleurs cette pratique même si elle ne souhaite pas la rendre obligatoire.
Pour SOS Racisme, ferme partisan de la généralisation du CV anonyme, les conclusions de l’étude sont « contradictoires » et sa « fiabilité » sujette à caution. « On cherche à prouver que cela ne marche pas », estime Loïc Rigaud, directeur de SOS Racisme à Lyon. L’étude du CREST avait en effet été commandée par le gouvernement afin d’examiner s’il est opportun ou non de publier le décret d’application de la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances rendant obligatoire le CV anonyme dans les entreprises de plus de 50 salariés. Au ministère du Travail, on indique vouloir « prendre le temps de la réflexion ». Enfin, l’association A compétence égale propose que le gouvernement organise une « étude d’envergure sur les pratiques discriminatoires dans notre pays », qui permettrait de lancer « un plan ambitieux de promotion de l’égalité en France ».
(1) Crée en 1986, IMS-Entreprendre pour la cité accompagne les entreprises dans leur « engagement sociétal » : accès de tous à l’éducation, à l’emploi et aux biens essentiels.
(2) Voir ASH n° 2705 du 15-04-11, p. 11.
(3) A compétence égale rassemble 46 cabinets de recrutement, et a pour vocation de lutter contre tout type de discrimination à l’embauche.