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ESAT : pour une concertation loyale sur les tarifs plafonds

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Indignation. Le terme fait florès actuellement, mais au-delà des effets de mode, il reflète très exactement l’état d’esprit de nombreux établissements et services d’aide par le travail (ESAT) depuis l’application des tarifs plafonds, explique Yanick Boulet, directeur général de l’Entraide universitaire, qui s’exprime au nom du Collectif des associations gestionnaires d’ESAT parisiens (1).

« En octobre dernier, Stéphane Hessel réveillait nos consciences avec son merveilleux livreIndignez-vous, nous rappelant notamment que la faculté d’indignation est une des qualités qui fondent l’humain et que, si l’on prend le temps de chercher un peu autour de soi, on trouve souvent quelques sujets dignes de provoquer cette indignation.

Administrateurs d’associations gestionnaires ou directeurs d’ESAT, nous ne pouvons nous empêcher, aujourd’hui, en regardant la situation dégradée de nos établissements, de ressentir ce sentiment de colère et d’injustice propre à l’indignation. C’est que nous nous sentons déconsidérés dans notre action et ignorés dans nos revendications.

Il y a un peu plus de un an, le désaccord était flagrant, au moins autant que l’incompréhension était grande. Non seulement on nous imposait un prix à la place associé à des tarifs plafonds dont le mode de calcul, basé sur une étude partiale, incomplète et injuste, était totalement aberrant, respectant une logique purement comptable et inscrivant une forme de discrimination entre les différents profils de handicap, mais de plus, ils nous étaient annoncés alors que l’exercice budgétaire 2009 était quasiment clos (2).

La promesse d’un peu plus de sérieux nous ayant été faite, nous aurions pu espérer être traités avec davantage de considération pour l’exercice 2010, mais les mauvaises habitudes perdurent : nous avons vu se reproduire le même scénario de communication tardive. Quant à nos dotations, ceux qui étaient au-dessus du tarif plafond ont pu constater au mieux le gel annoncé, et au pire une diminution de moyens plus que sensible. Les autres, situés au-dessous du tarif plafond, font le constat d’une dotation de toute façon insuffisante pour faire face aux charges.

Nous n’osons imaginer le désappointement, aujourd’hui, de certains qui ont peut-être cru un peu vite à l’illusion d’un effet de redistribution des établissements les “plus riches” vers les établissements les “plus pauvres”. L’insuffisance des taux directeurs accordés à tous, au regard des réalités qui s’imposent, parle d’elle-même.

Redisons, c’est une évidence, que la tarification à la pathologie est une aberration qui déconsidère le sujet ramené administrativement à la seule “valeur marchande” de son handicap. Redisons que, si l’on doit se contraindre malgré tout à ce choix, il faut alors, autre évidence, considérer la singularité d’autres pathologies (maladie psychique, atteintes sensorielles, handicaps associés) dont la prise en charge se distingue par des besoins particuliers. Nous avons l’impression que, pour le tarificateur, une personne en souffrance psychique qui entre en ESAT est de toute façon stabilisée et que son accompagnement ne pose pas plus de problèmes que celui d’une personne subissant une déficience. Ou encore qu’une personne sourde profonde, atteinte de troubles psychiques et déficiente intellectuelle de surcroît, ne demande pas de prise en charge spécifique. Cette posture est réductrice et fausse.

La tentation de la sélection à l’admission

Nous étions déjà parfois soupçonnés de choisir des personnes performantes et productives et voilà qu’apparaît la tentation de choisir des profils plus “confortables” à travers la dérive d’une sélection à l’admission.

Quelques livres brûlots ont en leurs temps vilipendé les ESAT pour leur exploitation des travailleurs en situation de handicap (nous ne contestons pas, du reste, certaines dérives). Et voilà que l’on nous met dans la situation où, pour compenser les manques de notre dotation de fonctionnement, il nous faut trouver des ressources supplémentaires par l’intermédiaire de l’activité de production. Nous l’avons déjà affirmé, ce transfert de charges auquel nous sommes obligés (quelle autre solution, sauf à licencier certains salariés, en attaquant ainsi les conditions de sécurité, d’encadrement et la qualité des prestations ?) revient à demander aux travailleurs en situation de handicap de compenser les manques de l’Etat par leur travail et à financer partiellement leur prise en charge. Nous sommes loin de l’esprit de la loi de 2005 “sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées”, à moins que le mot “participation” ne prenne, pour les travailleurs en ESAT, un sens très économique que nous n’avions pas deviné. C’est aussi penser que nos comptes commerciaux seraient toujours excédentaires, ce qui est loin d’être le cas.

Nous avions jusqu’alors le sentiment que les excédents devaient servir à améliorer le sort des usagers, sentiment renforcé par l’article R. 243-8 du code de l’action sociale et des familles sur l’obligation annuelle, pour les ESAT, d’un rapport portant sur la politique de rémunération et de formation. Il nous semble que, dans ces conditions dégradées, cela relève de l’illusion.

Nous devons aussi revenir sur les modalités de calcul des tarifs plafonds initiaux basées sur les budgets alloués et non sur les budgets demandés et qui ont exclu l’ensemble des dotations non reconductibles et des reprises de déficits. Nous connaissons tous la technique employée, qui consistait, pour le financeur, à refuser une charge au budget prévisionnel mais à en autoriser l’engagement avec promesse de reprise du déficit au compte administratif ou d’octroi d’une dotation non reconductible. Cette technique, qui a été régulièrement employée, nous vaut aujourd’hui que ces charges réelles et permanentes n’aient pas été incluses dans les bases de calcul. Quant aux dotations non reconductibles plus particulièrement, si elles avaient été accordées à titre dérogatoire pour une raison non pérenne, nous comprendrions et accepterions cette logique, mais il s’avère que ces compléments budgétaires ont été accordés durant des années à certains établissements pour le même besoin, prouvant ainsi que celui-ci n’était pas conjoncturel mais bien pérenne et justifié : par exemple la non-prise en compte des postes créés dans le cadre de l’aménagement et de la réduction du temps de travail, les frais de siège, les compléments de loyers…

Des disparités géographiques non prises en compte

Rappelons également que les conditions conjoncturelles ou les particularités locales n’ont pas non plus été prises en compte. Ainsi, pour un même profil de population, un ESAT implanté en milieu urbain se voit-il alloué le même prix à la place qu’un autre implanté un milieu rural. Personne n’ignore certaines singularités propres aux grandes agglomérations. Qui pourra croire, par exemple, que le coût de l’immobilier n’est pas plus important à Paris, à Lyon ou à Marseille qu’à Monneteau (Yonne) ou à Giberville (Calvados) ? Une contre-enquête menée par nos soins indique un coût au mètre carré cinq fois plus élevé en moyenne à Paris que dans le reste de la France et, de l’aveu même de notre agence régionale de santé, le secteur sanitaire a été sérieusement re-basé il y a quelques années afin de pouvoir faire face à des charges qui subissaient le “surcoût francilien”. Il est étrange qu’aujourd’hui, cette réalité ne soit pas reconnue dans notre cas.

Pour conclure, il nous faut rappeler que le secteur sanitaire a dû faire, lui aussi, des efforts de réduction des coûts qui, intelligemment, ont été intégrés à un contrat d’objectifs et de moyens pluriannuel. Encore une fois, puisque nous l’avons déjà affirmé, et indépendamment du fait que la tarification à la pathologie nous paraisse inopportune et injuste, il aurait sans doute été davantage pertinent de nous proposer ce type de contrat qui nous aurait permis de lisser dans le temps l’effort nécessaire en jouant sur les leviers que nous connaissons (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, par exemple) et en adoptant une stratégie de choix impliquant tous les échelons de nos établissements.

Les négociations préalables à l’arrêté créant les tarifs plafonds n’en ont pas été, les participants ayant eu l’impression très nette qu’ils avaient été écoutés mais non entendus et que les choses étaient jouées d’avance. Nous en subissons aujourd’hui les conséquences, dramatiques pour certains.

Cela confirme notre sentiment d’indignation.

C’est pourquoi nous redisons la nécessité d’une nouvelle concertation loyale et davantage pertinente. C’est pourquoi, également, nous soutenons résolument les cinq organisations qui ont à nouveau saisi le Conseil d’Etat d’un recours contre les tarifs plafonds et que nous collaborerons avec elles à la réussite de ce recours (3). »

Contact : yboulet@eu-asso.fr

Notes

(1) Ce collectif a été créé début 2010 à la suite de l’arrêté portant sur la création des tarifs plafonds. Il regroupe 13 associations parisiennes gestionnaires représentant 17 des 34 ESAT parisiens. Il est soutenu par le collectif associatif de l’Essonne et s’est rapproché d’associations de la région Rhône-Alpes, elles aussi en désaccord avec le système de tarification imposé.

(2) Voir ASH n° 2627 du 9-10-09, p. 11 et n° 2629 du 23-10-09, p. 12.

(3) Le Conseil d’Etat, qui avait été saisi par l’Association des paralysés de France (APF), a récemment validé les tarifs plafonds des ESAT pour 2009. Mais cette association ainsi que l’Uniopss, la FEHAP, l’ADAPT et la Fegapei ont déposé un autre recours, contre les tarifs plafonds pour 2010 cette fois – Voir ASH n° 2696 du 11-02-11, p. 9.

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