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L’intergénération : un levier pour l’action sociale ?

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Depuis une vingtaine d’années, la démarche intergénérationnelle se propage dans des secteurs très divers. Si les actions qui s’en réclament sont d’un intérêt variable, certaines développent une approche transversale recréant du lien social au-delà des différences d’âge. Elles se heurtent néanmoins à la verticalité des politiques publiques et des financements.

Depuis quelques années, le terme « intergénération » est utilisé dans des champs très variés : de la culture à l’insertion, de la formation à la solidarité de proximité, des nouvelles technologies à la transmission des savoirs, du loisir à l’habitat, de la santé à l’éducation… Les pouvoirs publics l’invoquent du sommet de l’Etat aux collectivités locales. Les associations s’en sont emparées. Le terme « est en passe de devenir un véritable paradigme de pensée et d’action dans tous les domaines », commente Mohammed Malki, auteur d’un guide méthodologique sur le sujet (1) et conseiller technique sur les personnes âgées au cabinet de Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale. « La démarche est au goût du jour et la plupart des gens sont désormais acquis à l’intergénération », estime également Murielle Senlecques, coordinatrice de l’association « Générations et cultures » (voir encadré, page 33).

Comment expliquer un tel succès ? La réponse tient sans doute au fait que la démarche vise à inventer de nouvelles solidarités entre les générations alors même que, pour la première fois de l’histoire, quatre, voire cinq d’entre elles coexistent. En repensant la place des différents âges, elle répond à une série d’enjeux qui traversent la société. L’heure est à la crispation sociale ? L’intergénération stimule les liens sociaux en rompant « avec la culture du “jeunisme” et celle de son opposé, l’“âgisme”, facteurs de discrimination et de frustration », soutient Mohammed Malki (2). L’allongement de l’espérance de vie fragilise notre modèle de cohésion sociale, comme le montrent les interrogations autour de la prise en charge de la dépendance ? L’intergénération réinvente notre rapport aux personnes âgées en considérant la vieillesse « comme une ressource à mieux valoriser et non pas comme le signe d’un handicap pour les individus concernés et de déclin général de notre société », assure encore Mohammed Malki.

Perçue comme une réponse possible à la double question du vieillissement et de la crise socio-économique, la démarche rassure. « Son intérêt anthropologique est évident dans la mesure où elle rencontre l’aspiration que nous avons tous à être en relation avec d’autres et pas complètement enfermés sur nous-mêmes », note Luc Roussel, délégué de la Fédération des centres sociaux du Nord, chargé d’une mission nationale sur l’accompagnement des populations vieillissantes au sein de la Fédération des centres sociaux et socioculturels de France (FCSF) (3).

Pendant longtemps chasse gardée des acteurs gérontologiques (voir encadré, page 34), l’intergénération est encore un axe fort de l’action développée dans les maisons de retraite, notamment par les animateurs socioculturels. Objectif principal : amener un peu de vie dans les établissements en les ouvrant sur l’extérieur par le biais de partenariats avec les écoles, les structures de la petite enfance ou les associations de jeunesse. « Non seulement ce type d’événements est une bouffée d’oxygène pour les résidents qui sont très demandeurs de cette rupture de rythme par rapport à leur quotidien, mais il permet également de travailler sur le maintien des liens hors de l’institution, ce qui est essentiel pour conserver l’autonomie des personnes âgées », explique Anthony Merlin, animateur à la maison de retraite Notre-Dame-des-Campagnes à Caffiers (Pas-de-Calais).

De multiples déclinaisons

Cantonner l’intergénération à la rencontre ponctuelle de personnes âgées et de jeunes enfants, c’est toutefois faire fi des subtilités de la démarche. Juxtaposer deux âges ne peut suffire à provoquer un échange entre les générations. « C’est le premier degré de l’intergénération, mais il en existe bien d’autres », précise Luc Roussel. « Au-delà de la mise en lien de publics dans les extrémités de l’âge, l’intergénération renvoie aussi à la mise en lien de générations intermédiaires, y compris des familles », poursuit Smaïl M’Raïm, délégué de l’Union régionale de la Fédération des centres sociaux d’Aquitaine, chargé également de la mission nationale sur l’accompagnement des populations vieillissantes au sein de la FCSF. « C’est une démarche qui se construit également entre les jeunes et les adultes, entre les retraités actifs et le grand âge… avec l’idée qu’on a toujours un plus jeune ou un plus vieux que soi », observe, pour sa part, Anne-Paule Roposte, directrice du service « autonomie » au centre communal d’action sociale (CCAS) de Besançon.

Cette municipalité s’est dotée dès 2003 d’une commission « inter-âges ». D’abord reliée au service dédié aux personnes âgées, elle s’est transformée en 2009 en commission « jeunesse et inter-âges » rattachée à la direction de la vie des quartiers afin d’ouvrir la problématique intergénérationnelle à la jeunesse. La ville est, en effet, très attentive aux jeunes adultes « à la fois en demande d’engagement citoyen tout en manquant de références », et souvent perçus comme une menace par les personnes âgées. Dans le cadre d’une expérimentation menée jusqu’à la fin de l’année 2010, quelques appartements leur ont été réservés au sein d’un foyer-logement avec une réduction de charges en contrepartie de dix heures par mois consacrées aux aînés. Parallèlement, les jeunes volontaires peuvent, chaque été, en échange de chèques-vacances, accompagner les travailleurs sociaux dans leur visite de personnes âgées isolées. Par-delà le binôme jeunes-vieux, la municipalité soutient aussi, entre autres initiatives, la démarche d’un groupe d’anciens qui souhaite s’investir dans le parrainage de nouveaux retraités.

De fait, comme l’indique Luc Roussel, « l’intergénération n’a pas comme unique plus-value possible l’autonomie des personnes âgées : elle peut aussi améliorer l’exercice de la citoyenneté, favoriser l’accompagnement à la parentalité, faciliter l’appropriation de l’espace public et bien d’autres choses encore ». Ce faisant, comme en témoignent les actions menées par la ville de Besançon, la démarche se propage bien au-delà des établissements pour personnes âgées et du cercle gérontologique. A trop vouloir s’étendre, ne risque-t-elle pas de se transformer en simple gadget marketing ? Il existe bien sûr des actions étiquetées « intergénérationnelles » qui relèvent d’une simple stratégie de communication. Faciles à repérer, elles n’ont pas été pensées comme telles. A l’inverse, la démarche intergénérationnelle est justement une… démarche, assurent ses partisans. Et d’insister sur le fait qu’elle se construit patiemment, sur le long terme, dans le cadre d’une dynamique globale associant une diversité d’acteurs.

A l’image de l’action menée au sein du quartier « Générations », résultat du partenariat entre la commune de Saint-Apollinaire en Côte-d’Or, l’OPAC de l’agglomération de Dijon et une fédération de services à domicile et d’hébergements pour personnes âgées, handicapées et malades, la Fédération dijonnaise des œuvres de soutien à domicile (Fedosad). Fruit de la rencontre de trois besoins – logements sociaux, structures d’accueil pour les personnes âgées et structures d’accueil pour la petite enfance –, le programme de 76 logements sociaux (moitié pour des retraités, moitié pour des jeunes couples avec au moins un enfant de moins de 5 ans) a émergé en 2002 sur une parcelle de 1,2 hectare intégrée dans un nouveau quartier de la commune de Saint-Apollinaire. Les locataires, qui sont invités à signer une charte les engageant à se rendre mutuellement des services, bénéficient d’équipements municipaux (structure multi-accueil petite enfance, ludothèque, relais assistantes maternelles…). La Fedosad, qui gère un point accueil assurant une multitude de services à destination des aînés, a également créé deux petites unités de vie pour personnes âgées. Les trois partenaires ont signé une convention pour faire vivre cette dynamique intergénérationnelle à l’échelle du quartier, mais aussi de la commune. Des projets du même ordre fleurissent un peu partout à plus petite échelle. Comme à Poitiers où un bailleur social, Sipea Habitat, et la ville projettent de transformer un immeuble du quartier des Trois-Cités en résidence intergénérationnelle dans le cadre d’une opération de rénovation urbaine.

Que ce soit pour impliquer les anciennes générations de façon à conserver la mémoire d’un quartier tout en favorisant la transmission de cette histoire aux plus jeunes ou pour mobiliser les habitants sur les questions touchant à leur cadre de vie, les acteurs de la politique de la ville se saisissent ainsi de cette question, épaulés par les bailleurs sociaux et les collectivités locales. Parmi les nombreuses initiatives, on peut citer celle qui a réuni en octobre 2009, dans le quartier Beaulieu de Wattrelos (Nord), toutes les générations autour d’une mosaïque en tissu de cinquante mètres carrés où petits et grands ont pu s’exprimer avant qu’elle ne soit déposée sur un immeuble destiné à la démolition. « Le festival a été l’aboutissement d’un grand nombre d’actions intergénérationnelles qui ont ponctué la vie du quartier pendant un an », raconte Thierry Coulomb, directeur du centre social de l’Avenir, structure qui a été sollicitée par la ville pour piloter le projet en partenariat avec « Générations et cultures ».

Il n’est pas rare, comme à Wattrelos, que les centres sociaux soient fortement impliqués dans des dynamiques intergénérationnelles. De fait, dès 2005, la FSCF a entamé une vaste réflexion sur cette problématique qui entre en résonance avec l’approche globale des personnes qu’elle défend. « L’intergénération fait partie des missions des centres sociaux qui sont depuis toujours des équipements qui brassent tous les âges », explique Smaïl M’Raïm. La démarche a permis aussi de remettre à plat les projets des centres sociaux, certes ouverts à tous, mais dont les activités restaient découpées en tranches d’âge segmentées (atelier cuisine pour les mères de famille, scrabble pour les personnes âgées, sport pour les enfants…). L’intergénération bouscule les pratiques en défendant un projet d’ordre plus politique, assure Luc Roussel : « C’est un moteur pour reconstruire du vivre-ensemble et renouveler le pacte social entre les âges. »

S’appuyant sur les ressources et la disponibilité des personnes âgées, les centres sociaux tentent ainsi d’inventer de nouvelles formes d’actions solidaires qui permettent aux anciens de continuer à être acteurs de la vie locale. Avec « Mamies Solidaires », le centre social Rive-Gauche de Bergerac (Dordogne) offre la possibilité à des familles de bénéficier d’un mode de garde occasionnel, deux fois par semaine, grâce à des personnes âgées bénévoles qui ont suivi une petite formation. En échange, les mamans s’engagent à leur rendre de menus services. Forte de ce savoir-faire, la FCSF a noué des partenariats avec la Fondation de France dans le cadre de son appel à projets « Vieillir dans son quartier, dans son village » et signé une convention avec la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) autour de la prévention du vieillissement jusqu’en 2013. « Il s’agit pour nous, explique Smaïl M’Raïm, de répondre à la question suivante : que construit-on pour que les personnes âgées s’intègrent à des dynamiques qui concernent les enjeux d’aujourd’hui et de demain et qui ne les cantonnent pas à des problématiques de transmission et de mémoire ? »

L’axe de la transmission reste toutefois très présent dans les projets intergénérationnels. C’est le cas pour l’action d’insertion menée au sein de l’atelier Roul’âge, à Brest. Grâce à une convention avec le conseil général, une vingtaine d’anciens ouvriers, retraités bénévoles, encadrent jusqu’à 14 allocataires de minima sociaux, âgés de 30 à 55 ans en situation de grande précarité (en moyenne, sans emploi depuis six ans et isolés). Leur activité : collecter, restaurer et expédier du matériel paramédical vers des pays en développement. Sous la houlette d’une conseillère en insertion qui assure la coordination de l’équipe et l’accompagnement social des bénéficiaires orientés par des travailleurs sociaux et des associations partenaires, l’atelier permet aux retraités de poursuivre une activité socialement utile et aux personnes en insertion de se former auprès des anciens.

L’importance du bénévolat

Comme beaucoup d’autres actions intergénérationnelles, il repose largement sur le bénévolat. « A la différence des structures d’insertion classique, l’engagement des allocataires repose sur un contrat moral par lequel ils s’engagent à mener à bien un projet de remobilisation, expose Marie-Hélène Jacolot, la conseillère en insertion. Mais si la personne a la capacité d’aller vers l’emploi, l’atelier peut servir de sas vers un chantier ou une entreprise d’insertion. »

Pour l’atelier Roul’âge, le bénévolat participe à la cohérence de l’action, qui repose sur l’investissement des retraités. Mais, plus qu’un choix, c’est aussi parfois le résultat d’une absence de moyens. « Les pouvoirs publics nous font confiance depuis des années, mais continuent à nous financer action par action », déplore Murielle Senlecques, qui aimerait que l’association « Générations et cultures » bénéficie d’une enveloppe pluriannuelle. Nombreuses sont, en effet, les actions qui s’arrêtent faute d’un financement pérenne.

Mais ce ne sont pas ces aléas budgétaires qui expliquent que les secteurs traditionnels de l’action sociale – éducation spécialisée, service social – restent encore assez en marge de la démarche intergénérationnelle, bien que « ses acteurs aient désormais acquis une expérience et une légitimité qui leur permettraient de croiser leur savoir-faire avec ceux des travailleurs sociaux ». La raison est davantage culturelle. « Historiquement, l’action sociale obéit à une logique d’intervention qui saucissonne les publics par thématique et par âge alors que l’intergénération est une démarche transversale et globale qui décloisonne les structures et les publics », souligne Luc Roussel.

« Transversalité », ce mot-clé résume la spécificité de l’approche intergénérationnelle. C’est justement cette caractéristique qui permettrait d’« apporter un peu d’air frais » aux travailleurs sociaux, défend Murielle Senlecques : « Plutôt que de les enfermer sur un seul type de public, cette démarche fédératrice pourrait leur offrir la possibilité de rencontrer d’autres structures et d’autres professionnels et favoriser le dynamisme en luttant contre l’essoufflement et la routine et en générant de l’entraide : prêt de matériel, demande de subvention commune… » Le sociologue Dominique Argoud va encore plus loin : « Dans un contexte où la pression s’accentue sur les travailleurs sociaux, l’intergénération peut redonner du sens à l’action des professionnels et être un vecteur qui permet de dépasser une approche trop gestionnaire du lien social et des populations. En insufflant de la transversalité et en créant des liens entre populations, elle peut devenir un levier d’innovation et générer de nouvelles pratiques d’action sociale à l’échelle d’un territoire. »

Pourtant, cet enthousiasme à promouvoir la démarche intergénérationnelle se heurte aux logiques des politiques publiques qui, pour l’instant, à l’exception de la politique de la ville, de l’action sociale des caisses d’allocations familiales (CAF) et plus récemment de celle de la CNAV, ne favorisent guère les approches transversales et intersectorielles. La fermeture, à l’automne 2009, des deux maisons ouvertes parisiennes en est un bon exemple. Implantés dans le XIVe arrondissement depuis 2003 et dans le XIIe arrondissement depuis 2008, ces espaces d’accueil et d’écoute pour les personnes âgées et leurs proches, créés sur le modèle des maisons vertes de Françoise Dolto, sortaient des référentiels habituels puisqu’ils étaient ouverts à tous les habitants du quartier – la structure du XIIe arrondissement partageait même ses locaux avec une halte-garderie. Ils développaient une dynamique collective et sociale entre les générations tout en favorisant l’épanouissement individuel à travers des ateliers artistiques et des événements culturels. « La transversalité de l’approche et le décloisonnement des âges et des problématiques ne rentraient dans aucune case. Une fois épuisées les aides au démarrage, nous avons dû interrompre l’aventure, faute de cadre législatif approprié », explique Gisèle Bessac, l’ancienne directrice des deux structures, qui a porté les expérimentations. « Il y a certes besoin d’actions dédiées à des problématiques et à des publics précis, mais nous avons aussi un besoin urgent de dispositions pour favoriser le partage des âges et des pratiques et nourrir le vivre ensemble », reprend Gisèle Bessac, soulignant combien les politiques publiques sont « à la traîne ». « Il reste beaucoup à construire avec les collectivités locales, notamment les conseils généraux et les communautés de communes, qui connaissent encore très mal l’intergénération », déplore Luc Roussel.

En attendant une hypothétique réforme des politiques publiques, certains professionnels voudraient sensibiliser davantage les travailleurs sociaux aux tenants et aboutissants de l’approche intergénérationnelle. Car, si certains centres de formation au travail social évoquent la démarche, c’est souvent dans les cours consacrés aux personnes âgées. Pour diffuser son savoir-faire, l’association « Générations et cultures », qui intervient dans des formations à l’animation socioculturelle – notamment dans le cadre du BPJEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport) –, souhaiterait sensibiliser les professionnels de l’action sociale.

DE L’INTERGÉNÉRATIONNEL À L’INTERCULTUREL

Implantée à Lille, l’association « Générations et cultures » (4) met en place des dynamiques intergénérationnelles et interculturelles sous la forme d’activités sportives, artistiques ou culturelles (notamment autour de la mémoire et du récit de vie), d’ateliers de jardinage, d’actions d’aménagement du cadre de vie… Créée en 1981 sous le nom « Vieillir autrement », l’association, qui est également un centre de ressources et de documentation sur les questions interculturelles et intergénérationnelles, est déjà intervenue dans un grand nombre de villes du département du Nord (Tourcoing, Lille, Roubaix, Lens, Haubourdin, Wasquehal, Arras, Wattignies, Wattrelos…) en partenariat avec de nombreux établissements scolaires, des centres sociaux, des maisons de la jeunesse et de la culture, des résidences pour personnes âgées, des musées, des maisons de quartier, des clubs de prévention… Actuellement, elle travaille notamment avec deux résidences sociales (ex-foyers Sonacotra) de l’association Aréli à Lille et à Tourcoing. « Il s’agit d’ouvrir ces structures vers l’extérieur en créant des liens intergénérationnels et interculturels avec les habitants du quartier pour promouvoir le parcours de vie des résidents et leur redonner une place dans la ville », explique Hicham Hammar, chargé de mission au sein de l’association. Aidée de volontaires d’Unis-Cité, association qui promeut le développement du service civique, et en lien étroit avec les travailleurs sociaux des foyers, « Générations et cultures » a d’abord cherché à susciter des rencontres entre les résidents, aux parcours très différents – y cohabitent en effet des retraités très attachés au lieu et une nouvelle population de jeunes en transit. Pour faciliter la participation de tous, plusieurs supports ont été mis à disposition : toile pour inscrire une trace (nom, photos…), portraits photographiques accompagnés de témoignages, « lettres filmées » restituées à la maison Folie de Moulins à Lille. « Pour ce type de public, il est impossible de dissocier l’approche interculturelle et l’approche intergénérationnelle qui sont fortement imbriquées, constate Hicham Hammar. Travailler sur les deux à la fois a permis de modifier les représentations et de susciter des échanges forts entre personnes d’âges et de cultures différentes. »

LE SUCCÈS D’UN CONCEPT

D’abord porté par le secteur de la gérontologie, le concept d’« intergénération » a été créé dans l’objectif d’offrir une ouverture aux personnes âgées vivant en maison de retraite. En organisant des rencontres avec des écoles, des centres de loisirs ou des familles, il s’agissait de lutter contre l’isolement des résidents et d’atténuer l’aspect ségrégatif de l’établissement. Dans les années 1980-90, ce sont les associations de retraités qui se sont emparées du terme avec l’idée de mettre à disposition des jeunes leur temps libre et leurs compétences pour les aider dans leur insertion professionnelle. Depuis 1993, « année européenne des personnes âgées et de la solidarité entre générations », les pratiques intergénérationnelles se sont diffusées à de nouveaux champs : soutien scolaire, habitat intergénérationnel, insertion sociale, parrainage d’enfants par des grands-parents d’adoption, accompagnement de personnes âgées ou handicapées, assistance de jeunes mères… De façon plus ou moins explicite, sont désormais parties prenantes de la réflexion intergénérationnelle les services territoriaux de l’action sanitaire et sociale, les centres communaux d’action sociale (CCAS), les centres sociaux, les centres de loisirs, les services de la politique de la ville… Il ne s’agit plus d’un domaine d’activité particulier : c’est aujourd’hui « une démarche transversale qui privilégie les dynamiques sociales et le travail en réseau », note Mohammed Malki, auteur d’un guide sur le sujet (5). L’ambition de ses promoteurs : en faire un choix politique, culturel et éthique porté par la société dans son ensemble.

AU SOMMET DE L’ÉTAT : BEAUCOUP D’AFFICHAGE MAIS PEU DE RÉALISATIONS

L’intergénération est entrée dans l’orbite du gouvernement par le biais du premier plan national « Bien vieillir » qui visait, dès 2003, à « consolider les liens intergénérationnels ». Dans sa mouture 2007-2009 (6), ce programme, lancé dans la foulée de la conférence de la famille de 2006 consacrée aux solidarités intergénérationnelles, se donnait toujours comme objectif de « promouvoir la solidarité entre générations ». Les moyens d’action restaient toutefois assez limités puisque, pour y parvenir, il comptait sur le développement de la Semaine bleue (consacrée aux personnes âgées) et le développement du logement intergénérationnel – soit la mise à disposition par une personne âgée d’une chambre de son logement à un étudiant en contrepartie d’une aide bénévole et de relations amicales. Dès 2005, ce dispositif avait reçu le soutien du secrétariat d’Etat aux personnes âgées qui avait présenté une charte intitulée « Un toit, deux générations » ainsi qu’une convention d’hébergement et un code de bonne conduite. Il a ensuite rencontré l’intérêt des ministères du Logement et de l’Education nationale avant d’être plébiscité par Martin Hirsch, alors Haut Commissaire à la jeunesse, durant la phase d’élaboration du « livre vert » sur la jeunesse en 2009. Or, après en avoir beaucoup parlé, les pouvoirs publics semblent avoir remisé au placard le logement intergénérationnel. La raison tient sans doute au fait que, malgré la forte demande des étudiants séduits par l’idée d’un logement gratuit, les personnes âgées restent globalement réticentes à l’idée de partager leur logement. Ainsi, s’il existe bien, en France, une poignée d’associations (Logement-Intergénération, Atout’Age, LePariSolidaire…) qui gèrent quelques centaines de binômes personnes âgées-étudiants, elles peinent à se développer vraiment. Aujourd’hui, dans les cabinets ministériels, même si on se dit concerné par la question de l’intergénération, il semble que ce ne soit plus une priorité.

Notes

(1) L’intergénération : une démarche de proximité – La Documentation française, 2005.

(2) Ibid.

(3) La FCSF fait partie du réseau Assemblage qui regroupe depuis une dizaine d’années des centres communaux d’action sociale, des associations impliquées dans l’intergénération et des universitaires. Celui-ci a organisé ses VIes universités d’été « Intergénération » du 30 août au 1er septembre 2010 à Bouvines (Nord) sur le thème « Guerre des âges… ou solidarités entre les générations : quelles alternatives ? » – nord-pas-de-calais@ufcv.fr.

(4) « Générations et cultures » : 61, rue de la Justice – 59000 Lille – Tél. 03 20 57 04 67 – generationsetcultures@nordnet.frwww.generationsetcultures.fr.

(5) L’intergénération : une démarche de proximité – Ed. La Documentation française, 2005.

(6) Le nouveau programme « Bien vieillir » devait être rendu public fin 2010 mais le remaniement ministériel ainsi que la réforme de la prise en charge de la dépendance retardent son élaboration.

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