Après le débat polémique de l’UMP sur la laïcité et une série de déclarations controversées, le ministre de l’Intérieur a joué la carte de l’apaisement et de la concertation en recevant, le 15 avril, les représentants des principaux cultes de France. L’occasion pour Claude Guéant de présenter les dispositions qu’il entend appliquer dans les prochaines semaines, censées « renforcer la cohésion nationale » autour des « valeurs fondamentales » de la République. Concrètement, le gouvernement n’entend pas revenir sur la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’Etat, mais compte passer par des « initiatives diverses, qui vont de l’instruction ministérielle à la mise en place d’un groupe de travail interministériel pour définir […] les nouvelles inflexions de la laïcité ». Des mesures plutôt bien accueillies par les responsables religieux. « Les propositions retenues par les pouvoirs publics sont loin des craintes que nous avions au départ », a ainsi noté Mohamed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman.
Pour Claude Guéant, « le débat qui a traversé la société française ces dernières semaines a montré que, si le principe de laïcité est un des principes organisateurs de notre pays, il convenait de mieux le faire connaître, d’en expliquer sa portée comme ses limites ». Dans ce sens, « dès le mois de mai », un « code de la laïcité et de la liberté religieuse » rassemblera « les grands textes qui fondent notre pacte républicain (traités internationaux, Constitution, lois, règlements et circulaires) ainsi que les principales jurisprudences qui les illustrent ».
Dans le même esprit, une formation initiale et continue sera dispensée aux fonctionnaires, « souvent désarmés dans la conduite à tenir, que ce soit à l’hôpital ou à un guichet de préfecture par exemple ».
Des « correspondants laïcité » seront par ailleurs désignés dans les administrations au niveau central mais aussi au niveau local. Ainsi, « dans chaque préfecture, un sous-préfet sera le référent des élus et des chefs de service sur l’ensemble des questions liées à la mise en œuvre du principe de neutralité du service public ». Et, sur le plan national, « chaque ministère (Justice, Santé, Défense…) aura un haut fonctionnaire médiateur bien formé aux questions de laïcité pour prévenir les conflits et répondre aux questions concernant son champ ministériel ».
Enfin, l’enseignement à l’école de la laïcité dans le cadre de l’instruction civique sera renforcé à l’occasion de la prochaine circulaire de rentrée du ministère de l’Education nationale.
La mesure a été particulièrement saluée par les responsables cultuels : un groupe de travail interministériel associant les différentes religions sera chargé de clarifier « avant l’été » les conditions d’application du principe de neutralité du service public et d’en proposer « les conclusions juridiques appropriées ». Faisant écho à la récente délibération de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (1), Claude Guéant considère en particulier qu’une clarification s’impose pour les collaborateurs occasionnels du service public – le ministre vise surtout les mères accompagnant les sorties scolaires – et « les organismes de droit privé du secteur médical, médico-social et social chargés d’une mission de service public ». Tout en renvoyant cet épineux dossier au groupe de travail, le ministre n’en a pas moins sa propre opinion. Pour lui, sur le fond, certaines questions « sembleraient pouvoir recevoir une réponse claire assez facilement ». « Je pense d’abord aux institutions de statut privé qui exercent une mission de service public », a-t-il expliqué. « Les missions locales pour l’emploi, les crèches associatives ou privées, les structures médicales ou sociales privées, les centres de formation d’apprentis sont des institutions dont le personnel ne peut que respecter les règles qui s’appliquent aux agents publics. » Claude Guéant se montre moins catégorique à l’égard des mères voilées qui accompagnent une sortie scolaire. « Sur ce cas, il faut poursuivre la réflexion », a-t-il estimé, ajoutant que, à ses yeux, « tout cela doit être étudié avec beaucoup d’attention et dans la sérénité requise […] pour éviter toute solution mal pensée, car trop rapidement rédigée » (2).
Quant à l’application du principe de neutralité dans les services publics stricto sensu, le ministre a simplement indiqué qu’un certain nombre de principes pourront être rappelés par voie d’instructions ministérielles (aucun menu religieux dans les cantines publiques, respect absolu de l’organisation du service public hospitalier face à l’expression de demandes religieuses incompatibles). « Notre corpus normatif nous permet de faire respecter ces principes. » Il faut simplement « veiller à les faire appliquer », a indiqué Claude Guéant.
(2) Sur la position plus tranchée du ministre de l’Education nationale sur cette question, voir ASH n° 2700 du 11-03-11, p. 16.