La scène se passe dans les vestiaires de ce qui ressemble à une piscine. C’est plus probablement dans une usine. Sur un banc, un homme. Il est nu, les cheveux ébouriffés, le visage et les mains recouverts de noir, qui contrastent drôlement avec la cigarette, le gobelet de café et les tongs, tous blancs. Cadrage de cinéma, usage savant du noir et blanc. Les photos de Stéphane Duroy semblent tout droit sorties d’un film sombre des années 1970.
Belfast, Liverpool, Londres, Dublin. D’abord photographe de presse, Stéphane Duroy s’est peu à peu éloigné des médias pour développer des projets plus personnels et explorer l’Europe du XXe siècle, dont il dresse un constat désabusé, de désolation… et d’une grande beauté. C’est en 1977 qu’il entreprend un travail sur les mutations que connaît l’Angleterre à l’époque du thatchérisme. Dans Distress, il ravive ce souvenir de la Grande-Bretagne qu’il a photographiée pendant plus de vingt ans. Ses images ont pour point commun de dénoncer les injustices sociales.
Un cimetière sur le front de mer. Le cercueil apparaît dans l’objectif, avec ses porteurs, qui se reflètent dans une vaste flaque. Le vent pourrait souffler. Au loin, les cheminées des usines crachent leurs fumées dans le ciel déjà lourd. C’est la double page qui ouvre ce livre sobre au beau papier rugueux. A Belfast, Stéphane Duroy attire l’œil sur un soldat étendu sur le sol. Là encore, le cadre s’adapte et s’allonge en hauteur pour suivre le mouvement du jeune homme. A côté, des enfants, les mains dans les poches, rigolent, comme si c’était leur quotidien. A chaque image, une question, une curiosité éveillée, une scène imaginée.
Distress – Stéphane Duroy – Filigranes Editions – 25 €