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Prostitution : le défi de l’insertion professionnelle

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Confrontée à un nombre croissant de jeunes adultes se prostituant, l’Amicale du Nid s’est penchée sur l’accès à l’emploi de ce public dans le cadre d’un projet européen. A travers de nombreuses initiatives croisant recherches et actions de terrain, les équipes ont réfléchi aux facteurs favorisant ou non l’insertion professionnelle afin d’améliorer leur accompagnement et de prévenir les conduites prostitutionnelles.

Qu’est-ce qui freine l’entrée dans l’emploi des jeunes adultes concernés par la prostitution ? Et comment faciliter ce processus ? C’est sur ces questions que se sont penchées, pendant trois ans, plusieurs équipes de l’Amicale du Nid – à Paris, Colombes (Hauts-de-Seine), Marseille, Montpellier et Toulouse – dans le cadre d’un projet européen conduit avec des élus et des universitaires polonais (voir encadré ci-dessous). Confrontée à une population de plus en plus jeune, l’association entendait renforcer son action auprès des 18-30 ans tant en termes d’insertion professionnelle que de prévention des conduites prostitutionnelles. « L’hypothèse était que plus on interviendrait tôt, plus on éviterait une chronicisation dans la prostitution », explique Jean-Christophe Tête, directeur de l’Amicale du Nid de Paris.

Première étape : le lancement d’une enquête auprès de jeunes français et polonais se prostituant pour déceler les freins et leviers jouant sur l’accès à l’emploi. En France, 24 hommes, 33 femmes et 6 transgenres ayant, ou ayant eu, des conduites prostitutionnelles, ont répondu à un long questionnaire. Ses résultats révèlent que presque tous sont issus de milieux populaires, de fratries importantes et beaucoup de parents étrangers. Leur enfance a rarement été facile : pauvreté, contexte familial douloureux (divorces, rejets, violences)… Diverses ruptures (placements, disparitions de proches…) ont enfin fortement influencé leur parcours.

Autre enseignement : près de la moitié ont commencé à se prostituer alors qu’ils étaient mineurs. « La prostitution des 15-16 ans est bien réelle. C’est le moment où la sexualité est en éveil, celui aussi où la construction identitaire se met en action. Nous recevons beaucoup de jeunes qui, dans cette quête, partent de chez eux, ont des relations homosexuelles, se retrouvent à la rue… », précise Jean-Christophe Tête.

L’enquête met également en évidence qu’obtenir un travail est, devant le logement ou la santé, la priorité des trois quarts des personnes. La majorité « pense qu’un emploi pourrait leur permettre d’arrêter la prostitution », rapporte Gisèle Dambuyant-Wargny, sociologue au département carrières sociales de l’université Paris-XIII qui a mené l’enquête. Mais les projets sont souvent entravés par le bas niveau de qualification de ces jeunes, leur faible maîtrise du français, l’absence de papiers ou encore leur état de santé somatique ou psychique. Ceux-ci disent toutefois détenir des atouts. Ils doivent « faire preuve de grandes capacités relationnelles et d’adaptation dans ces contextes de vie », confirme d’ailleurs la chercheuse. Néanmoins, du fait de leurs histoires de vie compliquées et des ruptures qu’ils ont vécues, leurs ­ressources « sont amoindries » et « les projets d’insertion sociale et professionnelle sont souvent précarisés tant ces acteurs sont fragilisés ».

En parallèle, pour approfondir la question de l’accès à l’emploi sur le terrain, l’Amicale du Nid a mis en place une recherche-action. « Tout en poursuivant son soutien social, chaque site impliqué a renforcé la dimension de l’accompagnement professionnel », explique Claudine Burguet, coordinatrice des projets européens. Des travailleurs sociaux de divers services (accompagnement social global, atelier d’aide à la vie active…) ont réfléchi à la spécificité de leur soutien, échangé et mutualisé leurs pratiques. La démarche a débuté au plan local, puis les professionnels se sont réunis dans le cadre de groupes régionaux. Celui du Nord a abordé l’insertion professionnelle en partant de l’analyse de trajectoires individuelles d’insertion ; celui du Sud, des pratiques de terrain. « Nous avons interrogé les similitudes, les différences, les besoins des équipes, l’articulation entre l’accompagnement social individualisé et la question de l’insertion, la manière de la travailler avec les personnes… », explique Stéphanie Houerrou, coordinatrice à l’Amicale du Nid de Marseille. Les rencontres étaient animées par des chercheurs du Collège coopératif de Paris. « Ceux-ci captaient la parole des acteurs sociaux, la transcrivaient après chaque séance sous la forme d’un journal, puis intégraient les remarques et une validation commune avait lieu lors de la séance suivante », raconte Claudine Burguet. Enfin, des rencontres nationales ont permis de mettre en commun les informations recueillies et d’élaborer un rapport de synthèse et des préconisations.

Premier enseignement : l’activité appelle l’activité. Si les efforts menés par les équipes d’accompagnement ne débouchent que sur peu d’embauches stricto sensu, en particulier en CDI, « lorsque les personnes suivent un atelier – même non purement professionnel –, elles deviennent moins passives et se rendent plus facilement, par exemple, dans une association d’insertion, relève Claudine Burguet. C’est donc un premier pas intéressant vers l’emploi. » Le chemin à parcourir est long et pavé d’écueils. « Avant de pouvoir faire exister la question de l’insertion professionnelle, il faut un temps de reconstruction. Il est rare de pouvoir orienter efficacement quelqu’un vers un partenaire sans mener au préalable un travail approfondi », assure Stéphanie Houerrou. Dotées d’une très faible estime d’elles-mêmes, dépréciées, isolées, les personnes prostituées ont besoin qu’on leur reconnaisse des aptitu­des. C’est pourquoi des ateliers artistiques ont été mis en place (voir encadré, page 36). « Cela permet d’améliorer l’image de soi, de retisser du lien social mais aussi de faire émerger les compétences que ces personnes possèdent déjà et de les revaloriser alors qu’elles se sentent exclues, voire discriminées », commente Jean-Christophe Tête. A l’inverse cependant, il est parfois utile de leur faire pren­dre conscience des réalités. Toutes « n’imaginent pas les étapes nécessaires à l’insertion, comme si elles pouvaient instantanément passer de la prostitution à un emploi », note Jérôme Chastel, « acteur social » à l’Amicale du Nid de Colombes.

Comme l’enquête, la recherche-action met en lumière certaines constantes dans les parcours et distingue des facteurs entravant ou favorisant l’accès à l’emploi. « Nous observons deux types de freins. Les premiers, externes, sont liés à l’environnement de la personne : problèmes administratifs, hébergement, situation familiale…; les autres, internes, découlent de difficultés psychologiques, relationnelles… », observe Françoise Mériou, chargée d’insertion professionnelle à l’Amicale du Nid de Paris. Trait le plus marquant : les traumatismes générés par des violences subies (voir encadré ci-contre). « Les personnes ont été maltraitées dans le cadre familial, ont subi des viols et autres violences durant leur jeunesse comme à l’âge adulte du fait ou non de la prostitution. L’ampleur du phénomène est impressionnante », relève-t-elle. Beaucoup souffrent de troubles divers : angoisses, souvenirs répétitifs et envahissants, accès de colère, difficultés de concentration, d’endormissement… « Pour certai­nes, les projections semblent impossibles ; elles sont encore sidérées par ce qui leur est arrivé », relate Jérôme Chastel. Une orientation vers un soutien psychologique ou un suivi thérapeutique peut alors s’avérer intéressante.

Outre améliorer l’employabilité des personnes en favorisant leur autonomie (papiers, logement, alphabétisation, mise à niveau…), il apparaît important de les rendre actrices du processus, de s’appuyer sur leur motivation à passer à autre chose et de développer leur capacité à faire des projets. « Leur rencontre avec des ­professionnels dans des ateliers ou lors de démarches d’accompagnement leur permet de progresser dans leur par­cours », constate Jérôme Chastel. « La bonne relation avec les travailleurs sociaux est un puissant moteur », confirme Maria Rodrigues, assistante sociale à l’Amicale du Nid de Paris. La question du soin, enfin, est essentielle « car si les problèmes médicaux sont de réels obstacles quand ils ne sont pas traités, leur prise en charge peut à l’inverse devenir un véritable levier ».

Accompagner les personnes prostituées implique aussi pour les intervenants de savoir écouter ce qui a trait à la sexualité et à l’intime et de ne pas s’arrêter sur les échecs d’insertion. Un suivi peut d’ailleurs s’interrompre d’un coup, puis être repris bien plus tard ; et même quand un emploi est décroché, tout peut être remis en question. « Les parcours sont longs, fluctuants, il peut y avoir des passages par l’insertion puis des retours à la prostitution, voire les deux en parallèle », témoigne Stéphanie Houerrou. La prostitution sert d’ailleurs aussi de « refuge structurel ». « Dès qu’un travail s’arrête, les gens sont paniqués et évoquent un retour à cet exercice pour des raisons allant bien au-delà du seul besoin d’argent », analyse Jérôme Chastel. La recherche-action a aussi généré de nombreux débats. Par exemple, pointe Claudine Burguet, « sur les risques potentiels de laisser les personnes s’engager, au moins au début, dans certains types de projets : exercer dans un hôtel, aider les autres… » Est également ressortie la nécessité de faire évoluer les représentations, celles des intervenants sociaux de l’Amicale du Nid, sur la transidentité, par exemple – ce qui a donné lieu à une autre recherche-action (voir encadré, page 37) –, mais aussi des partenaires (Pôle emploi, associations d’insertion, entreprises…). « On ne peut pas rester dans l’entre-soi. Il faut faire exister concrètement la question de la prostitution auprès des partenaires locaux, informer sur notre mission, communiquer sur la dimension des violences car cela change le regard… Nous devons aussi nous approprier plus finement la construction d’un parcours d’insertion professionnelle et mieux nous saisir de ce qui existe sur un territoire (réseaux, prestations possibles…) », précise Stéphanie Houerrou.

Valoriser les compétences

Créer des ponts avec l’entreprise se révèle une autre piste essentielle. « Il faut permettre à la personne de voir que ce qui a été mis en place tient face à un employeur », estime Jérôme Chastel. Or, reprend Françoise Mériou, « autant on est soutenu par les structures de l’insertion par l’activité économique, autant la mise à l’emploi direct pose problème ». De plus, nombre de jeunes insistent pour accéder immédiatement à un em­ploi. « Ils ne veulent ni stage ni formation. Nous devons réfléchir aux moyens de répondre à ces demandes », reconnaît Jean-Christophe Tête.

L’expérience de l’association C2DI 93 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) (1), évoquée lors d’un des colloques trans­nationaux liés au projet, a séduit les équipes. L’organisme accueille des personnes exclues, lasses des parcours d’insertion ne débouchant jamais sur le droit commun. L’association part du principe que tout le monde est employable.« Ce n’est pas une vérité, c’est une posture de travail », explique Philippe Avez, son di­recteur. Pour ce faire, il propose aux petites entreprises de réfléchir avec elles à leurs besoins de compétences. Ensuite, il sélectionne, dans son portefeuille de demandeurs d’emploi, la personne la plus apte au poste et, surtout, il accompagne celle-ci ainsi que l’employeur jusqu’à la fin de la période d’essai. Dans ce cadre, lettres de motivation, CV, entretiens… sont bannis ; l’association part du principe que, quel que soit leur parcours de vie, toutes les personnes ont développé des compétences. Et cela semble fonctionner, si l’on en croit le directeur, les employeurs avouant remarquer peu de différences entre ces salariés et les autres, hormis « leur grande envie de travailler et leur souci du rapport qu’on établit avec eux ». « Renversant l’approche classique par paliers de l’insertion, la démarche permet d’envisager un accompagnement à partir de la mise à l’emploi plutôt que des représentations. Beaucoup de personnes ont certes besoin d’un temps de pause pour se reconstruire, mais avoir un emploi permet aussi de retrouver une estime de soi par la valeur travail », défend Jean-Christophe Tête.

Bâtir des outils

Si le programme est achevé, le souhait est que la démarche se prolonge. « Il faut continuer à échanger entre territoires afin de dégager une “méthodologie” commune pour mieux faire exister cette insertion. Il ne s’agit pas de s’enfermer dans un référentiel figé mais de bâtir des outils saisissables à la carte pour s’adapter à la singularité des situations », assure Stéphanie Houerrou. De surcroît, les rencontres avec les acteurs polonais ont permis de construire des outils de prévention (réduction des risques prosti­tutionnels, sexuels…) et la question des jeunes et de leur entrée dans la prostitution a pu être approfondie. L’association, qui n’intervenait jusqu’ici qu’auprès des majeurs, a d’ailleurs modifié ses statuts en juin 2010 pour pouvoir accompagner les moins de 18 ans. « Des institutions accueillant des mineurs nous sollicitent de plus en plus au sujet de conduites prostitutionnelles, explique le directeur de l’Amicale du Nid de Paris. Nous souhaiterions intervenir en binôme avec l’ASE [aide sociale à l’enfance] en nous consacrant à la partie accompagnement social de ces comportements et à la réduction des risques. »

UN PROJET FRANCO-POLONAIS

Porté par l’Amicale du Nid en lien avec la ville et l’université de Wroclaw en Pologne, le projet s’intitule « L’accès à l’emploi, un enjeu individuel et collectif : comprendre, prévenir, former et accompagner » (2). Conduit de 2008 jusqu’à la fin 2010, il s’inscrit dans le cadre du programme européen « Compétitivité régionale et emploi ». Il fait suite à un autre projet européen « Se reconstruire et s’insérer » mené, entre 2004 et 2008, par l’association.

Il a donné lieu à de nombreuses initiatives : une enquête auprès de jeunes adultes prostitués français et polonais, deux recherches-actions (sur l’accès à l’emploi et sur la transidentité) conduites avec des chercheurs, des actions de formation à la problématique prostitutionnelle auprès de personnels éducatifs et sociaux en France et en Pologne, et l’animation d’ateliers d’accompagnement. Par ailleurs, plusieurs séminaires ont été organisés, dont un en Pologne en 2009 et un autre en France en novembre 2010.

PRÉVENIR LA MÉMOIRE TRAUMATIQUE

« On essaie de réduire la prostitution à la pauvreté, mais ce qui est le plus corrélé, et de loin, ce sont les violences de toutes sortes déjà subies », estime Muriel Salmona, psychiatre et psychotraumatologue (3). Celles-ci ont en général eu lieu au cours de l’enfance, souvent autour de l’âge de 10 ans. Une réalité confirmée par le médecin Judith Trinquart, selon laquelle 80 à 95 % des personnes prostituées originaires de France auraient des antécédents de violences sexuelles (4). Ces dernières sont en fait omniprésentes dans la prostitution, que ce soit avant ou après ses débuts. Or ces agressions constituent « un véritable meurtre psychique et ont des conséquences psychologiques, neurobiologiques et psychiatriques importantes », pointe Muriel Salmona, pour qui, de surcroît, « le fait prostitutionnel est une violence en soi ».

Au moment des violences, lorsque le psychisme ne peut affronter la situation, « qui n’a aucun sens pour la victime », il se retrouve en état de sidération et laisse à cette dernière « une impression de corps mort, de dissociation, d’irréalité, d’étrangeté », explique-t-elle. Selon ce médecin, grâce à la production de morphine et de kétamine, une anesthésie physique et émotionnelle s’opère. De fait, la plupart des victimes auront « du mal à exprimer, par l’émotion, la gravité de ce qu’elles ont vécu ». Les événements subis, les douleurs éprouvées, les perceptions sensitives ne seront pas travaillés par le cerveau. Ils formeront une mémoire dite traumatique, sorte de « bombe à retardement » réactivée au gré des circonstances. Ce mécanisme peut conduire à des réactions a prioriparadoxales. En effet, si les stratégies d’évitement ou de contrôle des situations jugées dangereuses ne leur suffisent pas, les victimes mettent en place, pour s’auto-anesthésier, des conduites dissociatives. Cela peut les inciter à se mettre en danger et parfois à s’exposer à des risques tels que la prostitution.

Pour aider les personnes, l’essentiel est de reconnaître ce qu’elles ont vécu et de créer des liens. « Il faut faire une perfusion de sens, leur redonner une histoire car elles ne comprennent plus rien », précise Muriel Salmona. Et d’affirmer : « S’il est pris en charge, un enfant ayant subi des violences sexuelles peut ne pas développer de mémoire traumatique et ne pas construire sa personnalité autour de cet événement. »

LES ATELIERS, UNE ÉTAPE VERS L’INSERTION

« Après un travail d’écriture en atelier, une personne nous a dit n’avoir pas pu retourner se prostituer le soir. Et le lendemain, pas plus… Aujourd’hui, elle travaille dans un restaurant. Il ne s’agit pas là d’un remède miracle, mais, pour elle, cela a été le déclic », se souvient Philippe Andres, attaché de prévention à l’Amicale du Nid de Montpellier. Le thème du projet était : « D’où je viens, où je suis, où j’aimerais aller » et invitait les personnes à produire un récit de vie puis à l’illustrer par un enregistrement radio ensuite diffusé, un reportage photo suivi d’une exposition ou une représentation théâtrale filmée.

« Elles pouvaient pour une fois s’exprimer sur autre chose que sur leur parcours prostitutionnel. Grâce à l’argent du Fonds social européen, nous avons pu faire des réalisations de qualité, cela s’est révélé très valorisant », assure Philippe Andres. Ces ateliers, comme ceux d’autres sites, avaient vocation à soutenir l’insertion au sens large. « Ces expériences ont été riches, fortes et se sont révélées un bon moyen pour les personnes de travailler leur image, leur rapport à l’autre, leur trajectoire », confirme Jean-Christophe Tête, directeur de l’Amicale du Nid de Paris, où un atelier musique a été ouvert.

Un après-midi par semaine, des 18-25 ans s’impliquent dans divers apprentissages : solfège, langage musical, découverte d’instruments, culture générale, chant, écriture de textes, enregistrement en studio. « On peut par ce biais se pencher sur les liens entre le “j’ai envie de” et l’effort qu’il faut fournir pour y parvenir », souligne Yves Gilard, éducateur spécialisé. Tous n’arrivent pas à avancer au même rythme mais la motivation est là. Et si la régularité n’est pas toujours infaillible, du fait d’une baisse de moral ou de démarches à réaliser, l’atelier est un repère pour ces jeunes souvent en errance et une raison de sortir de leur chambre d’hôtel.

L’outil permet aussi d’évaluer l’implication dans une démarche, la capacité à respecter un cadre, le matériel… Travailler le rapport au temps est essentiel avec ces publics. « Le leur est souvent compliqué et cela freine l’accès à l’emploi et à l’insertion. En entreprise, il faut être ponctuel, se projeter dans le mois, l’année… Or la prostitution les déconnecte », observe Philippe Andres.

Les ateliers permettent aussi l’apprentissage de la vie collective. « Cela passe par apprendre à faire confiance à l’autre, à écouter, à partager des idées et donc à lâcher… Nous avons vécu des tensions, mais aussi vu des participants se mobiliser pour en soutenir d’autres. Il y a eu une belle cohésion », assure-t-il.

A Paris, le fait de côtoyer, dans les studios d’enregistrement, d’autres musiciens permet aussi aux jeunes de penser la façon dont ils veulent se présenter. Et lorsqu’au sein du groupe, une dispute survient, Yves Gilard s’en sert : « Je reprends les choses avec eux ; je peux aussi en parler avec leurs référents sociaux qui sont libres d’utiliser cet atelier comme un outil. Cela permettra peut-être à ces jeunes de savoir, un jour, gérer les relations avec un patron ou des collègues. » Selon cet éducateur spécialisé, « l’atelier ne les rend pas aptes à s’installer au travail, mais c’est une étape supplémentaire en termes de rencontres et de projet commun. »

Autre point positif : le lien qui se crée entre le groupe et l’équipe. Il est intéressant « de mobiliser les travailleurs sociaux sur une dynamique collective », estime Jean Christophe Tête, et cela engendre « une saine complicité », complète Philippe Andres.

TRANSIDENTITÉ, DÉCONSTRUIRE LES REPRÉSENTATIONS

La nécessité de mener une recherche-action sur la transidentité, bien que non prévue au départ, s’est vite imposée aux sites de l’Amicale du Nid impliqués dans le projet européen sur l’accès à l’emploi. A des degrés divers, tous accueillent dans leurs services des personnes transidentitaires (travestis, transgenres, transexuels…) dont les problématiques spécifiques interpellent les travailleurs sociaux. « Nous avons senti le besoin d’échanger sur nos expériences et de nous former davantage pour mieux répondre à cette population souvent oubliée », résume Chantal Larrieu, porte-parole du groupe. Avec l’appui du Groupe d’étude sur la transidentité (GEsT) (5) qui a apporté un important éclairage théorique, les participants ont tenté de dresser un état des lieux et d’établir « un référentiel commun qui fasse consensus au sein de l’association », détaille cette assistante sociale de l’Amicale du Nid de Toulouse où, comme à Montpellier, existe un groupe d’échanges de personnes transidentitaires.

Les notions de sexe, de genre, d’identité… ont d’abord été abordées, les participants étant appelés à déconstruire leurs représentations. Des travailleurs sociaux ont pu évoquer leur gêne dans le face-à-face avec les personnes transidentitaires. « Notre conseil est de s’adresser à elles de la manière dont elles-mêmes souhaitent se présenter à nous, sans tenir compte de l’identité officielle. Et si un malaise demeure, il ne faut pas hésiter à en parler, les impairs étant mal vécus. Quand des mots sont posés sur ce malaise, la personne peut comprendre et vit cet échange comme une marque de respect », pointe Chantal Larrieu. Les travailleurs sociaux doivent aussi veiller à laisser la personne avancer à son rythme. « Il faut l’informer, l’orienter, l’accompagner, mais surtout ne rien induire », prévient-elle, la façon de vivre la transidentité étant très variable d’une personne à l’autre. La recherche-action a également mis en évidence l’intérêt de doubler l’accompagnement social d’un soutien psychologique pour aider les usagers dans leur cheminement.

L’insertion professionnelle des personnes transidentitaires se prostituant a naturellement été abordée. Schématiquement, il semble que soit celle-ci n’est pas leur préoccupation première, car elles priorisent ce qui a trait à leur évolution, soit elles subissent de telles discriminations que l’accès à l’emploi ou à la formation se révèle trop compliqué. « Quand la personne est dans un parcours de transformation, elle est souvent peu disponible pour penser une insertion professionnelle et, de plus, l’inadéquation entre l’apparence physique et l’état civil complexifie cette voie », développe la porte-parole. Par ailleurs, insiste-t-elle, « la prostitution est parfois un moyen d’obtenir l’argent nécessaire aux interventions chirurgicales souhaitées, alors qu’il est possible en France d’obtenir une prise en charge à 100 % par la caisse primaire d’assurance maladie, si l’on adhère à un protocole particulier ».

Afin de faciliter l’insertion, il convient donc de travailler en réseau et de faire bouger les représentations des partenaires. « Pour certains acteurs, la transidentité est une totale inconnue. Cela provoque de l’incompréhension, une crainte de ne pas savoir faire. Dans chaque ville, nous devons informer sur cette problématique pour obtenir des réponses mieux adaptées en matière de travail, de formation, de santé… », résume Chantal Larrieu.

Soucieuses d’approfondir d’autres points (relations familiales, sexualité…), les équipes de l’Amicale du Nid poursuivent leurs rencontres au-delà de la durée du projet européen. A terme, un rapport sera réalisé et pourra enrichir les pratiques des huit territoires où l’Amicale du Nid est implantée. L’intérêt d’instaurer des groupes de parole devrait y figurer.

Depuis 2003, à Toulouse, des personnes transidentitaires se réunissent ainsi régulièrement pour débattre de leur quotidien, de leurs difficultés, des questions de genre ou pour échanger des conseils. D’abord ouvert aux personnes se prostituant, le groupe a été élargi à d’autres personnes transidentaires face au manque de structures adaptées. « Le sujet central, ce qui réunit les personnes, c’est la transidentité, et cette mixité se révèle riche pour tous, affirme Chantal Larrieu. La formule permet à celles qui se prostituent de sortir un peu de ce microcosme. Pour d’autres, cela peut avoir une fonction de prévention. Car si certains participants sont bien insérés, d’autres sont très marginalisés et sur le fil du rasoir. »

F.R.

(1) Voir ASH n° 2558 du 16-05-08, p. 25.

(2) Le projet et ses développements sont en ligne sur www.accesalemploi.org.

(3) Lors de la journée européenne de transmission des acquis du projet aux salariés de l’Amicale du Nid, le 15 novembre 2010.

(4) Auteur d’une thèse sur « la décorporalisation dans la pratique prostitutionnelle : un obstacle à l’accès aux soins » – Voir l’interview sur www.adn92.fr/? p=179.

(5) www.transidentite.fr.

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