Le dispositif d’accès au droit et à la justice – constitué de l’aide juridictionnelle (AJ) et de l’aide à l’accès au droit – est « à bout de souffle », affirme la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’amélioration du dispositif. Un constat alarmant déjà formulé par le Sénat et la commission « Darrois » (1). Dans son rapport rendu public le 6 avril (2), et présenté par les députés Philippe Gosselin (UMP) et George Pau-Langevin (PS), la mission dresse le bilan tant au plan juridique que budgétaire de ce dispositif, qui fête ses 20 ans cette année, et formule une trentaine de propositions d’amélioration. Pour les élus, il doit en effet « être ajusté et consolidé financièrement afin de répondre à des besoins nouveaux et en perpétuelle augmentation et de garantir la qualité des services rendus aux plus démunis ».
Selon la mission, le dispositif d’accès au droit et à la justice répond « imparfaitement » au respect du droit d’agir en justice. Tout d’abord, le budget consacré à la justice ne le permet pas : « avec 57,70 € par habitant consacrés aux tribunaux, au ministère public et à l’aide judiciaire en 2008, la France se classe 18e sur 43, derrière la plupart des pays d’Europe de l’Ouest ». En outre, l’aide juridictionnelle « ne répond pas aux besoins d’une large frange de la population », constatent les députés. En cause : un plafond de ressources en permettant l’accès « trop bas », excluant certaines catégories socioprofessionnelles. Depuis le 1er janvier 2011, le plafond d’éligibilité à l’AJ totale s’élève à 929 € par mois, un plafond inférieur au montant net du SMIC mensuel (1 073 €), et celui de l’AJ partielle à 1 393 € par mois (3). « C’est dire que de nombreuses personnes appartenant aux couches inférieures des classes moyennes ne peuvent prétendre au bénéfice de l’aide juridictionnelle, qu’elle soit totale ou partielle, compte tenu du montant des plafonds mais également du rythme de leur revalorisation » (+ 1,42 % en 2011, + 0,4 % en 2010 et + 2,9 % en 2009), relèvent les députés. Aussi préconisent-ils de fixer le plafond de ressources permettant l’octroi de l’AJ totale au niveau du SMIC mensuel net et de le revaloriser suivant un mécanisme identique à celui du salaire minimum afin de tenir compte de l’évolution des prix et des salaires. Parallèlement, ils suggèrent de réévaluer le plafond pour l’AJ partielle et de le porter à 1 537 € (4).
Au-delà, la mission a constaté un « recours relativement limité à l’aide juridictionnelle partielle », ce qui, selon elle, s’explique non seulement par la faiblesse du niveau du plafond de ressources, mais aussi par la « complexité du dispositif et les incertitudes qui entourent sa mise en œuvre pour le justiciable ». Celui-ci ignore en effet le montant des dépenses à engager avant de lancer une procédure, dans la mesure où la part restant à sa charge consistent en des honoraires librement négociés avec son avocat. Les députés proposent donc de « demander aux instances représentatives des avocats de déterminer, en concertation avec la chancellerie, des barèmes d’honoraires exigibles des bénéficiaires de l’AJ partielle en fonction de leurs ressources ».
Autre critique de la mission : « un fonctionnement des bureaux d’aide juridictionnelle [BAJ] trop inégal ». De nombreuses personnes auditionnées ont ainsi dénoncé la faiblesse des moyens humains accordés à ces structures et les divergences dans l’appréciation des conditions d’éligibilité à l’AJ, en particulier s’agissant des éléments de revenu et de patrimoine. Aussi recommande-t-elle notamment d’expliciter, via une modification de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, les conditions d’attribution de l’aide eu égard aux capitaux mobiliers et immobiliers détenus par le demandeur.
Philippe Gosselin et George Pau-Langevin considèrent par ailleurs que la « la loi du 19 février 2007 portant réforme de l’assurance de protection juridique n’a pas atteint ses objectifs » (5). Le texte a notamment introduit un article L. 127-2-3 dans le code des assurances, une disposition qui, selon eux, s’est révélée « préjudiciable aux assurés ». Elle prévoit en effet que l’assuré doit être assisté ou représenté par un avocat lorsque son assureur ou lui-même est informé de ce que la partie adverse est défendue dans les mêmes conditions. Bon nombre d’interlocuteurs ont souligné que « l’égalité des armes et le respect de l’exigence d’un débat contradictoire ne sont pas suffisamment assurés dans le cadre de l’assurance de protection juridique et, plus largement, dans le cadre des différents modes de règlement amiable des conflits » (6). Un autre article de la loi de 2007 pose problème, celui qui organise la subsidiarité avec l’aide juridictionnelle. Dans les faits, relèvent les députés, le « transfert de l’aide juridictionnelle vers l’assurance est mal appliqué par les BAJ ». Un transfert qui n’a qu’un « faible impact » puisque rares sont les personnes éligibles à l’AJ qui ont contracté une assurance. En outre, celles-ci ignorent bien souvent les garanties offertes.
Face à ce constat, la mission estime que l’assurance de protection juridique doit être améliorée afin de la rendre plus lisible, plus attractive et plus conforme à l’objectif recherché, à savoir solvabiliser la défense et l’assistance des personnes non éligibles à l’AJ. Pour ce faire, le dispositif devrait mettre en œuvre trois principes : une « franchise à la charge des assurés afin d’écarter la prise en charge des très petits litiges et des procédures inutiles » ; « des contrats précisant explicitement la nature des litiges garantis et ceux exclus au regard de la prime demandée » ; « la prise en charge obligatoire d’un avocat et, pour les litiges visant à la réparation d’un dommage corporel, d’un médecin-conseil, tous deux librement choisis par l’assuré, quelle que soit la procédure mise en œuvre ». Pour les députés, il convient aussi d’« engager une vaste campagne de communication, d’information et de popularisation de l’assurance de protection juridique ».
Plus généralement, la mission recommande d’inscrire dans la loi du 19 février 2007 le principe d’une consultation juridique préalable à la demande d’aide juridictionnelle, prise en charge par l’Etat, et qui serait dispensée soit dans le cadre des permanences organisées par les conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD), soit au cabinet de l’avocat choisi par le justiciable. Au cours de cet entretien, serait étudiée l’éventualité d’une prise en charge des frais et honoraires par une assurance de protection juridique. L’intéressé serait ainsi orienté vers la voie appropriée de règlement de son affaire.
Tous les représentants des maisons de justice et du droit (MJD) auditionnés par la mission parlementaire ont déploré l’insuffisance des ressources financières, matérielles et humaines de ces structures au regard des besoins auxquels elles sont confrontées et de l’importance des missions qui leur sont confiées. Des structures inégalement réparties sur le territoire. Plus généralement, souligne la mission, l’insuffisance de moyens est un obstacle pour mieux faire connaître les MJD.
Au-delà, les députés ont constaté que l’installation d’une borne de visio-conférence dans les maisons de justice et du droit « ne semble pas apporter une solution réellement satisfaisante », en particulier face aux problèmes complexes des usagers qui nécessitent un contact humain direct avec les magistrats et les professionnels. Une critique également émise par le médiateur de la République (7).
Dans ce contexte, la mission plaide pour une réorganisation de l’accès au droit et une définition d’un « véritable pilotage local ». Elle préconise donc de rénover le fonctionnement des conseils départementaux de l’accès au droit – qui chapotent les MJD –, en instaurant une vice-présidence au sein de leur conseil d’administration, qui pourrait être confiée au président du conseil général. Objectif : « conforter la légitimité de cette instance en incitant le département à s’investir pleinement dans la définition de la politique locale d’accès au droit ». Les députés suggèrent aussi de « confier explicitement aux CDAD la compétence d’élaborer et de mettre en œuvre un schéma directeur de l’accès au droit dans le département ». Un outil qui se justifie au regard de la multiplicité des initiatives, des acteurs et des structures. Pour eux, ce schéma directeur devrait recenser les besoins, programmer la réalisation sur une période donnée d’équipements ou d’actions, fixer les contributions de chacun des acteurs et comporter un tableau de bord de l’exécution des engagements pris.
(2) Rapport d’information n° 3319 – Disp. sur
(3) En fonction du niveau de ressources, l’AJ prend en charge tous les frais de justice – elle est alors totale – ou seulement une partie d’entre eux – elle est alors partielle.
(4) Par référence au relèvement au niveau du SMIC net du plafond de l’AJ totale, la mission souhaite le maintien du différentiel actuel entre les plafonds de l’AJ totale et partielle.
(5) Sur cette loi, voir ASH n° 2494 du 16-02-07, p. 14 et n° 2587 du 19-02-08, p. 10.
(6) Par exemple, « le plus souvent, dans les phases précontentieuses et pour les litiges dans lesquels l’adversaire est une compagnie d’assurance, cette dernière est représentée par ses juristes salariés, et non des avocats, face auxquels l’assuré sans défenseur se trouve bien désarmé, notamment pour apprécier l’offre transactionnelle ».