Premier volet de la refonte globale de la procédure pénale, la loi relative à la garde à vue a été définitivement adoptée le 12 avril par les parlementaires. Les objectifs de ce texte, selon le gouvernement : « maîtriser le nombre de gardes à vue, en constante augmentation depuis plusieurs années » (plus de 800 000 cette année) et « accroître de manière significative les droits des personnes gardées à vue, notamment le droit à l’assistance d’un avocat ». Ce texte tire les conséquences d’une décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, qui a jugé les règles entourant la garde à vue contraires à la Constitution (1), une position confortée par des arrêts de la Cour de cassation (2) et de la Cour européenne des droits de l’Homme (3).
La loi entrera en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal officiel et au plus tard le 1er juillet 2011 – date butoir fixée par le Conseil constitutionnel –, et s’appliquera aux mesures de garde à vue prises à compter de cette date.
Les syndicats de police et de magistrats ainsi que les avocats (4) et les parlementaires de tous bords s’inquiètent non seulement de l’absence de moyens humains et matériels concédés pour mettre en œuvre cette loi mais aussi du flou de ses dispositions qui vont rendre difficile le travail des forces de l’ordre. Dans une lettre du 6 avril, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, en a d’ailleurs fait état au Premier ministre, lui demandant de compléter le texte à l’occasion de l’examen d’un prochain projet de loi sur la Justice « afin de rechercher un meilleur équilibre entre les droits de la défense et les nécessités de l’enquête ». Une demande rejetée par François Fillon, qui, en revanche, a accepté que les ministres de l’Intérieur et de la Justice mènent une mission d’audit et de suivi sur la réforme de la garde à vue.
En préalable, la loi affirme le principe selon lequel, en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui.
Le régime de l’audition libre ayant été au final supprimé par les parlementaires, la garde à vue est donc replacée au cœur du dispositif judiciaire, assortie dorénavant de plus de garanties pour les mis en cause. Ainsi, seul l’officier de police judiciaire (OPJ) peut, d’office – c’est une nouveauté – ou sur instruction du procureur de la République, décider de mettre en garde à vue un individu à l’encontre duquel existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. Selon la loi, cette mesure doit constituer l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs suivants :
permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;
garantir la présentation de cette personne devant le procureur de la République afin de le mettre en mesure d’apprécier la suite à donner à l’enquête ;
empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;
empêcher qu’elle ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;
empêcher qu’elle ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;
garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser l’infraction.
Il appartiendra au procureur de la République d’apprécier si le maintien de la personne en garde à vue et la prolongation de la mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits.
La durée de la garde à vue sera, sans changement, de 24 heures au maximum. La mesure pourra être prolongée pour la même durée, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, si l’infraction dont la personne est soupçonnée est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à un an et si la prolongation de la mesure est l’unique moyen de parvenir à l’un ou plusieurs des objectifs énumérés ci-dessus. A l’issue de la garde à vue, la personne sera, sur instruction du procureur de la République, soit remise en liberté, soit déférée devant ce magistrat.
Dès le début de sa garde à vue, le mis en cause devra être informé par l’OPJ, dans une langue qu’il comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits (5) :
de son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou des prolongations dont celle-ci peut faire l’objet ;
de la nature et de la date présumée de l’infraction qu’il est soupçonné d’avoir commise ou tenté de commettre ;
du fait qu’il bénéficie du droit de faire prévenir un proche et son employeur, d’être examiné par un médecin (sans changement) (6) et d’être assisté par un avocat. Des demandes auxquelles les enquêteurs devront faire droit, sauf en cas de circonstance insurmontable, au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne aura formulé sa demande.
lors des auditions, après avoir décliné son identité, de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire.
Le mis en cause pourra demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la procédure pendant une durée de 30 minutes. Lorsque la mesure sera prolongée, l’intéressé pourra demander à le voir de nouveau pour la même durée. A sa demande, son avocat pourra assister à ses auditions et confrontations. Dans ce cas, la première audition, sauf si elle porte uniquement sur les éléments d’identité, ne pourra débuter sans la présence de l’avocat avant l’expiration d’un délai de deux heures suivant la demande formulée par la personne gardée à vue d’être assistée par un avocat. Si ce dernier se présente après ce délai alors qu’une audition ou une confrontation est en cours, elle sera interrompue à la demande de la personne gardée à vue afin de lui permettre de s’entretenir avec son avocat et que celui-ci prenne connaissance des procès-verbaux constatant la notification de garde à vue et des droits qui y sont attachées, le certificat médical ainsi que les procès-verbaux d’audition. Si le mis en cause ne demande pas à s’entretenir avec son avocat, celui-ci pourra assister à l’audition ou à la confrontation en cours dès son arrivée. A noter : lorsque les nécessités de l’enquête l’exigeront, le procureur de la République pourra autoriser, par décision écrite et motivée, sur demande de l’OPJ, que l’audition débute sans attendre l’expiration du délai de deux heures.
En outre, à titre exceptionnel, sur demande de l’OPJ, le procureur de la République ou le juge des libertés et de la détention pourront autoriser, par décision écrite et motivée, le report de la présence de l’avocat lors des auditions ou confrontations, si cette mesure apparaît indispensable pour des raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête, soit pour permettre le bon déroulement d’investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves, soit pour prévenir une atteinte imminente aux personnes. En tout état de cause, sa présence ne pourra être différée au-delà d’une durée de 12 heures ou de 24 heures lorsqu’un individu est mis en cause pour des faits constitutifs d’un crime ou délit puni d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans.
Signalons également que, si la victime doit être confrontée avec une personne gardée à vue, elle devra être informée de son droit à se faire assister par un avocat – pour lequel elle pourra bénéficier de l’aide juridictionnelle – ou par son représentant légal si elle est mineure.
(2) Dans trois arrêts de principe du 19 octobre, la Haute Juridiction a déclaré non conformes au droit européen les dispositions limitant la présence de l’avocat en garde à vue, y compris pour les régimes dérogatoires (criminalité organisée, terrorisme, stupéfiants).
(3) Dans l’arrêt « Brusco » du 14 octobre dernier, la cour a condamné la France pour non-respect des règles du procès équitable prévues à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Elle a notamment estimé que les gardés à vue devaient pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat pendant toute la durée de leur retenue et que le droit au silence devait leur être notifié. Deux points qui ne sont jusqu’à présent pas garantis par le code de procédure pénale – Arrêt disponible sur
(4) En effet, leur présence va désormais être sollicitée tout au long de la garde à vue, ce qui va induire des besoins en matière d’aide juridictionnelle estimés à 100 millions d’euros par le garde des Sceaux. Des besoins sous-évalués selon la corporation qui appelle à une manifestation le 4 mai.
(5) Si la personne est atteinte de surdité et illettrée, elle devra être assistée d’un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec elle.
(6) La personne sera examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou l’OPJ dès le début de la garde à vue ainsi qu’en cas de prolongation de la mesure. Il se prononcera sur l’aptitude au maintien en garde à vue et procédera à toutes constatations utiles. Sauf décision contraire du médecin, l’examen médical sera pratiqué à l’abri du regard et de toute écoute extérieurs.