Faut-il généraliser le CV anonyme ? Probablement pas, à en croire une étude récemment publiée par un collectif de chercheurs qui s’est intéressé à l’impact de l’anonymisation du curriculum vitæ – à savoir la suppression du bloc « état civil » (nom, prénom, adresse, date de naissance) – au cours de son expérimentation par Pôle emploi, entre novembre 2009 et novembre 2010, dans huit départements (1). Objectifs de la démarche : tester l’effet produit par cet outil, créé par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, dans le processus de recrutement et évaluer son rôle dans la promotion de la diversité et la prévention des discriminations à l’embauche. En clair, l’expérimentation devait permettre de dire s’il faut ou non prendre le décret qui rendra le CV anonyme obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés.
Premier constat, les recruteurs ont tendance à recruter leurs « semblables » : « les recruteurs masculins sélectionnent plus souvent les CV de candidats masculins, les recruteurs féminins ceux de femmes, et les recruteurs jeunes ceux de jeunes ». Or l’anonymisation du CV permettrait d’inverser cette tendance. Ainsi, constate l’étude, « lorsque le recruteur est un homme et que le CV est nominatif, les femmes ont 1 chance sur 27 d’être reçues en entretien et les hommes 1 chance sur 5 ». L’écart s’inverse lorsque le CV est anonyme : « lorsque le recruteur est un homme, les candidats féminins ont 1 chance sur 6, et les candidats masculins 1 chance sur 13 ». Ce constat vaut tant pour l’accès aux entretiens que pour le recrutement final. Ainsi, « lorsque le recruteur est un homme et que le CV est nominatif, les femmes ont 1 chance sur 167 d’être recrutées à l’issue de l’entretien et les hommes 1 chance sur 34 ». Lorsque le CV est anonyme, l’écart s’inverse : « les candidats féminins ont 1 chance sur 17, et les candidats masculins 1 chance sur 59 ». Ces écarts se constatent également dans la configuration opposée. Le CV anonyme remplit donc l’un de ses objectifs puisqu’il permet d’égaliser les chances de recrutement du candidat selon son sexe et celui du recruteur.
Mais le CV anonyme montre également des effets inattendus qui vont à l’encontre de ses objectifs initiaux. Alors que le CV anonyme était préconisé notamment pour éliminer les discriminations à l’embauche liées à l’état civil et au lieu de résidence du candidat, l’étude montre que, en réalité, il « pénalise les candidats issus de l’immigration ou résidant en zone urbaine sensible (ZUS) ou dans une ville en contrat urbain de cohésion social (CUCS) » . Ainsi, « avec des CV nominatifs, les candidats issus de l’immigration et/ou résidant en ZUS-CUCS ont 1 chance sur 10 d’obtenir un entretien, tandis que le reste des candidats a 1 chance sur 8 ». Or, « lorsque les CV sont anonymisés, l’écart s’accroît : 1 chance sur 22 pour le premier groupe contre 1 chance sur 6 pour le second ». Plusieurs explications sont avancées par le collectif de chercheurs. Au final, « reste une hypothèse subtile mais plausible » : l’anonymisation du CV, en ôtant de l’information sur les candidats, empêche les recruteurs « de réinterpréter à l’avantage des candidats potentiellement discriminés les autres signaux du CV », tels une longue période de chômage.
Le collectif n’est donc pas favorable à la généralisation du CV anonyme. Les résultats ouvrent cependant des pistes pour les entreprises « allant de la sensibilisation de leurs recruteurs contre cette discrimination cachée à la diversification des personnes en charge de sélectionner les CV ».
Disponible dans la docuthèque, rubrique « infos pratiques », sur