« Le terme “réhabiliter” supposerait qu’il y ait eu un âge d’or du travail social communautaire en France, ce qui est largement inexact. L’approche individuelle y règne en effet en maître depuis ses origines, et cette tendance ne fait que se renforcer sous le poids de l’individualisation et de la contractualisation des pratiques inscrites dans les lois.
L’éducation populaire a pu constituer, dans ses aspirations, un mouvement relativement proche, permettant une éducation commune et collective à des enfants et des familles de même milieu. Mais aujourd’hui, le secteur s’est grandement technicisé et orienté vers une “offre” de prestations ou d’activités à consommer individuellement.
Les pratiques sociales auprès des “communautés” sont-elles du travail social communautaire ? Cela est peu probable, sauf à restreindre l’emploi du terme à la question d’une hypothétique et hasardeuse “appartenance collective” ou “identité collective”, dont nous connaissons la violence et les dérives. Nul ne relève en effet d’une seule “identité collective”, d’une seule racine, d’une seule “origine”. Nous sommes tous à la croisée de nombreuses influences, traditions et histoires. Chaque personne a à faire une synthèse unique et originale de l’ensemble des racines qui la soutiennent.
Certes, notre époque révèle un énorme et légitime besoin de communauté. La solitude, la concurrence à tous les étages pour le minimum vital, le manque de confiance dans les institutions, l’avenir ou la société…, tout cela nous pousse, nous, travailleurs sociaux, à chercher à redonner du sens au “vivre ensemble”. Mais ce sens même n’est-il pas à rechercher non pas tant dans des identités blessées et fantasmées que dans la capacité ici et maintenant de travailler, de produire, de faire ensemble ?
Ce que nous apprennent les outils de la pédagogie sociale (Freinet, Korczak, Freire), c’est justement que toute action sociale sur le groupe n’a pas d’autre sens que de favoriser de façon concomitante son organisation pour agir, et l’épanouissement de ses membres pour le nourrir. Refusant d’opposer l’individu et le collectif et posant justement que la capacité à dire“nous” est essentielle pour pouvoir apprendre à dire “je”, les pratiques en pédagogie sociale s’adressent à tous, ensemble. On ne perd pas son temps à rêver des environnements artificiels, favorables et coûteux, on part de la réalité, de la rencontre et de l’hétérogénéité même des publics et des attentes, qui sert de “carburant”.
La question de la légitimité du travail social communautaire ou de la reconnaissance des identités ethniques ou religieuses n’a tout simplement pas de sens face à une pédagogie “naturelle”, qui part de la réalité locale. La pédagogie sociale a à cœur de permettre la constitution de communautés non enfermantes, axées sur l’idée du produire et du travailler ensemble ; dans de tels groupes, les différences culturelles, religieuses deviennent elles-mêmes productives de liens et d’échanges. Il n’est pas étonnant que de telles pratiques parviennent à modifier durablement les relations entre les personnes et les groupes, brisent les solitudes et contribuent à lutter contre les peurs sociales.
Pour autant, une autre question demeure. Quels financements pour ces actions ? Les plus innovantes sont la plupart du temps financées sur des lignes budgétaires limitées et précaires (soutien à la parentalité, contrat urbain de cohésion sociale, etc.), qui obligent les porteurs de projet à couper leur action en petits bouts alors que l’intérêt de celle-ci réside au contraire dans sa globalité. Qui soutient encore ceux qui soutiennent ? Inévitablement, le travail social communautaire pose la question du partage des ressources publiques, des capacités d’autoproduction et d’autofinancement. Au-delà des bénéfices sociaux et éducatifs qu’il apporte magistralement, il contribue à éveiller la conscience économique et politique des personnes et des groupes. Ne serait-ce pas pour cela qu’il est si peu soutenu ? »
(2)