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Dépendance : articuler solidarité publique et solidarité d’engagement

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Les enjeux de la prise en charge de la dépendance sont tels qu’il convient de dépasser les oppositions stériles entre aide publique et aide privée, professionnels, familles et bénévoles, soutient Jean-François Serres, secrétaire général de l’association les Petits Frères des pauvres. Un texte qui devait alimenter la réflexion du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, réuni en séance plénière le 7 avril.

« La logique de protection du “risque dépendance” doit être pensée comme une solidarité publique qui contribue à maintenir et à renforcer les liens de la personne avec ses proches et à stabiliser dans le temps la capacité d’accompagnement de son entourage. L’observation des solidarités pratiques montre qu’il n’y a pas d’opposition entre aide publique et maintien des solidarités privées ; au contraire, les deux se renforcent (1).

Cette complémentarité indispensable entre l’entourage et les professionnels autour d’une personne qui nécessite des soins quotidiens et de longue durée doit être animée dans une reconnaissance réciproque. S’il y a une compréhension partagée de ce qui distingue et spécifie chacun dans son rôle, la famille ou le bénévole accompagnant ne sont alors pas vécus par le professionnel comme menaçant soit de se substituer à lui, soit de supprimer la part relationnelle de son intervention qui fait aussi toute la richesse de son métier. Ainsi, la famille intervient sans culpabilité et le bénévole sans développer un sentiment d’illégitimité, mais bien comme acteur du “prendre soin” avec les professionnels.

Le rôle des familles est fondamental. Toutefois, un nombre important de personnes âgées ne bénéficient pas d’un entourage familial en capacité de les accompagner. Les études montrent qu’aujourd’hui une personne dépendante sur quatre est entièrement seule, et que cette personne a de fortes “chances” d’être une personne pauvre ! Cette situation est la conséquence d’un processus d’isolement social continu qui touche une partie importante de la population française dès 40 ans et qui s’intensifie avec l’âge (2). Lorsqu’elles ne disposent plus de soutiens relationnels proches et qu’elles entrent dans une plus grande vulnérabilité due à l’âge, les personnes se replient sur elles de façon dramatique. Bien souvent, elles ne demandent pas d’aide, elles n’appellent pas la famille, elles ferment la porte sur leur détresse. Sortir de cette solitude n’est pas chose facile, au domicile comme en établissement.

Il est prouvé que la dépression, l’anxiété, l’isolement social et la sédentarité sont des facteurs aggravants de la perte d’autonomie. La forte influence de l’équilibre affectif, de l’activité stimulante et de l’exercice d’une passion comme facteurs protecteurs est également prouvée. C’est dans un environnement dans lequel la personne a une place que seront stimulées ses capacités physiques et sociales.

L’importance de l’entourage lors de la prise en charge de la personne dépendante devrait donc être reconnue et renforcée aussi dans le cadre de programmes de prévention de santé publique fortement recommandés par ailleurs. Le phénomène de repli sur soi entraîne des retards dans la prévention et de grandes difficultés de prise en charge. Pour les personnes isolées qui forment une partie importante de la population âgée dépendante, les réseaux amicaux et familiaux cèdent le pas aux réseaux d’aide et de maintien à domicile. Pour pallier l’absence d’entourage, les personnes tentent de nouer des liens d’“intimité” avec des aides-soignantes ou ménagères qu’elles n’ont pas choisies et qui sont soumises à des contraintes et des postures professionnelles peu propices à la mise en place d’une relation réciproque et gratuite.

Dans ces situations, un bénévolat d’accompagnement peut créer avec la personne âgée seule une relation de confiance permettant de resituer les intervenants professionnels à une place juste et satisfaisante pour chacun.

Des aidants eux aussi en difficulté

D’autre part, le nombre moyen d’aidants familiaux potentiels par personne âgée dépendante risque de diminuer (3), du fait de la baisse du nombre d’enfants par famille et de l’éclatement géographique de celles-ci. Et même si cette érosion du potentiel d’aidants familiaux est difficile à prévoir, ceux-ci auront besoin de soutien, surtout s’ils sont davantage seuls (4).

Les proches qui aident leur conjoint ou parent en situation de dépendance sont souvent en risque d’épuisement s’ils ne sont pas aidés eux-mêmes. Petit à petit, leur vie sociale se réduit, leurs relations aux autres se tendent, leur vie professionnelle – lorsqu’ils en ont une – se complique. L’isolement, la culpabilité, le repli sur soi, s’installent également pour celui qui aide. Les coûts “indirects” de la dépendance, s’ils ne sont pas perçus, n’en sont pas moins réels.

Le rôle et la place d’un bénévolat d’accompagnement sont donc des sujets majeurs. Ce bénévolat est très souvent indispensable, à la fois pour intervenir dans les cas où la personne est seule mais également pour soutenir les familles et éviter leur épuisement. Il pourrait être légitimé dans la loi, comme cela a été fait pour le bénévolat d’accompagnement dans le champ des soins palliatifs (5). Cela faciliterait l’intervention des bénévoles et sécuriserait les acteurs. Des modes de conventionnement entre les associations et les professionnels pourraient en découler.

Le fait d’être amené à dépendre des autres en vieillissant, pour une aide ou des soins, ne doit pas entraîner une perte de capacité à se déterminer librement, à faire ses choix, à vivre sa citoyenneté. Les associations de bénévoles d’accompagnement, en tant que représentants de la société civile, doivent ouvrir le plus possible aux personnes accompagnées l’accès à la vie sociale et citoyenne et lutter contre la maltraitance, les négligences, les abus de confiance. Elles doivent tout mettre en œuvre pour que les personnes s’expriment, dans le respect de leur intimité, de leur liberté et contribuer à représenter et porter la parole de celles qui ne sont pas en mesure de se faire entendre ou de se défendre. Elles doivent favoriser les occasions de participation, multiplier les rencontres, œuvrer à la cohésion sociale avec les plus fragiles…

Face à la réalité de l’isolement, au défi de la longévité et au risque d’épuisement des aidants familiaux, un programme de développement d’équipes de bénévoles d’accompagnement, organisées dans la proximité des personnes en perte de mobilité, est une urgence sociale. C’est en soutenant un vaste mouvement de solidarité citoyen que l’on pourra reconstruire pour les personnes fragiles des entourages sécurisés par un fonctionnement associatif de qualité. Ce programme permettrait d’agir au niveau de la prévention, en luttant contre l’isolement et en allant vers ceux qui ne se font pas connaître, d’intervenir dans le cadre d’un plan d’accompagnement complémentaire avec les familles et les professionnels et de permettre aux personnes les plus fragiles de retrouver leur place dans la société.

La forme de solidarité adaptée aux nouvelles dépendances ne peut plus opposer aide publique et aide privée, professionnels, familles et bénévoles, spécialistes et généralistes, structures collectives et structures individuelles… (6) Elle oblige à une nouvelle forme de partition des rôles articulant, dans le respect des souhaits de la personne et avec elle, l’intervention de toutes les parties prenantes en évitant un enchevêtrement complexe des initiatives et des dispositifs. Ce développement permettrait également de susciter une prise de conscience de l’opinion publique qui seule permettrait une évolution à la hauteur des enjeux.

Au-delà de l’augmentation du nombre d’années à vivre sans incapacité, qui est objectivement une chance, la fragilité qui augmente avec l’âge, la perte progressive des capacités, la dépendance à l’autre dans ces temps de fragilité nous obligent, personnellement ou collectivement, à entrer dans une relation de soins mutuels. Cette relation qui répond aux besoins primaires est sans doute au fondement de notre humanité. “La dimension humanisante n’est pas à ajouter, en plus, au soin : l’humanité, son maintien, sa transmission, sont déjà là dans la réponse au besoin” (7). Elle nous oblige à nous arrêter et à nous consacrer à ceux qui sont aux extrémités de la vie, passeurs des mystères de l’origine et de la mort. Sans eux, serions-nous des femmes et des hommes, des fils et des frères, des mères, des amis ?

Une chance pour la société

C’est donc en effet une chance pour chacun, comme une chance pour notre société tout entière, de prendre soin des plus fragiles. Ce sont eux sûrement qui vont nous inspirer pour mettre au cœur de notre société de la sollicitude, de la fraternité, plus d’humanité.

En s’engageant bénévolement dans une relation avec celui ou celle qui souffre de mise à l’écart, c’est aussi pour soi que l’on agit. Et en s’associant pour agir, on se réaffilie, on s’émancipe des processus d’isolement qui nous frappent, chacun. On retrouve le sens du vivre ensemble, on anime de nouvelles formes de relations entre les générations.

Le degré de civilisation d’une société se mesure sans aucun doute aux soins qu’elle porte aux plus fragiles de ses membres. Quelle place et quel rôle ont les plus vieux, en particulier les plus fragiles et les plus pauvres d’entre eux, dans notre quotidien, en France, en 2011 ? Les voyons-nous dans la rue, les magasins ? Ils sont extrêmement minoritaires, dans le métro ; ils ne sont pas dans la ville trépidante, les bureaux, les lieux de travail, non plus. Il nous faut pousser la porte des EHPAD, des appartements devenus lieux de solitude et parfois d’enfermement…

Oui, sûrement c’est une chance d’avoir à prendre soin des personnes âgées dépendantes car pour nous, témoins quotidiens, la question n’est pas seulement “qui va payer ?” mais plus largement “qui va prendre soin d’eux, les entourer ?” et, finalement, “va-t-on les aimer ?” »

Contact : Association Les petits frères des Pauvres – 33 et 64, avenue Parmentier – 75011 Paris – Tél. 01 49 23 13 00

Notes

(1) Voir notamment les travaux de Claudine Attias-Donfut et Jimm Ogg, de Catherine Bonvalet et Jimm Ogg ou de Gosta Esping-Andersen.

(2) Comme le montre l’étude de la Fondation de France sur Les solitudes en France – Voir ASH n° 2667 du 9-07-10, p. 21.

(3) « Personnes âgées dépendantes et aidants potentiels : une projection à l’horizon 2040 » – Etudes et résultats n° 160 – DREES – Février 2002 – Voir ASH n° 2253 du 8-03-02, p. 32.

(4) Quand ils sont seuls, les aidants déclarent plus souvent une fatigue morale que ceux qui ne le sont pas (86 % contre 77 %) – « Les aides et les aidants des personnes âgées » – Etudes et résultats n° 142 – DREES – Novembre 2001.

(5) Article 10 de la loi n° 99-477 du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs.

(6) « La polémique du care, un débat qui mérite mieux que des caricatures » – Marc-Olivier Padis – Esprit, Juillet 2010.

(7) « Le soin, un défi de culture » – Robert William Higgins – Esprit, Juillet 2010.

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