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Injonction de soins : l’absence de moyens et de coordination est un frein à sa mise en œuvre, estiment l’IGAS et l’IGSJ

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Depuis sa création en 1998, l’injonction de soins, prononcée le plus souvent à titre de peine complémentaire dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire et réalisée à la sortie de la détention, n’a cessé de voir son champ s’accroître, pour y inclure, au-delà de la prévention de la récidive des infractions sexuelles, les violences sur les personnes et les violences intrafamiliales. Aussi, en juillet 2010, le ministère de la Santé a-t-il demandé aux inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des services judiciaires (IGSJ) d’évaluer le dispositif afin de recenser les moyens actuellement disponibles pour sa mise en œuvre, de mesurer son efficacité et de l’améliorer (1). Leurs conclusions : l’absence de moyens et les dysfonctionnements dans la prise en charge des détenus au moment de leur libération nuisent à une utilisation optimale de l’injonction de soins. Des conclusions qui ne sont pas sans rappeler celles de l’IGSJ à propos de l’affaire « Meilhon » (2).

Un dispositif très mobilisé malgré le manque de moyens

Le « développement rapide [de l’injonction de soins] fait que [sa] croissance est potentiellement très conséquente », soulignent les inspections. Ajoutant qu’« il n’est pas certain qu’elle corresponde criminologiquement à un besoin d’égale ampleur ». Sur 1 342 condamnations à un suivi socio-judiciaire prononcées en 2009, l’IGAS et l’IGSJ constatent que l’injonction de soins est présente dans 66 % de ces condamnations. La durée moyenne des peines de suivi sociojudiciaire étant de presque six ans. Au 15 octobre 2010, environ 3 800 injonctions de soins – dont près de 50 concernaient des mineurs – étaient en cours d’exécution et 10 % d’entre elles se rapportaient à des infractions autres que sexuelles. Leur nombre « pourrait atteindre le chiffre de 7 800 d’ici quelques années », avancent les inspections.

Selon elles, nous sommes face à une « systématisation du recours à l’injonction de soins », ce qui n’est pas sans conséquence sur la pratique des professionnels. Premier écueil : « la multiplication du recours à l’expertise psychiatrique devenue obligatoire et dont la réalisation rapide conditionne souvent l’orientation et le traitement judiciaire des affaires ». En effet, rappellent l’IGAS et l’IGSJ, « les délais de réalisation [d’une bonne expertise] sont souvent longs et peuvent retarder l’issue des procédures ». Par ailleurs, « en matière de psychiatrie, la ressource en experts est faible et il serait regrettable que le choix du praticien soit effectué sur le critère dominant de la célérité ». Enfin, note le rapport, « la mise en place de certaines procédures conduisant à l’injonction de soins sauf décision juridictionnelle contraire peut entraîner la surcharge d’un dispositif judiciaro-sanitaire mal proportionné ». Tel est le cas par exemple en ce qui concerne le dispositif de santé mentale. L’IGAS et l’IGSJ pointent non seulement l’insuffisance des crédits et des effectifs de psychiatres (3) mais aussi l’inégale répartition de ces professionnels sur le territoire alors même que 20,4 % des postes seraient vacants, selon l’Observatoire national de la démographie des professions de santé. Des insuffisances que le plan d’actions 2010-2014 pour la prise en charge sanitaire des personnes incarcérées entend pallier (4).

Autre critique des inspections : l’extension du champ de l’injonction de soins n’a été accompagnée d’« aucun moyen spécifique supplémentaire », alors même que sa mise en œuvre a constitué une charge nouvelle pour les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) (5).

L’absence de lien entre milieux fermé et ouvert

Parce que « la récidive intervient souvent dans les mois qui suivent la sortie de prison », soulignent les inspections, il est « crucial que le suivi socio-judiciaire et l’injonction de soins soient effectifs dans les jours qui suivent la sortie et non pas, comme elles ont pu le constater, dans les mois qui la suivent ». En réalité, insistent-elles, lutter contre la récidive supposerait qu’« aucune sortie ne soit décidée sans qu’elle ait été suffisamment préparée », une préparation qui nécessite plusieurs mois et une bonne coordination des acteurs. Quoi qu’il en soit, « il importe avant tout que la transmission des dossiers, tant judiciaire que médical, et les premiers rendez-vous [avec le médecin coordonnateur et le médecin traitant] se réalisent dans un très court délai et si possible avant la sortie », suggèrent l’IGAS et l’IGSJ. Pour ce faire notamment, elles préconisent de recourir systématiquement aux permissions de sortir, y compris pour les détenus les plus dangereux, quitte à les faire accompagner d’un travailleur social. Il convient aussi, selon elle, d’organiser la prise en charge financière de ces premières consultations lorsqu’elles sont payantes (6) par le service pénitentiaire, à défaut de l’assurance maladie.

En outre, considérant la surcharge de travail des SPIP, les inspections recommandent à ces derniers de « prendre en compte la spécificité de l’injonction de soins dans la répartition des dossiers ». Afin de les y aider, elles proposent de « développer des recherches pour permettre de mieux discriminer parmi les auteurs de violences sexuelles ceux pour qui une prise en charge psychiatrique ou psychologique est indiquée ».

Par ailleurs, relèvent l’IGAS et l’IGSJ, le « déficit » de médecins coordonnateurs disponibles nuit à l’application complète du dispositif. Leur nombre est passé de 186 en 2006 à seulement 220 aujourd’hui, un chiffre insuffisant au regard de la croissance prévisible des condamnations à une injonction de soins. De plus, ceux-ci sont inégalement répartis sur le territoire : en 2010, seulement 32 tribunaux de grande instance (sur 181) et 16 départements en étaient pourvus. D’après une enquête réalisée l’an dernier, deux tiers des médecins coordonnateurs suivaient plus de dix personnes (le plafond étant fixé à 20) et 80 % d’entre eux les recevaient au moins trois fois par an. En outre, seulement 15 % de ces médecins transmettaient systématiquement les pièces judiciaires au médecin traitant sans en attendre la demande. Afin de lever un certain nombre de freins (administratifs, culturels, juridiques) à l’exercice de ces professionnels de santé, les inspections préconisent entre autres de « supprimer le plafond des dossiers susceptibles [de leur] être confiés » ou encore de « raccourcir dans les tribunaux et les agences régionale de santé les délais préalables [à leur] paiement ».

Notes

(1) Rapport sur l’évaluation du dispositif de l’injonction de soins – Février 2011 – Disponible sur www.ladocumentationfrancaise.fr.

(2) Voir ASH n° 2697 du 18-02-11, p. 17.

(3) En 2009, on en dénombrait 12 379. Mais des perspectives démographiques médicales prévoient une baisse du nombre de psychiatres dans les prochaines années.

(4) Voir ASH n° 2681 du 5-11-10, p. 15.

(5) Au 31 décembre 2009, les SPIP suivaient 186600 mesures (+ 6,9 % par rapport à 2008) et le nombre moyen d’injonctions de soins suivies par chaque conseiller d’insertion et de probation était de cinq pour un total de 140 mesures.

(6) A l’heure actuelle, les soins dispensés lors des permissions de sortir, comme lors des aménagements de peines, ne sont pris en charge par le service pénitentiaire qu’en cas d’urgence.

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