« Voici plusieurs mois que les deux organes représentatifs des établissements de formation en travail social, le GNI et l’Aforts, réunis aujourd’hui sous la bannière unique de l’Unaforis (2), ont mis en chantier une réflexion préalable à une transformation importante du champ de la formation. Pour l’Unaforis (3), il convient de regrouper les formations sociales autour de trois champs d’activité : l’animation sociale, la cohésion sociale et l’éducation. Le principe du tronc commun à toutes les formations devrait s’imposer, complété par le choix d’une mention ou d’une option spécialisée. Parallèlement, les actuels niveaux de formation de I à V seraient remplacés par des certifications génériques (où l’on retrouve le bachelor pour les niveaux III et le master pour les niveaux II et I), architecture qui inscrirait les formations de niveau III à I dans l’espace européen de l’enseignement supérieur et faciliterait la mobilité des étudiants au niveau communautaire. Cela s’accompagne logiquement d’une inscription des diplômes dans le cadre des ECTS (European Credits Transfer System), plus de dix ans après le début du processus enclenché à Bologne !
Parallèlement à ces transformations, il est proposé la création de plateformes régionales de formation et des “hautes écoles professionnelles en action sociale” qui viennent parachever le mouvement de restructuration du champ de la formation. Ce type de réforme (révolution ?) est particulièrement bien adapté pour les IRTS, inscrits depuis l’origine dans une dynamique de proximité selon le modèle prédominant en Europe (et dans de nombreux pays dans le monde), qui rapproche, mais seulement partiellement, les formations en travail social des formations universitaires.
Mais le clivage entre les “écoles” et les “instituts” (pour catégoriser rapidement l’opposition des conceptions et des appareils de formation sous-jacents) est rapidement réapparu avec la position bien argumentée développée par Philippe Gaberan, directeur d’une école de travail social en Lozère (4), qui stigmatise le processus de fusion conduisant à l’Unaforis, emblème, selon lui, d’un mouvement de concentration menaçant la diversité des projets pédagogiques des établissements de formation. Et de rappeler qu’à l’instar de ce qui se passe dans d’autres secteurs, la rationalisation des moyens peut aboutir à la désertification des territoires et à la disparition des particularités locales. Sa proposition alternative consiste en la mise en réseau des hautes écoles, qui pourraient ainsi être virtuelles tout en se situant aux plans national ou international. Ce système préserverait l’identité propre de chaque établissement de formation en évitant la fusion “d’énormes entités installées en situation de monopole”.
Si l’argumentation de Philippe Gaberan sur les risques inhérents à la fusion/concentration des organismes de formation est pertinente, nous sommes cependant convaincus que le mouvement de réorganisation/restructuration de l’appareil de formation en travail social est devenu indispensable en raison de l’internationalisation des processus de formation, qui s’oppose au statu quo que nous connaissons depuis le début des années 1970. Regardons les transformations opérées dans la quasi-totalité des pays de l’Union européenne et au-delà. La dynamique impulsée par le processus de Bologne s’est imposée et est reconnue dans son architecture par les systèmes de formation de toutes les écoles professionnelles supérieures allant de la zone Asie-Pacifique à l’Europe en passant par l’Afrique ! Le niveau bachelor (ou licence) est reconnu très largement pour les formations de niveau III, les masters s’imposent et se généralisent et certains pays créent des doctorats en travail social (5).
Par ailleurs, tout en reconnaissant la qualité du travail réalisé par les écoles et en respectant les particularismes locaux, il est inévitable de concevoir une offre de formation en travail social qui soit décloisonnée et qui s’inscrive dans un ensemble où se côtoient des disciplines différentes telles que les sciences sociales, la santé, le management, voire les arts plastiques, l’architecture, l’économie, le droit, etc. Cela dans une perspective de “débalkanisation” de la formation en travail social qui, en France, a été trop longtemps confinée dans un espace restreint de réflexion et de pratique.
On pourra également, et de façon tout autant indispensable, revoir la formation des professionnels de l’enseignement en travail social : nous prônons la création d’un professorat en travail social accompagné de la reconnaissance de compétences théoriques et/ou professionnelles effectives. Le terme de “formateur” est difficilement traduisible en d’autres langues et représente un ensemble disparate de compétences qui ne met absolument pas en valeur les connaissances/compétences mobilisables. Dans le cadre d’une comparaison européenne et au-delà, la plupart des “formateurs” en travail social déclinent une spécialisation correspondant à un champ lisible d’expertise, d’expérience et/ou de connaissances universitaires.
Toutes ces modifications vont dans le sens d’une plus grande professionnalisation de l’enseignement/formation en travail social, qui doit être associée à une dynamique de recherche dont les prémisses sont aujourd’hui confortées avec la mise en place des pôles ressources en matière de formation et de recherche.
Le souci des particularités locales et des innovations pédagogiques est partagé par tous les établissements de formation, qui se sont particulièrement bien adaptés aux redéfinitions des programmes et aux besoins des publics. Mais nous devons offrir des conditions d’enseignement qui soient comparables aux normes internationales. Or le modèle français est daté et ne représente plus une référence attractive pour les pays qui souhaitent construire ou réformer leur propre système de formation (6). Le triptyque de Bologne : ECTS, LMD (licence-master-doctorat), assurance qualité, constitue la norme de référence internationale avec la perspective de création de doctorats en travail social.
L’actuel système français est trop éloigné de cette conception et c’est la raison pour laquelle nous sommes partisans d’une profonde refonte du système de formation en travail social qui aille au-delà des “hautes écoles” en créant, sur le modèle allemand, suisse ou belge, des écoles polytechniques universitaires ou des universités de sciences appliquées au sein desquelles le travail social représente une discipline enseignée et/ou transmise comme une autre.
Ce véritable aggiornamento du système de formation nous paraît incontournable si nous voulons rattraper le retard que nous avons accumulé par rapport à la grande majorité des pays qui nous entourent. Il favorisera de surcroît un regain d’attrait pour des formations et des professions qui sont aujourd’hui peu reconnues et qui font figure de parents pauvres dans le panorama des formations professionnelles supérieures. »
Contact :
(1) Il s’exprime ici à titre personnel.
(2) Respectivement le Groupement national des instituts régionaux du travail social, l’Association française des organismes de formation et de recherche en travail social et l’Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale
(3) Voir l’interview du président de l’Unaforis, Pierre Gauthier, dans les ASH n° 2667 du 9-07-10, p. 30.
(5) Il existe actuellement un doctorat européen en travail social, labellisé par l’UE dans le cadre du programme Socrates et du Fonds social européen. Il s’agit du dispositif Indosow (International Doctoral Studies in Social Work) auquel apportent leur concours plusieurs pays européens tels que la Lituanie, l’Allemagne, la Finlande et la Grande-Bretagne. Ce programme doctoral a débuté en 2009 et se poursuit actuellement. Il permet donc de délivrer des diplômes de niveau doctoral alors que le système d’enseignement français en travail social ne le permet pas.
(6) Ainsi, certains pays de l’ex-Union soviétique tels que l’Azerbaïdjan ou le Kazakhstan, ou, plus près de nous, des pays comme la Tunisie et le Maroc, s’inspirent des normes de Bologne pour construire leur espace de formation supérieure.