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Vers une déréglementation tous azimuts ?

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Inclusion des établissements dans le champ de la directive « services », possibilité d’un accueil en surnombre avec moins de personnel qualifié, concurrence par le bas des maisons d’assistantes maternelles, création des jardins d’éveil…: les professionnels des crèches s’inquiètent des réformes qui touchent le secteur de la petite enfance. Après la mobilisation exceptionnelle du printemps 2010 et la journée d’action du 11 mars dernier, de nouvelles initiatives sont programmées dans les semaines à venir.

L’équation est la suivante : comment concilier, en France, un taux de fécondité de deux enfants par femme – l’un des plus élevés d’Europe – et une forte présence des mères sur le marché du travail (85 % des femmes sont actives entre 25 et 49 ans) ? Si la France a une réputation de bonne élève en matière d’accueil du jeune enfant, il manquerait tout de même officiellement de 300 000 à 400 000 places de garde pour les moins de 3 ans – 500 000, avance même le collectif « Pas de bébés à la consigne ».

Dans ce contexte, Nicolas Sarkozy indiquait, dès 2007, dans la lettre de mission adressée au ministre chargé de la famille, qu’il souhaitait prendre « toutes les dispositions nécessaires pour que les parents soient en mesure de concilier plus facilement leurs vies professionnelle et familiale, notamment en développant et en diversifiant l’offre de garde d’enfants ». Après avoir retoqué l’idée d’un « droit opposable à la garde d’enfants », pourtant évoqué lors de sa campagne électorale, le chef de l’Etat annonçait finalement, en février 2009, la création de 200 000 places supplémentaires à l’horizon 2012, pour moitié chez les assistantes maternelles, pour moitié en accueil collectif.

Pour atteindre ce chiffre, plusieurs leviers sont activés. Côté financier, le Fonds national d’action sociale (FNAS) de la CNAF (caisse nationale des allocations familiales) est doté d’une enveloppe de 1,3 milliard d’euros supplémentaires pour 2009-2012. Cet effort gouvernemental s’accompagne de mesures d’assouplissement des modes de garde qui, en détricotant un certain nombre de règles et de contraintes qui encadraient jusque-là le secteur, visent la quantité – le gouvernement parle de « pragmatisme » – au détriment de la qualité.

Du côté des professionnels, le malaise s’est installé. « Nous sommes bien sûr favorables à ce qu’il y ait davantage de places de crèche mais cela ne peut se faire au rabais », explique Birgit Hilpert, éducatrice de jeunes enfants et une des porte-parole du collectif « Pas de bébés à la consigne ». « On va vers une dérégulation globale qui élimine tous les garde-fous ; on n’est plus dans un cercle vertueux », déplore, quant à lui, Philippe Dupuy, délégué national « petite enfance et emploi » à l’ACEPP (Association des collectifs en­fants, parents, professionnels). « Les mutations en cours ciblent les fondamentaux de l’accueil de la petite enfance et non seulement son organisation », analyse le philosophe et sociologue Saül Karsz (1).

Première inquiétude des professionnels : la France a choisi de ne pas exclure les établissements d’accueil du jeune enfant de la directive européenne relative aux services dans le marché intérieur, dite directive « services ». De quoi laisser un goût amer aux acteurs de la petite enfance, qui craignent une dérégulation progressive du secteur, alors que d’autres pays, comme l’Allemagne, ont opté pour une position inverse. « Il est encore trop tôt pour avoir une idée de l’impact global de la transposition de la directive au niveau national ; certaines collectivités ont pris tout de même position contre la libéralisation du secteur », observe toutefois Dorothée Merlier, responsable du secteur « enfance, jeunesse et famille » à l’Uriopss (Union régionale interfédérale des œuvres priviées sanitaires et sociales) Nord-Pas-de-Calais. « Mais, même si elle n’entraîne pas d’effets immédiats, cette directive nous inquiète dans la mesure où c’est un pas supplémentaire vers l’allégement des conditions d’accueil et d’encadrement », analyse Sophie Urban qui coordonne le groupe de travail « crèches » à la FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés non lucratifs). Tout cela « risque de déboucher sur une concurrence des modes d’accueil à l’échelle européenne. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour les familles car on sait que la marchandisation d’un service entraîne une baisse de la qualité et un coût mal maîtrisé », précise Birgit Hilpert. Les craintes sont d’autant plus importantes que les entreprises privées sont déjà présentes dans le secteur – souvent avec des projets d’établissement clé en main que les équipes peinent à s’approprier. Signe des temps, une Fédération française des entreprises de crèches (2) a même été créée en 2010. Certes, elle ne gère que 15 000 places de crèche (sur environ 350 000) mais ce chiffre est en progression.

Deuxième sujet d’irritation des professionnels, la loi du 9 juin 2010 relative à la création des maisons d’assistants maternels (MAM), qui généralise les expérimentations permettant de rassembler dans un seul local, hors domicile, jusqu’à quatre assistantes maternelles ayant la garde de quatre enfants chacune. Intérêts pour ces professionnelles : enrichir leur pratique par un travail en équipe et permettre à celles qui n’ont pas de logement adapté d’exercer cette activité. Avantages pour les parents : l’offre d’une continuité de service et une amplitude horaire plus grande. Si certaines associations familiales considèrent ces maisons d’assistants maternels comme une avancée, à l’instar de Familles rurales qui a fait le choix d’accompagner leur création en veillant à la qualité de l’accueil proposé, les professionnels des crèches s’inquiètent toutefois de la faiblesse des normes réglementaires (même si leur ouverture reste soumise à l’avis des services de la protection maternelle et infantile [PMI]) et du « brouillage » des frontières entre accueils individuel et collectif. Fin octobre 2010, près de 200 MAM étaient en fonctionnement ou en cours d’ouverture. A terme, les collectivités ne vont-elles pas privilégier ce type de dispositif, beaucoup plus souple et permettant d’accueillir jusqu’à 16 enfants à peu de frais, au détriment des crèches ?

« Les MAM répondent, certes, à une vo­lonté légitime de certaines assistantes maternelles de travailler dans un cadre plus collectif, mais elles créent un système dérogatoire vis-à-vis des normes qui existent dans les crèches », observe Dorothée Merlier. « Ces structures laissent croire qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un personnel formé à l’accueil collectif », note, de son côté, Laurence Mérot, chargée de mission « animation du réseau » au sein de Colline-ACEPP Nord-Pas-de-Calais (3). « Alors que les pouvoirs publics tentent d’harmoniser le métier d’assistant ma­ternel à travers un référentiel “métier”, ils créent en même temps, avec les MAM, un dispositif soumis à la discrétion des collectivités qui proposeront – ou pas – un accompagnement plus ou moins conséquent », déplore Corinne Chaillan, présidente de la FNEJE (Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants).

Paradoxalement, malgré l’intérêt que représentent ces nouvelles structures pour elles, certaines assistantes maternelles redoutent qu’elles ne soient une source récurrente de conflits : ces « maisons » supposent une délégation de responsabilité – les parents autorisant leur assistante maternelle à déléguer temporairement la garde de leur enfant à une autre exerçant dans le même local – compliquée à mettre en place. « Quand les parents choisissent une assistante maternelle, ils optent pour une relation in­dividualisée avec elle. Dans le cadre d’une MAM, la confiance peut être mise en difficulté », analyse Alain Ferreti, chargé de la petite enfance à l’UNAF (Union nationale des associations familiales).

Enfin, le décret « Morano » du 7 juin 2010 (voir encadrés, ci-contre et page 34) est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Un texte passé en force après plusieurs mois de mobilisation exceptionnelle des professionnels de la petite enfance, qui ont organisé pas moins de cinq journées d’action durant le premier semestre 2010 – du jamais vu dans ce secteur – pour dénoncer un texte « dégradant la qualité d’accueil du jeune enfant ». A la tête de la mobilisation, le collectif « Pas de bébés à la consigne » s’est insurgé contre « les conséquences néfastes des mesures annoncées pour la sécurité affective et matérielle des enfants et sur les risques pour les conditions de travail et les pratiques professionnelles ». Quelques compromis ont certes été trouvés par rapport au texte initial, dont les premières versions ont circulé dès le début de l’année 2009. Le quota de un adulte pour cinq enfants qui ne marchent pas et de un pour huit qui marchent a, par exemple, été conservé. Toutefois, peu de professionnels se montrent satisfaits du résultat.

Optimisation ou « surbooking » ?

Premier point délicat : l’accroissement des possibilités d’accueil en surnombre. Jusque-là limitée à 110 % de la capacité autorisée, l’occupation des structures peut désormais atteindre 120 % pour les établissements ou services de plus de 40 places (115 % pour ceux qui comptent entre 21 et 40 places et 110 % pour les structures plus petites) sous réserve que la moyenne du taux d’occupation hebdomadaire ne dépasse pas 100 % et que le quota de un pour cinq et de un pour huit soit respecté. Dans les faits, une crèche prévue pour 60 enfants peut donc désormais en accueillir 72 ponctuellement.

Pour le gouvernement, qui cite un taux d’occupation moyen des crèches de 67 % (à Paris, il serait plutôt autour de 75 %), il s’agit d’« optimiser les structures existan­tes » en accueillant, par exemple, « un enfant dont l’assistante maternelle est malade ou dont la mère se rend à un entretien d’embauche » (4). Mais, pour les acteurs concernés, il s’agit d’un « surbooking » qui rend leur situation intenable : cela suppose qu’en plus de leur travail habituel, ils jonglent avec le planning de présence pour appeler des parents potentiellement intéressés pour des gardes ponctuelles. Or le contexte est déjà souvent tendu : « Au quotidien, nous sommes en sous-effectif chronique de personnel auprès des enfants avec 12 adultes au lieu de 15 du fait des non-remplacements lors des arrêts maladie, congés de maternité, formations… Nous travaillons à flux tendu et, sur certaines tranches horaires, le taux d’encadrement de 1 pour 5 et de 1 pour 8 est dépassé. Tout le monde semble oublier que nous nous occupons de tout-petits, dont certains n’ont que quatre mois : ce qui est en jeu, c’est leur sécurité physique et affective, nous n’avons pas le droit à l’erreur. Comment pourrions-nous accueillir 20 % d’enfants supplémentaires ? », dénonce Claire Delmas, directrice d’une crèche départementale de 66 berceaux à L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) et déléguée de l’Association nationale des puéri­cultrices diplômées et des étudiantes en Ile-de-France. « L’effectif est tellement serré que le personnel n’a même plus la possibilité de partir en formation… Cela engendre une fatigue physique et morale d’autant plus forte que le travail effectué n’est pas bien reconnu », observe également Laurence Mérot. Au final, certaines professionnelles sont épuisées et « le risque de démotivation est grand », comme le note la psychologue Marie-Paule Thollon-Behar (5).

Autre point d’achoppement : la réduction du taux de professionnels qualifiés. Pour faire face aux difficultés de recrutement, le décret de juin 2010 assouplit l’encadrement des modes d’accueil avec l’abaissement de 50 à 40 % du nombre de puéricultrices, d’éducateurs de jeunes enfants, d’auxiliaires de puéricultures, d’infirmières ou de psychomotriciens. Ce qui ouvre plus grand la porte à des personnels moins qualifiés – notamment titulaires du CAP petite enfance, du BEP sanitaire et social ou justifiant d’une expérience comme assistante maternelle – qui, selon le collectif « Pas de bébés à la consigne », n’ont pas de « qualifications initiales suffisamment spécifiques pour l’accueil de la petite enfance ». Il arrive, en outre, que ceux-ci soient orientés dans cette voie par défaut, sans réelle motivation. Le coup est d’autant plus dur que certaines crèches avaient conservé un taux de personnel qualifié au-delà des 50 % en vigueur depuis le décret de 2000. « La qualité de ce travail est remise en cause ; le personnel doit réapprendre à travailler différemment en abandonnant des acquis, ce qui provoque des tensions et un grand mal-être », explique Corinne Chaillan.

« Le risque est grand que cette tendance à la déqualification s’amplifie », avance le collectif « Pas de bébés à la consigne ». Car, bien que le nombre de places de crèche s’accroisse, il n’y a « quasiment pas d’augmentation des places de formation pour les auxiliaires de puériculture et les éducateurs de jeunes enfants ». Dans le plan des métiers de la petite enfance annoncé en décembre 2008 par Nadine Morano (6), le gouvernement prévoyait de recruter 15 000 professionnels qualifiés (puéricultrices, auxiliaires de puériculture, EJE) d’ici à 2012. Non seulement ce plan semble au point mort mais le compte n’y est pas, déplorent les professionnels. « Il faudrait former plus de 10 000 professionnels qualifiés par an pendant trois ans ou 6 200 par an pendant cinq ans », selon le collectif. Or les régions, qui pilotent désormais les formations d’EJE, en font rarement une priorité. Quant aux auxiliaires de puériculture, elles sont formées par les hôpitaux qui n’y voient qu’un faible intérêt dans le mesure où nombre d’entre elles s’orientent ensuite vers le travail en crèche.

Fort de ce constat, « Pas de bébés à la consigne » a décidé de faire de la formation un « axe central dans la défense d’un accueil de qualité ». Le collectif souhaite plus précisément que la pluridisciplinarité des équipes de crèche soit soutenue et renforcée afin que chaque enfant soit pris en compte « dans son développement global » sans être morcelé entre les professionnels qui s’occupent du corps, ceux en charge du psychisme et ceux attachés à l’éducatif. En outre, il milite pour que la formation continue des titulaires de CAP petite en­fance et de BEP sanitaire et social (7) et des assistantes maternelles soit favorisée pour leur permettre d’accéder à une « qualification de niveau au moins équivalent à celle des auxiliaires de puériculture ». « Il faut également rendre possibles les évolutions de carrière », note Corinne Chaillan.

Seconde piste d’action, après la formation : l’interpellation des élus locaux et des gestionnaires de structures pour qu’ils s’engagent à ne pas appliquer le décret du 7 juin 2010. Une trentaine de collectivités ont d’ores et déjà fait ce choix, dont la Seine-Saint-Denis, Paris, Lille, Toulouse… « Même si on a perdu la bataille, on a gagné une prise de conscience », relève Birgit Hilpert. « Mais qui dit que demain les choses ne changeront pas ? », s’inquiète Claire Delmas. Ne pas mettre en œuvre le décret implique que les collectivités se donnent les moyens, alors que leur situation budgétaire est déjà tendue, de rémunérer un personnel plus qualifié et en nombre suffisant. Or la renégociation de la convention d’objectifs et de gestion (COG) entre l’Etat et la CNAF, pour la période 2013-2016, laisse craindre une révision à la baisse des moyens octroyés pour la petite enfance…

Paradoxalement, il n’est pas sûr que les mesures gouvernementales, même si elles sont appliquées, produisent tous les effets attendus en termes de création de places. Les micro-crèches pourraient, à terme, remplacer les petites structures que sont les crèches parentales et familiales, plus règlementées. Créées au départ à titre expérimental afin de faciliter les accueils collectifs en zone rurale ou en zone urbaine sensible, elles ont été intégrées au droit commun par le décret du 7 juin 2010 avec la possibilité d’accueillir dix enfants dans des conditions d’exercice très assouplies : elles peuvent faire l’économie d’un directeur – seul un référent technique doit être désigné – et sont dispensées du concours régulier d’un médecin. En outre, pour fonctionner, ni la présence d’une puéri­cultrice, ni celle d’une éducatrice de jeunes enfants, ni celle d’un infirmier n’est requise. Quant aux MAM, elles risquent de substituer un accueil collectif à un accueil individuel préexistant. Enfin, les collectivités pourraient se tourner massivement vers la pratique peu onéreuse du « surbooking » au détriment de la création de nouveaux établissements. D’autant que l’absence de lisibilité financière et la complexité administrative de la politique d’accueil du jeune enfant poussent d’ores et déjà de nombreuses collectivités à ajourner leur projet.

Faut-il y voir le témoignage de ces incertitudes ? Les chiffres annoncés concernant les crèches sont d’une grande confusion. Jouant sur les mots en distinguant « créations de places » d’un côté et « solutions d’accueil supplémentaires » ou « équivalents places » de l’autre, la CNAF et le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale ne divulguent pas les mêmes données. En janvier 2011, le Haut Conseil de la famille, chargé de faire un point global sur l’offre de garde, avançait toutefois le chiffre de 20 000 places créées en 2009, dont 7 500 issues de l’optimisation des places existantes (8).

Maintenir la pression

Autre signe que les dernières réformes sont loin d’avoir tout réglé, même l’UNAF, pourtant favorable au décret du 10 juin 2010 « au nom des familles qui n’ont pas de solution pour garder leur enfant », souhaite une remise à plat globale de la politique en matière de petite enfance. « La surenchère des réformes successives fragilise les modes d’accueil actuels. Plutôt que de développer les micro-crèches et les maisons d’assistants maternels, il aurait mieux valu s’appuyer sur les structures existantes », avance Alain Ferriti. Alors que les élections présidentielle et législatives de 2012 approchent, le collectif « Pas de bébés à la consigne » compte bien peser dans le débat avec son plan d’urgence pour l’accueil de la petite enfance, rendu public le 9 mars (9). Reçu par un représentant du ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale lors de la journée nationale d’action du 11 mars, il entend bien maintenir la pression. Un nouveau rendez-vous est programmé début avril avec le cabinet de Roselyne Bachelot. De nouvelles initiatives devraient également être organisées dans les semaines qui viennent.

DIX ANS DE RÉFORME, DIX ANS DE DÉRÉGLEMENTATION ?

En dix ans, le secteur de l’accueil collectif de la petite enfance s’est transformé en profondeur. Le décret du 1er août 2000 a été relativement bien accueilli puisqu’il toilettait le texte précédent qui datait de 25 ans. Il a notamment introduit l’obligation d’un projet d’établissement avec un volet éducatif, un volet pédagogique et un volet social.

Entre 2002 et 2005, la PSU (prestation de service unique), versée par les caisses d’allocations familiales (CAF), s’est mise en place progressivement. Sous couvert de mieux répondre aux besoins des familles, elle s’est accompagnée des premières mesures d’assouplissement des modalités d’accueil en généralisant la facturation horaire (à la place du forfait mensuel), en fonction du temps de garde utilisé par les parents. Objectif : optimiser le nombre de places. Ce faisant, elle transformait la façon de penser l’organisation de l’accueil vers « la logique financière du parking », comme le notait à l’époque l’ANAPsy (Association nationale des psychologues pour la petite enfance).

En 2006, le nouveau contrat enfance jeunesse de la caisse nationale des allocations familiales – toujours en vigueur – s’accompagnait d’une réduction des subventions dans le cas d’un taux de fréquentation inférieur à 70 %. Il a, lui aussi, contribué à faire entrer les crèches dans un système dominé par l’optimisation et la rentabilité.

Mais c’est véritablement le décret du 20 février 2007 qui a amorcé un processus d’allégement des normes d’encadrement et de fonctionnement des crèches, notamment en autorisant les micro-crèches (jusqu’à neuf places) à titre expérimental (10). « On n’a pas vu le vent venir », se souvient Claire Delmas, déléguée de l’ANPDE (Association nationale des puéricultrices diplômées et des étudiantes) en Ile-de-France, qui regrette la concertation minimale qui a entouré la préparation de ce texte. Lorsqu’à l’automne 2008, le gouvernement fait savoir qu’il souhaite modifier le décret de 2007, les professionnels s’alertent et créent, en mars 2009, le collectif « Pas de bébés à la consigne », qui regroupe une quarantaine d’organisations (syndicats, associations de parents, professionnels de la petite enfance, médecins…) (11).

Début 2010, après d’âpres luttes parlementaires, le secteur est intégré à la directive « services ». Dans la foulée, le décret du 7 juin 2010 entérine un abaissement des contraintes pesant sur l’accueil collectif de la petite enfance (12) alors que la loi du 9 juin 2010 crée des structures hybrides, les maisons d’assistants maternels, qui concurrencent les crèches avec des règles de fonctionnement minimales.

LE DÉCRET « MORANO » : UN « ACCUEIL LOW COST », SELON LES PROFESSIONNELS

Le décret du 7 juin 2010 relatif aux établissements et services d’accueil des enfants de moins de 6 ans, dit décret « Morano » (13), concerne les crèches collectives, les haltes-garderies, les crèches familiales (qui regroupent des assistantes maternelles encadrées par des professionnels), les crèches parentales (gérées par une association de parents qui participent à l’accueil), les jardins d’enfants (qui accueillent des enfants non scolarisés ou scolarisés à temps partiel de plus de 2 ans), les micro-crèches ainsi que les établissements multi-accueil qui associent différents types d’accueil. Au-delà des modalités concernant le taux d’occupation et l’encadrement, qui suscitent les principales levées de boucliers des acteurs du secteur, il existe d’autres abaissements des contraintes règlementaires. La procédure d’autorisation par les services de la protection maternelle et infantile est assouplie. En outre, la fonction de direction d’une structure de moins de 40 places peut dorénavant être exercée, non seulement par un éducateur de jeunes enfants expérimenté comme c’était déjà le cas, mais aussi par une puéricultrice justifiant d’au moins trois ans d’expérience.

Le décret « Morano » met aussi fin à toute forme d’innovation, l’article destiné à soutenir les expérimentations ayant été retiré au dernier moment. Un paradoxe inexplicable alors que le gouvernement se disait favorable à la diversification des modes d’accueil. En outre, l’Union nationale des associations familiales (UNAF) regrette que le décret ne prévoie pas la mise en place de schémas locaux de la petite enfance qui permettraient de se doter d’une vision globale des besoins en matière d’accueil. « Il y a une sous-couverture de certains territoires et une absence de cohérence et de complémentarité, ce qui implique, pour les familles, des choix par défaut », regrette Alain Ferreti, chargé de la petite enfance à l’UNAF.

JARDINS D’ÉVEIL : UNE COUCHE SUPPLÉMENTAIRE DANS LE MILLEFEUILLE DE L’ACCUEIL COLLECTIF ?

Le décret du 10 juin 2010 (14) a généralisé les jardins d’éveil qui, alors qu’ils n’avaient pas été évalués, devaient rester expérimentaux. Destinés à accueillir entre 12 et 80 enfants, à partir de 2 ans, dans l’objectif de « faciliter leur intégration dans l’enseignement du premier degré », ils ont la particularité, qui déroge par rapport aux autres structures d’accueil du jeune enfant, de pouvoir accueillir jusqu’à 12 enfants sous la responsabilité d’un seul professionnel (contre huit enfants pour un adulte en crèche collective). Un taux d’encadrement qui fait bondir les professionnels. « Tout cela a été fait à la dernière minute sans aucune concertation », observe Philippe Dupuy, délégué national « petite enfance et emploi » à l’ACEPP (Association des collectifs enfants, parents, professionnels). Vient s’ajouter la crainte de voir ces structures remplacer, à terme et malgré les dénégations du ministère de l’Education nationale, la petite section de l’école maternelle. Car, depuis une dizaine d’années, le contexte est à la baisse de la scolarisation des enfants de 2 et 3 ans, accentuée par la suppression massive de postes d’enseignants – ce qui pénalise financièrement les familles contraintes de payer pour un mode de garde alors que l’école est gratuite. Certaines collectivités sont également tentées de libérer des places de crèche en orientant les enfants de 2 ans vers ces nouvelles structures, moins coûteuses. Le phénomène reste toutefois limité puisqu’il n’existe, pour l’instant, qu’une dizaine de jardins d’éveil en activité. Il n’empêche, ils ajoutent une couche supplémentaire au millefeuille que constitue déjà l’éventail des modes de garde : « Certains enfants sont gardés six mois par leur mère en congé parental, puis six mois par une assistante maternelle en attendant une place en crèche où ils finissent par passer un an, puis encore six mois en jardin d’éveil pour finalement basculer à l’école. A-t-on pensé aux conséquences d’une telle instabilité pour la construction psychique de l’enfant ? », interroge Corinne Chaillan, présidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants.

Notes

(1) Dans la préface du Livre noir de l’accueil de la petite enfance, sous la direction de Patrick Ben Soussan – Ed. érès, 2010.

(2) www.ff-entreprises-creches.com.

(3) L’association a été à l’initiative d’un collectif de réflexion sur l’accueil de la petite enfance qui a donné lieu à l’écriture d’un livre blanc – Consultable sur www.colline-acepp.com.fr/docs/Livre_Blanc.pdf.

(4) Selon les propos de Nadine Morano dans Le Monde du 9-04-10.

(5) Dans Le livre noir de l’accueil de la petite enfance – Op. cit.

(6) Voir ASH n° 2587 du 19-12-08, p. 5.

(7) A partir de septembre 2011, le BEP sanitaire et social sera remplacé par un bac professionnel petite enfance. Un projet constitué « sans concertation », déplore Corinne Chaillan.

(8) Voir ASH n° 2696 du 11-02-11, p. 17.

(9) Voir ASH n° 2700 du 11-03-11, p. 9.

(10) Voir ASH n° 2496 du 2-03-07, p. 9.

(11) Voir www.pasdebebes alaconsigne.com.

(12) Voir ASH n° 2663 du 11-06-10, p. 5.

(13) Voir ASH n° 2663 du 11-06-10 , p. 5.

(14) Voir ASH n° 2663 du 11-06-10, p. 5.

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