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L’arche de l’Elsau

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Depuis trois ans, Patricia Arnoux, intervenante en médiation animale, fait entrer chiens, tourterelles et chinchillas dans la maison d’arrêt de l’Elsau, à Strasbourg, où 700 détenus s’entassent à deux ou trois dans des cellules individuelles. La médiation animale, par des séances de discussion avec les détenus oudes soins aux animaux,parvient aujourd’hui à apaiser certaines tensions et à « humaniser » les lieux.

Toubo, Pop-corn, Era, Caline… Une vingtaine d’animaux familiers, lapins, tourterelles, hamsters, vivent à l’année dans un local de la maison d’arrêt de Strasbourg – un établissement pénitentiaire de 444 places, situé dans le quartier de l’Elsau, où s’entassent 700 détenus, y compris des femmes et des mineurs. Ce sont les détenus du bâtiment B, celui « des mœurs » et des prisonniers « fragiles », qui s’en occupent. Chaque jour, par groupes de trois ou quatre, les prisonniers volontaires viennent s’occuper de l’animal dont ils sont les « référents ».

Pour Daniel (1), cette heure hors de sa cellule est « un vrai bol d’air ». « Ici, c’est la liberté derrière les barreaux ; une heure d’évasion entre les murs de la prison. » L’un de ses codétenus enchaîne : « Au début, m’occuper de petites bêtes, ce n’était pas du tout mon truc, et puis finalement, aujourd’hui, je ne pourrais plus m’en passer. Le hamster dont j’ai la charge est petit et fragile, je dois y faire attention. Avant d’en prendre soin, je dois me calmer, me maîtriser, sinon il réagit et me le fait sentir tout de suite. M’en occuper tous les jours, ce n’est pas une contrainte, au contraire, c’est un engagement qui m’apporte beaucoup, notamment de l’apaisement. »

Présente avec eux une fois par semaine, Patricia Arnoux, l’intervenante en médiation animale responsable de l’activité, répond à leurs questions, regarde, écoute. « Elle est formidable, c’est grâce à elle qu’on peut être là, souligne Francis, l’un des habitués du local. C’est comme une psy sauf qu’elle n’est pas dans un fauteuil. On peut lui parler de tout, tout en s’occupant des animaux. » C’est là tout l’intérêt de la médiation animale : permettre aux détenus, comme aux malades ou aux personnes isolées, de bénéficier d’un accompagnement à travers une activité positive et ludique qui met l’animal, affectueux et neutre, au centre du dispositif.

Initié par Patricia Arnoux à la prison de l’Elsau il y a trois ans, ce que l’on appelle ailleurs « zoothérapie » n’a cependant pas toujours fait l’unanimité. « Au début, on s’est un peu méfiés, raconte une surveillante. C’est toujours compliqué de mettre des détenus entre eux sans qu’il y ait du trafic. Et puis il faut gérer les allées et venues. Mais finalement, ça se passe très bien. On sent que ça a apporté du liant dans les relations entre le personnel et les détenus, et entre les détenus eux-mêmes. » En revanche, le directeur de la maison d’arrêt reconnaît : « Il est difficile d’évaluer cet effet comme une baisse des incidents, des bagarres ou des trafics. Le nombre de détenus participant à la médiation animale, une quarantaine au total, est insuffisant pour avoir des chiffres fiables. »

Tenter une autre approche

Mais pour Patricia Arnoux, pas de doute, la voie suivie est la bonne. Après un DEUG de psychologie à l’université Louis-Pasteur de Strasbourg, cette Alsacienne quitte la région en 1995 pour suivre en Seine-et-Marne une formation en comportementalisme animalier, auprès de l’éthologiste Michel Chanton. Elle y apprend les secrets de la relation qui unit un maître et son chien, les raisons pour lesquelles cette relation est parfois amenée à se détériorer et, « surtout, comment rétablir l’harmonie au sein de la famille ». De retour dans le Bas-Rhin, Patricia Arnoux travaille sur un poste de monitrice-éducatrice aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS), notamment en pédopsychiatrie. Elle y intervient auprès d’enfants autistes ainsi que de jeunes filles affectées de troubles comportementaux, accueillies en instituts médico-éducatifs, médico-professionnels ou thérapeutiques. « Rapidement, j’ai eu l’impression d’être dos au mur, bloquée par le peu d’outils dont je disposais pour travailler auprès de ces publics, se souvient-elle. J’ai donc eu la volonté de me former autrement, de tenter une autre approche. » Désireuse de combiner ses « deux passions, l’humain et l’animal », la jeune femme est donc partie pendant quatre mois se former au Canada, à l’Institut de zoothérapie de Québec. A la clé, un diplôme de zoothérapeute (terme qu’elle n’utilise pas en France pour ne pas créer de confusion à l’égard du corps soignant) ou, autrement dit, d’intervenante en médiation animale.

Comme toute médiation – qui vise à établir par la présence d’un tiers un trait d’union entre le patient et le soignant –, la médiation animale se révèle utile là où la relation humaine semble bloquée. Elle s’adresse aussi bien à des détenus qu’à des personnes physiquement ou intellectuellement handicapées, aux enfants ou adolescents perturbés, ou encore aux personnes âgées. Pour les prisonniers, en particulier, « l’animal représente un médiateur neutre, un compagnon constant, une source d’affection permanente et souvent leur seul but de vie, explique Patricia Arnoux. L’animal devient, pour chaque détenu, un être vivant unique avec lequel il noue un lien singulier, crée une alliance de vie et réaccorde son humanité. Grâce à ce lien singulier et à l’occasion des événements importants qui rythment leur vie ensemble, les détenus recréent entre eux, autour d’émotions partagées, une vie sociale avec ses symboles et rituels. »

Diplômée en 2006, Patricia Arnoux fait le voyage retour avec, dans ses bagages, un jeune chien golden retriever couleur caramel, Sunny – son « rayon de soleil », comme elle se plaît à le rappeler. La toute nouvelle intervenante en médiation animale réintègre alors les établissements pour lesquels elle travaillait avant son départ et y met en pratique ses nouveaux acquis. Progressivement, d’autres structures font également appel à elle. « Je me suis adaptée à la demande particulière de chacun. Dans les maisons de retraite, par exemple, je ne propose que des activités d’animation et de mieux-être, déclare-t-elle. Mais je travaille aussi auprès de personnes isolées, dépressives, ou de malades d’Alzheimer. Dans ce domaine, j’ai été soutenue par le professeur Marc Berthel, spécialiste de cette maladie aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. Dans son service, les malades ont des comportements d’errance et de grosses angoisses. Le contact avec l’animal ne les guérit pas mais les tranquillise, et provoque même des déclics de reconnexion avec la réalité. »

Une activité en croissance

Parvenue à ce stade de développement de son activité, Patricia Arnoux se heurte alors à quelques difficultés. « D’abord, il n’existe pas en France de budgets spécifiques consacrés à la médiation animale dans les établissements de soins ou les centres pénitentiaires. Il faut en permanence attendre la réponse aux demandes de subventions. Et ces crédits sont parfois supprimés d’une année sur l’autre. Ensuite, lorsqu’il faut faire entrer des animaux dans des locaux de soin, la question de l’hygiène s’est parfois posée, aux HUS notamment, mais elle est aujourd’hui réglée. »

De 2006 à 2008, l’activité de Patricia Arnoux, devenue intervenante libérale dans de nombreux établissements du département, ne cesse de croître grâce au bouche-à-oreille. Elle est alors contactée par la direction de la maison d’arrêt de Strasbourg, où un détenu mineur vient de mettre fin à ses jours. Deux autres jeunes venaient de faire de même à Metz, en Moselle. « L’objectif numéro un à mon arrivée était la prévention du suicide et l’apaisement des tensions, qui étaient alors très fortes. La prison était une vraie Cocotte-Minute ! » Son premier contrat à l’Elsau est de deux heures par mois au quartier des mineurs. Très vite, elle passe à quatre puis à dix heures par mois. En janvier 2009, elle fait son entrée dans le quartier des femmes et, dès le mois de mars, dans celui des hommes. « Très rapidement, ensuite, je suis passée de quatre à soixante heures par mois », raconte-t-elle. Une montée en puissance rapide de son activité que Bénédicte Brunelle, ex-directrice de la maison d’arrêt, aujourd’hui directrice adjointe à la direction interrégionale des services pénitentiaires Est, explique ainsi : « Nous nous sommes rapidement rendu compte que cette activité plaisait à tout le monde, aux détenus comme au personnel. Quand on a démarré, on n’avait aucun autre exemple d’initiative de ce type en France. »

La présence d’animaux dans les prisons n’était pourtant pas une nouveauté. « Il y a plusieurs dizaines d’années, rappelle la responsable, les animaux étaient tolérés en prison. On pouvait avoir son chien, son petit animal. Et puis leur présence a été interdite pour des questions d’hygiène. » A l’Elsau, poursuit-elle, les résultats de l’expérimentation ont été « immédiatement positifs » : « Les surveillants ont tout de suite remarqué que les personnes nerveuses ou agressives ressortaient des séances de médiation animale avec le sourire et que leurs rapports avec le personnel étaient améliorés. Très vite, d’ailleurs, on a eu une longue liste d’attente de détenus souhaitant participer à l’activité. Depuis, ils nous disent régulièrement qu’ils attendent le retour de Patricia et de son chien avec impatience, que ça les “aide à tenir”. »

En milieu carcéral, l’action de l’intervenante se décline sous plusieurs formes. « D’abord, je me promène avec Sunny ou Evi [NDLR : une femelle golden retriever de 15 mois] dans les couloirs. La simple présence des chiens est déjà positive. Paradoxalement, elle “humanise” les lieux, qui sont froids, sans âme. Je propose également des séances de parole, au cours desquelles l’animal est le médiateur. Avec les hommes, j’aborde pendant ces ateliers des thèmes aussi variés que la violence, la sexualité, le respect des autres. Avec les femmes, les sujets tournent autour de la maternité, des enfants et même des règles… » Pour quelle raison les détenus se confient-ils en présence de l’animal plus facilement qu’avec seulement des humains ? « L’animal est sans jugement, assure l’intervenante. Et moi, je n’ai pas l’étiquette de psychologue, ce qui facilite les choses. » Depuis la rentrée, Patricia Arnoux intervient de cette façon 15 heures par semaine dans toute la détention, auprès de tous les profils de détenus.

Responsabilisation et confiance en soi

Autre mode d’intervention : les séances dans le local du bâtiment B. Depuis 2009, la médiatrice travaille sur la responsabilisation et la confiance en soi des prisonniers grâce à la mise à disposition de ce local installé dans le quartier « protégé », où une vingtaine d’animaux, un cochon d’Inde, des lapins, des tourterelles, un hamster, un chinchilla, un furet et des colombes, vivent à l’année. « Je ne travaille qu’avec des animaux domestiques, chiens, chats, lapins, quelques oiseaux, précise l’intervenante. Le panel est assez large, mais attention, l’idée n’est pas d’améliorer le quotidien des détenus au détriment de celui des animaux ! Je ne travaillerais pas avec des reptiles, par exemple, ou des perroquets qui sont des animaux sauvages, pour certains porteurs de maladies transmissibles à l’homme. De plus, les animaux ne sont pas des outils mais des partenaires, voire des “collègues” de travail. Une longue action est menée en amont auprès d’eux pour leur donner confiance en l’homme. Car si l’animal est stressé en présence des détenus, cela complique beaucoup les choses. »

L’idée de créer ce local a été lancée en septembre 2009. A cette époque, les détenus demandaient à avoir un animal dans les cellules, ce qui était impossible étant donné qu’ils sont deux, trois ou quatre à vivre dans chacune d’elles. Toutefois, en mars 2010, cette demande est acceptée pour le quartier des mineurs, où les jeunes âgés de 13 à 18 ans sont seuls en cellule. Un cochon d’Inde et un lapin deviennent ainsi leurs compagnons de détention. « Les jeunes qui ont souhaité avoir un animal avec eux doivent travailler dix jours par mois pour payer son entretien et sa nourriture. » Une façon supplémentaire de responsabiliser les jeunes propriétaires et de retrouver un peu d’estime de soi.

Epaulée jusqu’en novembre 2010 par une autre intervenante, qui se chargeait des médiations dans les maisons de retraite et les centres de soins, Patricia Arnoux a recruté en début d’année une nouvelle collaboratrice, Chloé Zimmer-Baue, titulaire d’un master de psychologie et propriétaire de Canaille, un labrador de 4ans formé par Handi’chiens. « Chloé prépare une thèse sur l’impact de la médiation animale sur les personnes en addiction, et c’est avec moi qu’elle va terminer sa formation. » Car, en France, « il n’existe qu’une seule formation en médiation animale, lancée en 2009 à Clermont-Ferrand, mais elle est actuellement en “stand by” » et ne devrait reprendre qu’à la rentrée prochaine. Or « on ne s’improvise pas zoothérapeute, assure la professionnelle, encore moins en prison ! Les établissements pénitentiaires sont des lieux extrêmement sensibles. Pour intervenir en leur sein, il faut de bonnes connaissances théoriques et pratiques sur le milieu. » Il faut également des qualités humaines indispensables que sont « l’humilité, l’écoute et la stabilité émotionnelle. Sinon, on va droit dans le mur. » C’est pourquoi, forte de son expérience, l’intervenante a participé à l’élaboration d’un guide méthodologique d’aide à la mise en place de programmes de médiation animale en milieu carcéral. En cours d’élaboration également : des formations spécialisées d’intervenants en médiation animale en milieu carcéral, animées par Patricia Arnoux, avec des stages par groupes de deux étudiants au sein de la maison d’arrêt de l’Elsau.

Le tournant professionnalisant

Côté financement, jusqu’en août 2010, c’est Parenthèse, l’association d’aide aux détenus de la maison d’arrêt de Strasbourg, qui prenait en charge l’activité. Depuis septembre, c’est la direction interrégionale des services pénitentiaires Est qui a repris le flambeau au titre de la formation professionnelle, et non sa branche santé. Pourquoi une telle décision ? « Le service médico-psychologique n’est peut-être pas très favorable à la médiation animale, qui se fonde sur le comportementalisme, venu des pays anglo-saxons », remarque-t-on en interne. Parallèlement, Patricia Arnoux a créé une nouvelle structure, l’association Evi’dence (2), qui sert désormais de support à son activité. Elle est aujourd’hui auto-entrepreneuse et facture ses interventions à l’association, qui elle-même perçoit les subventions des financeurs (34 000 € pour 2011, versés par l’administration pénitentiaire). Un statut qui pourrait évoluer, à mesure que la médiation animale se développera dans les processus de soins et de soutien aux personnes malades ou aux détenus.

A l’automne 2010, la médiation animale a pris un tournant professionnalisant à la prison de l’Elsau. Après avoir participé aux groupes de parole avec Patricia Arnoux, huit détenus ont effectué un « bilan d’intelligence émotionnelle » avant de suivre une formation diplômante et d’obtenir leur certificat de capacité aux soins aux animaux domestiques, validé par un intervenant du ministère de l’Agriculture. Ces bilans sont réalisés par un coach spécialisé, Hervé Berthonneau, fondateur du cabinet Yumeus, qui organise des formations de développement personnalisé et est membre de l’organisation TAAC (3). Laquelle soutient par ailleurs Patricia Arnoux en sécurisant son activité sur le long terme. Ce processus sera relancé cette année au cours de deux sessions concernant au total une vingtaine de prisonniers. « Avant de pouvoir développer cette offre de formation à plus grande échelle, note Marjorie Lang, responsable de la formation professionnelle à la direction interrégionale des services pénitentiaires, il faut faire reconnaître l’intérêt de la démarche. C’est en cours. »

Notes

(1) Les prénoms des détenus ont été changés.

(2) Evi’dence : www.evi-dence.fr – patricia@evi-dence.fr.

(3) The Animal Affinity Club – www.taac.fr.

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