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« Les sanctions éducatives renforcent ce qu’elles prétendent combattre »

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Pourquoi près de 80 % des collégiens sanctionnés sont-ils des garçons ? L’enseignante et chercheuse Sylvie Ayral a mené l’enquête au cœur de cinq établissements scolaires. Dans son ouvrage « La fabrique des garçons », elle montre que, pour les collégiens, la sanction est d’abord une façon de se conformer à une identité masculine stéréotypée véhiculée, entre autres, par l’institution scolaire. Et plutôt que de punir, estime-t-elle, il faudrait réfléchir à une forme d’éducation non sexiste.

Vous avez enquêté dans plusieurs collèges sur la répartition des sanctions entre garçons et filles. Pourquoi une telle recherche ?

En 2007, j’avais analysé les registres de sanctions de mon collège d’exercice à la lumière du genre. J’avais alors constaté une asymétrie sexuée massive, l’essentiel des sanctions s’adressant aux garçons. J’ai voulu vérifier cette observation à plus grande échelle sur des établissements ayant des caractéristiques variées. Cinq collèges m’ont permis d’examiner leur registre de sanctions, qui constitue la boîte noire de l’institution scolaire. On y voit ce qui se passe en termes de transgressions et de punitions, même si tous les événements de la vie scolaire n’y sont pas enregistrés. Outre mon établissement d’origine, j’ai ainsi enquêté sur un collège urbain très favorisé, un collège urbain accueillant beaucoup de jeunes issus de l’immigration, un collège périurbain et un collège semi-rural classé en ZEP.

Votre observation initiale a-t-elle été confirmée ?

J’ai retrouvé cette asymétrie sexuée dans tous les établissements, y compris celui à haut niveau de réussite scolaire. Toutes sanctions confondues, sur un total de près de 5 900 cas, les garçons représentent 79,9 % des élèves punis, l’écart allant de 75,7 % pour le collège urbain favorisé à 84,2 % pour l’établissement semi-rural en ZEP. Si l’on affine par type de sanctions, la moyenne est de 83 % pour les faits d’indiscipline et d’insolence, et d’un peu plus de 91 % pour les actes relevant d’atteinte aux personnes et aux biens. En d’autres termes, plus les transgressions sont considérées comme graves et plus les garçons sont surreprésentés. On observe d’ailleurs une différence de nature des motifs de sanctions entre garçons et filles. Pour les premiers, il s’agit le plus souvent d’insolence, d’indiscipline, de violences physiques et de vandalisme. Pour les secondes, ce sont surtout les bavardages, les retards, l’usage du téléphone portable en classe, etc.

Les élèves des établissements défavorisés sont-ils davantage sanctionnés que les autres ?

En valeur absolue du nombre de sanctions, il est très difficile de comparer les établissements car ils ne punissent pas exactement les mêmes choses et leur seuil de tolérance diffère selon la nature des transgressions. Par exemple, la tolérance à l’égard du travail non rendu ne sera pas identique dans un établissement à haut niveau de réussite scolaire et dans un autre où les élèves sont en difficulté. Mais en pourcentage, il y a peu de variabilité dans la surreprésentation des garçons. J’ai cependant observé que l’incidence des facteurs « échec scolaire » et « famille défavorisée » sur la probabilité d’être exclu de l’établissement est quasi identique chez les garçons et les filles. Le niveau scolaire ou la situation familiale n’apparaissent donc pas comme des facteurs explicatifs de la surreprésentation masculine parmi les élèves sanctionnés. Enfin, il faut préciser que si 80 % des élèves punis sont des garçons, cela ne veut pas dire, fort heureusement, que 80 % des garçons sont punis.

Comment expliquez-vous cette surreprésentation massive des garçons dans le système des sanctions ?

J’ai demandé à des garçons ce que cela leur faisait lorsqu’ils étaient sanctionnés. Bien sûr, la plupart ont répondu qu’ils avaient peur de se faire réprimander par les responsables de l’établissement ainsi que par leurs parents. Mais ce qui est surtout ressorti de leurs propos, c’est l’excitation et le plaisir. Pour eux, être sanctionné signe l’accession à un état réputé supérieur. Il s’agit d’une espèce de rite, d’une consécration aux yeux des copains, et aussi à ceux des filles. C’est une sorte de médaille de virilité. On a osé défier l’autorité ! Car l’injonction sociale dit qu’un garçon, un vrai, doit bousculer les règles. Il doit savoir se battre, et ne surtout pas montrer ses émotions, à part la colère. Alors quelle meilleure façon de faire la preuve de sa virilité que d’être indiscipliné, insolent et même obscène, surtout avec des adultes femmes. Tous les garçons ne sont heureusement pas enfermés dans cette image caricaturale de la virilité, mais pour ceux qui le sont, plus les faits sont graves, plus ils pensent grimper sur l’échelle de la masculinité. Ce qui peut les mener à des conduites à risques une fois devenus adultes.

La répression se révèle-t-elle donc contre-productive ?

Nos sanctions dites éducatives, même si elles sont sous-tendues par des idéaux fort louables, vont à contresens. Elles renforcent ce qu’elles prétendent combattre et les garçons, lorsqu’on leur pose la question, le disent très clairement. Ils se créent un palmarès. Malheureusement, beaucoup d’enseignants sont dans le déni. Pour eux, la question du genre n’existe pas. Ils disent ne faire aucune différence entre garçons et filles dans le cadre de leur classe. On sait bien pourtant que tous les professionnels qui gravitent autour des enfants et des adolescents véhiculent des pratiques et des comportements traversés par la construction de leur propre identité sexuée. Le problème est que l’on externalise la difficulté. Au lieu de gérer directement les conflits, les injures, les gros mots, de mettre de l’éducatif, de reprendre avec les élèves ce qui s’est passé, on réclame des sanctions. Il faudrait au contraire travailler avec les élèves sur les transgressions en commençant à un âge précoce et en poursuivant cette action tout au long de la scolarité. Cela demanderait évidemment beaucoup de travail et de réflexion pour apprendre aux garçons à exprimer leurs émotions, à verbaliser leurs sentiments, à travailler sur la sensibilité dans des ateliers mixtes. Pourtant, lorsqu’on leur en donne l’occasion, les adolescents arrivent très bien à déconstruire leurs représentations et à analyser les peurs qui sous­tendent leurs comportements. Mais tant que l’on ne travaillera pas sur les rapports sociaux de sexe au collège, cela ne changera pas.

Vous avez interrogé sur ce déséquilibre des enseignants, des personnels éducatifs et des élèves. Comment l’expliquent-ils ?

Trois grands types d’interprétation ressortent de ces entretiens. Le premier est d’ordre biologique. Il serait normal que les garçons soient davantage perturbateurs car c’est dans leur nature. Ce serait la faute aux hormones masculines, à la génétique, à l’instinct. Le deuxième argument est d’ordre anthropologique. Les garçons sont censés avoir besoin de marquer leur territoire et d’affirmer leur virilité, surtout ceux qui sont issus de certains milieux culturels et ethniques. Certains adultes font aussi référence à des arguments d’ordre psychologique comme le décalage de maturité entre collégiens et collégiennes, l’absence de modèle masculin dans certaines familles ou encore la surreprésentation des femmes dans l’univers scolaire. Dans tous les cas, il s’agit de relativiser la variable du genre. Sans compter ceux qui nient le phénomène en prétextant qu’il y aurait de plus en plus de filles dans la transgression et la violence. Elles ne représentent en réalité qu’à peine six cas sur l’ensemble des sanctions que j’ai relevées.

Vous montrez que l’on ne juge pas à la même aune les comportements des collégiens et des collégiennes…

Lorsqu’on traverse une cour de collège, on observe chez les garçons de nombreuses bousculades que l’on trouve totalement naturelles. Dans nos représentations, on associe ce type d’attitude à la virilité, à quelque chose de normal. On va même l’encourager en incitant les garçons jugés un peu fragiles à s’affirmer davantage physiquement. La plupart du temps, ces comportements ne sont pas sanctionnés. A l’inverse, lorsque des filles se battent, cela nous paraît tellement peu conforme à nos attentes en termes de comportement féminin qu’aussitôt notre attention est sollicitée. Les enseignants, et surtout les enseignantes, tiennent des discours du type : « Elles sont hystériques, elles se tirent les cheveux, elles crient… » Les filles sont facilement considérées comme vicieuses, hypocrites, faisant leurs coups en douce. On pathologise leur conduite, alors que, même si l’on sanctionne les garçons, on les admire au fond d’affronter l’autorité. Les collégiennes et les enseignantes elles-mêmes participent à cette valorisation de la sanction en admirant souvent davantage les jeunes perturbateurs que les élèves trop sages.

REPÈRES

Sylvie Ayral est professeure agrégée d’espagnol, enseignante en collège, et docteure en sciences de l’éducation. Elle est également membre de l’Observatoire de la violence à l’école et du réseau bordelais Mixité, parité, genre. Elle publie La fabrique des garçons. Sanctions et genre au collège (Ed. PUF, 2011).

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