En ces temps d’incertitude généralisée, une chose au moins est sûre : de même que les feuilles tombent à l’automne, le fisc réapparaît au printemps… Les indices en sont patents : chacun reçoit les avis concernant le montant des revenus à déclarer ; les journaux traitent des mille et une façons d’accommoder la dernière loi de finances ; bref, la déclaration annuelle s’annonce, et elle porte en elle les affres du combat intérieur entre le citoyen qui comprend la nécessité de l’impôt et le contribuable qui souhaite en payer le moins possible… Dans le même temps, le président de la République a ouvert un chantier destiné à atténuer son image de « président des riches » : suppression du « bouclier fiscal » et réforme de l’ISF ; les « nantis » sont sous les feux de la rampe, mais que tout cela est confus !
C’est dans ce contexte qu’un livre, petit par le volume mais grand par son intérêt, tente de monter en généralité et, ce faisant, met les pieds dans le plat : il propose ni plus ni moins qu’une « révolution fiscale » (1). Le constat est sévère : notre système est aberrant. Si, d’un côté, nous avons édifié un dispositif de redistribution très massif (49 % de taux moyen de prélèvement, en additionnant impôts et prélèvements sociaux), de l’autre, il est opaque, inefficace, très complexe, et surtout il fonctionne largement à rebours des intentions affichées. Loin des normes de justice ou au moins d’équité qui devraient l’inspirer, il est globalement régressif, les moins fortunés contribuant largement plus que les nantis ! Ainsi, paradoxalement, il allie un pacte social très « solidariste » (haut niveau de prélèvements) et un partage de la charge « antisolidaire » (les bas revenus sont plus ponctionnés que les hauts). Cette réalité subvertit les principes de base de la démocratie : transparence maximale pour fonder un consentement éclairé des citoyens à l’impôt (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, art. 14) ; répartition égale des charges entre les citoyens en proportion de leurs ressources (id., art. 13). On est loin de l’idéal !
Sur le plan des finances sociales, que l’ouvrage n’analyse pas en détail, bien qu’il fasse des propositions de réforme dans ce domaine, la situation est identique : extrême complexité des dispositifs qui mêlent des financements de natures très diverses, impossibilité de déterminer les rapports entre les charges et les avantages, effets antiredistributifs nombreux. Dans ce domaine, dont la légitimité est fondée sur la « solidarité », il y a là comme une fêlure qui met en péril la solidité de l’ensemble. Comment peut-on imaginer trouver le consensus qui s’impose pour adapter la protection sociale aux enjeux nouveaux ?
Car, sorte de « cerise sur le gâteau », l’ensemble de nos finances publiques est en crise : dans un pays riche qui prélève en moyenne près de la moitié de son PIB, nos comptes sont gravement déséquilibrés, nos finances sociales engluées dans des déficits chroniques, certaines collectivités locales en grandes difficultés, et l’ensemble de nos services publics subissent une contrainte budgétaire forte. Comprenne qui pourra !
Ce qui est certain, c’est que, tel le conseil donné à l’apprenti maçon, il faut toujours construire un édifice en commençant par les fondations. Et il est tout aussi sûr que le couple « prélèvements-redistribution » fait partie du socle sur lequel repose tout le reste. Une réforme d’ensemble s’impose, et elle comporte plusieurs volets : rétablir une imposition véritablement progressive sur tous les revenus qui soit simple et transparente en aménageant un meilleur équilibre avec les impôts indirects qui sont, eux, par nature, antiredistributifs (les impôts sur le revenu – IRPP et CSG – ne représentent que 9 % du produit global des prélèvements) ; repenser l’imposition sur la fortune, qui semble s’imposer si l’on considère que la structure de la richesse s’est profondément transformée en France, en faisant réapparaître des patrimoines individuels importants qui aspirent et concentrent une partie énorme de la richesse collective ; revoir les financements de la protection sociale en répartissant plus clairement les charges entre ce qui relève d’une solidarité globale et des solidarités intermédiaires (socioprofessionnelles, espaces locaux, familles).
L’ouvrage qui a suscité ces quelques réflexions générales se livre à des propositions, et surtout entend ouvrir le débat. C’est au fond cela le plus important. On ne peut continuer ainsi, en rafistolant au gré des circonstances un système qui prend l’eau de toutes parts et surtout qui est un défi lancé au bon sens. Comme on le sait, le « bon sens » est la chose au monde la mieux partagée, et en conséquence nos élites gouvernantes ne doivent pas en manquer. Il ne leur reste qu’à mobiliser leur courage pour lancer une « révolution fiscale ». Une bien petite « révolution », en vérité, au regard de celles qui pourraient survenir si l’on continue à nier ainsi à la fois les principes censés nous gouverner et les problèmes qui nous assaillent.
(1) Pour une révolution fiscale, de Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez (Ed. du Seuil, 2011) – Voir ASH n° 2697 du 18-02-11, p. 38.