En 2010, les relations entre l’Etat et ses administrés se sont encore dégradées, au point, pour le médiateur de la République, de parler de « burn out de la société française ». Dans son dernier rapport (1) – l’institution devant disparaître cette année au profit du défenseur des droits (2) –, Jean-Paul Delevoye critique sévèrement l’appareil législatif et administratif de plus en plus complexe pour les fonctionnaires et les usagers, et déshumanisant. « Les enjeux déterminants pour notre avenir ne trouvent pas de réponse politique à la hauteur », déplore-t-il, ajoutant même que « les débats sont minés par les discours de posture et les causes à défendre noyées parmi les calculs électoraux ». Cette situation ne peut plus durer, martèle le médiateur : « nous devons retrouver le sens de l’engagement, de la solidarité de proximité, du partage mais aussi du respect de l’Homme ».
L’année dernière, le médiateur de la République a été saisi de 79 046 affaires (+ 3,6 % par rapport à 2009), dont près de 33 400 demandes d’information et d’orientation (- 1,3 %). La majorité des réclamations a porté sur des questions de santé et de sécurité des soins (31,3 %, contre 47 % en 2009). Les autres ont notamment relevé du domaine social (18,2 %), des affaires générales (14,8 %) ou de la justice (12,1 %). Enfin, les médiations réalisées dans le cadre de l’institution affichent toujours un fort taux de réussite (94 %).
A l’origine de ces réclamations notamment, note Jean-Paul Delevoye, une inflation législative qui non seulement « opacifie l’accès des citoyens à l’information et complique la tâche des exécutants, confrontés à l’incessante complexité du droit », mais conduit aussi à une « instabilité des pratiques ». Mais le plus inquiétant, selon lui, c’est « l’excès de zèle » de l’administration et l’émergence de « comportements déviants ». En effet, explique le médiateur, face à la complexité des textes qui s’imposent aux agents, puis aux usagers, « le fonctionnaire [par crainte du supérieur hiérarchique, du procès ou du lynchage médiatique] n’a parfois d’autre solution que d’adopter une prudence maximale, qui finit par se révéler abusive et génératrice d’iniquités ». En agissant de la sorte, « l’agent privilégie le confort du système au détriment de celui de l’individu », conclut Jean-Paul Delevoye, qui appelle donc de ses vœux un « véritable changement de culture » pour inverser ces logiques et replacer l’usager au cœur du système.
En outre, l’institution attire une nouvelle fois l’attention de l’administration sur la « standardisation des procédures, qui incite au traitement de masse, conduit à la déshumanisation ». « Soumise à une logique de rendement et d’économie de moyens, elle n’est plus à même de percevoir les cas particuliers dans l’important volume de dossiers qu’elle traite », relève le médiateur, regrettant d’ailleurs qu’« elle ne cherche pas à détecter la faille éventuelle ». Au final, tout cela ne laisse pas suffisamment de temps à l’administration pour informer et expliquer. Pour preuve, relève Jean-Paul Delevoye, 50 % des demandes d’intervention que lui adressent les usagers sont irrecevables car elles évoquent de simples problèmes de réponses incomplètes, partielles ou erronées de l’administration. Pourtant ces difficultés pourraient être réglées par un « simple coup de fil, en contactant les structures d’aide existantes ou le service administratif ad hoc », souligne-t-il. Alors pourquoi les administrés ne le font-ils pas ? La faute notamment aux moyens de communication modernes (serveurs vocaux, guichets virtuels, services en ligne…), estime le médiateur. Certes, ils constituent des avancées technologiques, mais ils participent encore une fois à la déshumanisation du service public. Or, insiste-t-il, « sans relation entre les agents du service public et les usagers, il n’y a plus de visibilité possible pour le cas particulier ».
(1) Rendu public le 21 mars et disponible sur