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Hospitalisation d’office : le contrôleur des prisons pointe les faiblesses de la procédure

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Dans un avis du 15 février, le contrôleur général des lieux de privation de liberté critique sévèrement les modalités de l’hospitalisation d’office. Ce, alors même qu’un projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (1) – très contesté par les psychiatres et les magistrats (2) – est actuellement discuté au Parlement. Selon Jean-Marie Delarue, plus de 15 000 décisions d’hospitalisation d’office sont prises chaque année. La durée moyenne des séjours à l’hôpital des personnes faisant l’objet de cette mesure est de 95 jours, une durée qui a « tendance aujourd’hui à croître », relève-t-il. Or « la privation de liberté ne peut, en l’occurrence, être maintenue que si, et seulement si, deux conditions sont avérées : qu’une menace grave à l’ordre public soit établie ; que des soins tels que ceux dispensés à l’hôpital soient nécessaires ». Dans la pratique, déplore-t-il, plusieurs éléments constituent aujourd’hui une « rupture de l’équilibre à atteindre ».

L’absence d’information et de liberté réelle du malade

L’une des garanties devant être assurées aux personnes hospitalisées d’office réside dans la possibilité qu’elles ont de contester devant le juge compétent la mesure dont elles font l’objet. Pour Jean-Marie Delarue, « tel n’est pas le cas lorsque les droits qui doivent être notifiés dès l’admission à l’hôpital sont souvent présentés abstraitement et indiqués de manière expéditive, quand la notification elle-même n’est pas différée ». Ou encore « lorsque le recours à l’avocat n’est pas toujours immédiatement possible, certains psychiatres estimant qu’un temps d’adaptation à l’hôpital est nécessaire dont ils décident la durée au vu de l’état des patients : or, si une phase de cette nature peut être prescrite, elle ne peut s’appliquer à l’avocat, dont l’accès doit être inconditionnel ». En outre, dans la moitié des établissements que ses services ont visités à ce jour, la direction et le corps médical n’informent pas les patients qu’ils ont la faculté de désigner une « personne de confiance » pour les accompagner dans leurs démarches.

Le contrôleur général regrette par ailleurs que « les portes d’un nombre croissant d’unités hospitalières psychiatriques [soient] aujourd’hui fermées à clé ». Selon lui, « la mise sous clé des unités, donc des personnes, a pour effet de mettre dans des conditions identiques des malades entrés sous le régime de l’hospitalisation d’office et des patients présents comme hospitalisés dits “libres”, c’est-à-dire étant venus à l’hôpital avec leur consentement ». Dans ces conditions, qu’advient-il réellement de la liberté des malades, s’interroge-t-il ? D’autant plus que cet enfermement n’est accompagné d’aucune procédure particulière : « elle est la seule conséquence du choix des responsables de l’unité où ces malades se trouvent ». Aussi insiste-t-il pour que le malade ait « au moins le choix entre unité ouverte et unité fermée et, s’il choisit cette dernière, de s’assurer qu’il est avisé de ses droits, en particulier de son droit à contester à bref délai la mesure dont il fait l’objet ».

Le trouble à l’ordre public, un argument souvent avancé au détriment des droits des patients

Jean-Marie Delarue relève également que les craintes d’atteinte à l’ordre public rendent l’obtention des sorties d’essai plus difficile et les mainlevées de mesures d’hospitalisation d’office plus aléatoires. Or, rappelle-t-il, les sorties d’essai ne peuvent être refusées que « pour des motifs avérés de risque de danger ou d’atteinte grave à l’ordre public ». Il est donc « impossible de fonder un refus sur des faits anciens : seul des faits actuels devraient pouvoir être pris en considération ». La mainlevée d’une hospitalisation d’office est regardée par l’autorité publique avec une « méfiance similaire ». Au final, estime le contrôleur général, ces pratiques ont pour effet d’« accroître le nombre de patients hospitalisés et la durée de leur séjour, de faire obstacle à des sorties d’essai que l’état des patients permettrait et plus encore de maintenir à l’hôpital des personnes dont l’état, attesté par les médecins, ne justifie pas qu’elles y soient maintenues contre leur gré ». Dans certains cas même, ajoute-t-il, cela conduit à un « encombrement des lits hospitaliers ». « C’est donc une politique à courte vue qui peut avoir des effets contraires à ceux recherchés », conclut-il.

Le cas particulier des détenus

Lorsque le médecin du lieu de détention fait une demande d’hospitalisation d’office, il se heurte bien souvent à l’administration, qui craint que l’évasion ne soit facilitée du fait d’un séjour en milieu hospitalier de droit commun. Dans certains départements, le contrôleur général a pu noter que l’exécution d’une telle mesure était subordonnée à des investigations de police ou de gendarmerie ou à l’avis du parquet. Une pratique qui a pour effet de « retarder l’admission à l’hôpital demandée et même, dans certains cas, de conduire à la refuser ». Au final, relève Jean-Marie Delarue, « il ne s’agit pas d’un risque de privation arbitraire de liberté mais d’un risque de soins volontairement inadaptés à l’état de santé de la personne malade ».

Autre pratique de l’autorité chargée de l’ordre public mise en cause par l’avis : le fait de placer, quel que soit leur état de santé, les détenus hospitalisés d’office en chambre d’isolement (sécurisée) et, « surtout de les y maintenir pendant toute la durée de leur hospitalisation alors même qu’ils seraient consentants aux soins et alors qu’aucune justification médicale ne peut être invoquée pour un tel maintien ». Pour le contrôleur général, cet état de fait « compromet la santé du détenu malade » car il lui interdit d’avoir accès aux thérapies collectives (groupes de parole, ergothérapie…). En outre, il conduit « fréquemment » le malade, du fait même des contraintes qui lui sont imposées, à demander à réintégrer son établissement pénitentiaire alors même que des soins à l’hôpital seraient encore nécessaires.

Certes, reconnaît le contrôleur général, l’arbitrage entre nécessités liées à la protection de l’ordre public et l’état de santé est « délicat ». Toutefois, suggère-t-il, « dans ces conflits entre praticiens, malades, autorités et protection des tiers, l’autorité judiciaire doit jouer davantage son rôle. A minima, il est souhaitable qu’en cas de désaccord entre le corps médical et l’autorité administrative, en matière administrative, le juge compétent soit amené à trancher, le directeur de l’établissement étant alors tenu de lui en référer sans formalité. »

[Avis du 15 février 2011, J.O. du 20-03-11]
Notes

(1) Voir ASH n° 2659 du 14-05-10, p. 7 et n° 2695 du 4-02-11, p. 16.

(2) Voir en dernier lieu ASH n° 2701 du 18-03-11, p. 19.

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