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Soins psychiatriques sous contrainte : large opposition au projet de loi

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Examiné en première lecture à l’Assemblée nationale, le projet de réforme de la loi du 27 juin 1990 est contesté par l’ensemble des psychiatres et des magistrats qui y voient une menace pour les libertés fondamentales. Alors que, pour les familles, ce texte, qui doit permettre aux malades d’être soignés sans être internés, est un soulagement.

Dans un front uni, les organisations syndicales de psychiatres et de magistrats (1) se sont rassemblées, le 15 mars, devant l’Assemblée nationale, pour s’opposer au projet de réforme de la loi du 27 juin 1990 relatif à l’hospitalisation pour troubles mentaux, examiné en première lecture. Certains d’entre eux avaient appelé à faire grève « contre une réforme rétrograde et inapplicable des soins sans consentement ». Présenté une première fois en conseil des ministres en mai dernier (2), ce texte a été voulu par Nicolas Sarkozy après le meurtre, en décembre 2008, à Grenoble, d’un étudiant par un malade mental en fuite (3). Alors qu’aujourd’hui, seule une hospitalisation peut être décidée sous contrainte, ce projet prévoit la possibilité de contraindre les patients à se soigner « hors les murs ».

Modifié après la décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre exigeant le contrôle d’un juge des libertés et de la détention au plus tard au quinzième jour d’hospitalisation sans consentement, le texte a été présenté une seconde fois en conseil des ministres le 26 janvier (4). Les ajustements apportés n’ont pourtant pas calmé les détracteurs du projet. Selon eux, le gouvernement durcit, « d’un côté, la dimension sécuritaire tout en voulant donner, de l’autre, l’apparence d’une meilleure garantie des libertés ». Alors qu’il aurait dû concilier la nécessité de soigner, la garantie des libertés et la sécurité de l’espace public, le texte donne, selon les organisations, tous les pouvoirs au préfet et aucune marge de manœuvre au juge, facilitant ainsi l’entrée dans le dispositif de soins sans consentement tout en en durcissant la sortie.

Alors que le texte ne prévoit l’intervention du magistrat qu’en cas d’hospitalisation, « les compétences de celui-ci doivent porter sur toutes les formes de soins sans consentement », estime Jean-Claude Penochet, responsable de l’Intersyndicale des psychiatres publics (IPP). Ainsi, les soins ambulatoires sous contrainte constituent « une extension inadmissible du contrôle étatique des populations », affirment les syndicats. Et si la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a amélioré le texte initial en ­prévoyant la saisine du juge en cas de désaccord entre le psychiatre et le préfet, cette correction ne porte que sur la levée d’une mesure de soins sans consentement. Pour Jean-Claude Pénochet, cette saisine doit être possible aussi en cas de désaccord sur les modalités de soins (en ambulatoire ou à l’hôpital). Sinon, souligne-t-il, « un patient pourrait être maintenu en hospitalisation à temps plein par le préfet, contre l’avis du psychiatre proposant des soins ambulatoires ».

« Garde à vue psychiatrique »

Certaines organisations, comme la Fédération d’aide à la santé mentale (FASM)– Croix-Marine, estiment que le juge devrait intervenir dès le début de l’hospitalisation, et non au bout de 15 jours. Par ailleurs, les 72 heures (contre 24 heures aujourd’hui) au cours desquelles le patient est en observation, avant que les modalités de soins soient définies, s’apparentent à une « garde à vue psychiatrique », estime le Syndicat de la magistrature. Ce temps risque d’être utilisé « comme un temps de contention chimique des malades sans que soit commencée une vraie prise en charge thérapeutique ».

Enfin, les organisations contestent l’alourdissement des procédures qui encadrent la sortie des patients hospitalisés à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale ou ayant séjourné une fois dans leur vie en unités pour malades difficiles (UMD). Elles craignent que cela n’aboutisse, à terme, à la création d’un « casier judiciaire psychiatrique », répertoriant les personnes considérées comme potentiellement dangereuses.

Soigner ou surveiller ?

Certaines d’entre elles vont même jusqu’à rejeter le principe des soins sans consentement en ambulatoire. Dans son appel, qui a recueilli plus de 10 000 signatures (5), le « Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire » (6) estime que ce projet, en identifiant « les soins eux-mêmes à la contrainte », les réduit « à de la pure surveillance », l’obligation prenant « alors le pas sur le contenu même du soin ».

En outre, quelles seront les modalités des soins ? Le projet de loi reste imprécis, jugent les organisations. Il prévoit qu’un « protocole de soins » précise le type de soins imposé aux malades, les lieux de leur réalisation (domicile, centre médico-psychologique [CMP]…), leur périodicité. Mais ces modalités ne font référence qu’à des traitements médicamenteux sans tenir compte de l’accompagnement, s’alarme le médecin Bernard Durand, président de la FASM-Croix-Marine. « Elles sont en contradiction avec l’éthique du soin qui impose la recherche d’une confiance, le respect de l’intimité du patient ».

Les organisations mettent aussi l’accent sur le manque de moyens de la psychiatrie : « Comment envisager des soins ambulatoires sous contrainte quand on connaît les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous chez un médecin ou en CMP ? », s’interroge la Fédération des ­personnels des services publics et des services de santé-FO.

Isolée, l’Unafam (Union nationale des amis et familles de malades psychiques) continue, quant à elle, de soutenir ce texte, qui ne fait « qu’officialiser les sorties d’essai » à répétition en permettant de soigner sous contrainte à domicile, selon Jean Canneva son président. Il souhaite améliorer le texte en créant un « SAMU psychiatrique » qui puisse répondre 24 heures sur 24 aux appels au secours des familles. Il souhaite aussi que les proches qui accompagnent les personnes atteintes de pathologies mentales soient mieux reconnus. Dans le même sens, la Fédération des établissements hospi­taliers et d’aide à la personne (FEHAP) demande la création d’un congé non rémunéré pour accompagner une personne faisant l’objet d’une mesure d’hospitalisation.

Notes

(1) Intersyndicale des psychiatres publics, Syndicat des psychiatres d’exercice public, Union syndicale de la psychiatrie, Comité d’action syndical de la psychiatrie, Syndicat des psychiatres français, Syndicat national des psychiatres privés, Union syndicale des magistrats, Syndicat de la magistrature.

(2) Voir ASH n° 2659 du 14-05-11, p. 20.

(3) Ce discours avaient suscité l’indignation des professionnels et usagers - Voir ASH n° 2588 du 26-12-08, p. 39.

(4) Voir ASH n° 2695 du 4-02-11, p. 16 et 28.

(5) Dont celles de personnalités telles que Stéphane Hessel, Edgar Morin, des psychanalystes comme Caroline Eliacheff, Catherine Dolto ou Elisabeth Roudinesco.

(6) Constitué le 12 décembre 2008 autour de l’« Appel contre la nuit sécuritaire », signé depuis par près de 30 000 citoyens, il réunit des professionnels de la psychiatrie et des personnes du monde de la culture.

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