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Le CNLE résolu à sortir de l’ombre

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Placé auprès du Premier ministre, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale n’a jamais réussi à gagner la reconnaissance qu’il mérite. Son nouveau président est en tout cas résolu à mieux faire entendre sa voix, au moment où le ministère de la Cohésion sociale réfléchit à « une meilleure gouvernance » de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion.

« Cette instance joue un rôle majeur dans notre système de solidarité. Elle est une force de proposition avec laquelle les pouvoirs publics œuvrent en bonne intelligence. » En réinstallant le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), le 21 décembre dernier, la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot, a rendu hommage au poids qu’il devrait, en théorie, peser. Créé en 1993 d’après la loi du 1er décembre 1988 modifiée instituant le revenu minimum d’insertion, renforcé par la loi de lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, le CNLE assure une mission de concertation entre les pouvoirs publics et les acteurs intervenant dans le domaine de la lutte contre l’exclusion. Un rôle majeur dans des politiques publiques régulièrement affichées comme prioritaires. Reste que la suite du discours ministériel révèle un paradoxe : tout en soulignant l’importance du CNLE, Roselyne Bachelot a confié à son nouveau président, le député Etienne Pinte (UMP), le soin de « renforcer ses missions » et de « lui donner une meilleure visibilité ». S’il pâtit des limites propres à toute instance consul­tative, le conseil se distingue en effet par sa discrétion. Et le gouvernement a laissé s’écouler presque un an entre la fin du mandat de ses membres, en février 2010, et sa réinstallation.

Rattaché au Premier ministre, même si les hôtes successifs de Matignon ne l’ont pas souvent réuni, il se veut représentatif de l’ensemble des partenaires impliqués dans la lutte contre l’exclusion. Malgré le peu d’assiduité des élus, « comme si la lutte contre l’exclusion n’était pas une question politique et devait rester un débat d’initiés, il contribue à l’élaboration d’une pensée commune sur la lutte contre l’exclusion, y compris par la présence des ministères de l’Education nationale et de la Culture. Le Medef est souvent là, plusieurs syndicats de salariés aussi », apprécie Bruno Grouès, conseiller spécial auprès du directeur général de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés, sanitaires et sociaux), membre du collège des associations. En phase avec les évolutions des phénomènes de pauvreté, « il peut de ce fait nourrir le débat sur les contrats de travail précaires et les travailleurs pauvres », se félicite Chantal Richard, secrétaire confédérale de la CFDT. Fait rare dans les instances de consultation, les associations de demandeurs d’emploi y ont aussi leur place en tant qu’« invitées ».

« Cette représentation a le mérite de combler un vide en la matière, même si les choses ont commencé à évoluer avec le “Grenelle de l’insertion”, la commission nationale de concertation sur la jeunesse ou les groupes techniques sur l’évaluation du RSA [revenu de solidarité active]. Le CNLE participe au nécessaire élargissement du dialogue civil », insiste Patrick Boulte, vice-président de Solidarités nouvelles face au chômage. Historiquement, les grandes lois comme celle de 1998 sur la lutte contre les exclusions ou le droit au logement opposable de 2007 ont été portées par le monde associatif. Lorsque l’on constate que « les parlementaires sont à la remorque de la société civile sur la lutte contre l’exclusion », le CNLE est un espace de « démocratie sociale » indispensable, abonde Pierre Saglio, membre sous l’ancienne mandature en tant que président d’ATD quart monde.

La matière grise produite y est en effet importante. Mais pour quels effets ? Sur ce point, les constats sont nettement moins positifs. Lors des deux seuls comités in­terministériels de lutte contre l’exclusion (CILE) jusqu’ici réunis, il aura contribué à des moments forts de mobilisation politique. Ainsi, pour la première conférence nationale de prévention et de lutte contre l’exclusion, en juillet 2004, préparée avec la direction générale de l’action sociale, le CNLE avait remis une centaine de fiches de propositions dans l’intention de rendre effectif « l’accès de tous aux droits de tous », dans l’esprit du rapport du Conseil économique et social de 2003 et du rapport d’évaluation de la loi de 1998 de lutte contre les exclusions réalisé en 2004 par l’inspection générale des affaires sociales. Les groupes de travail avaient passé en revue les questions de la participation des usagers, de la refonte du dispositif d’hébergement, déjà embolisé, ou encore de la prévention. Mais au final, le gouvernement n’a adopté, lors du CILE réuni par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, que quelques mesures subsidiaires en complément du « plan Borloo » présenté quelques jours auparavant. La demande prioritaire du CNLE de créer une mission interministérielle de la cohésion sociale et territoriale, qui aurait pourtant permis d’affirmer une volonté forte de l’exécutif, n’a même pas été retenue.

Lors du second CILE, deux ans plus tard, quelques mesures phares annoncées par le gouvernement, comme l’expérimentation d’un nouveau mécanisme d’intéressement en cas de reprise d’une activité, ont cette fois occupé le devant de la scène politique. Si des avancées, comme l’amorce des chantiers sur les indicateurs de la pauvreté et sur le droit au logement opposable, conformément aux préconisations du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, ont cette fois été obtenues, les préconisations du conseil pour promouvoir une politique globale et coordonnée de lutte contre l’exclusion sont restées au placard. L’immense travail réalisé – cinq conférences régionales et deux rapports, l’un sur la prévention, l’autre sur le pilotage et l’articulation des politiques de lutte contre l’exclusion aux niveaux local, national et européen – n’a pas eu l’écho escompté.

Et depuis 2006, le CILE, qui devrait, selon la loi de 1998, être réuni tous les deux ans, a disparu de l’agenda politique, comme si le pilotage interministériel des politiques de lutte contre l’exclusion n’était plus une priorité. Un recul également pour la reconnaissance du conseil. Une inquiétude qui vient d’être ravivée par une curieuse initiative des députés : ils ont, lors de l’examen de la proposition de loi relative à la simplification et à l’amélioration de la qualité du droit, introduit une disposition supprimant l’article du code de l’action sociale et des familles obligeant le gouvernement à présenter au Parlement, tous les deux ans, un rapport d’évaluation de la mise eu œuvre de la loi de 1998 sur les exclusions !

Des droits particuliers

Comme les membres du conseil, Bernard Seillier, qui fut le rapporteur de cette loi, déplore de voir s’installer, au lieu d’un programme ambitieux, une politique sectorielle enfermant la lutte contre l’exclusion dans des droits particuliers. « Lors de mon arrivée à la présidence du CNLE en 2002, j’ai vraiment cru à la volonté des pouvoirs publics d’influencer l’organisation de la société, dans le sens d’une mobilisation générale, explique-t-il. Mais l’action publique se limite actuellement à perfectionner des instruments techniques. Le revenu de solidarité active, devenu l’axe prioritaire de la lutte contre l’exclusion alors qu’il améliore le revenu des allocataires qui travaillent sans résoudre le problème de l’emploi, est caractéristique de cette tendance. »

Pour l’ancien sénateur (RDSE) de l’Aveyron, la médiatisation de la lutte contre l’exclusion, comme l’action des Enfants de Don Quichotte, en 2006 au canal Saint-Martin, n’est paradoxalement pas étrangère à ce tournant pris par les décideurs. « Les coups de projecteurs, la mise en scène des problèmes, s’accompagnent d’un mauvais réflexe du gouvernement – celui de montrer qu’il est efficace. Nous sommes entrés dans l’ère de la “gouvernance”, c’est-à-dire de la gestion, avec des réponses d’ordre technique, à la place de choix politiques mobilisateurs d’une plus grande fraternité. Le débat difficile sur les objectifs de réduction de la pauvreté et la pertinence des indicateurs retenus en est l’illustration. » Certes, le logement et l’emploi sont devenus les deux domaines d’intervention privilégiés de l’Etat. « Néanmoins, l’action publique ne doit pas s’y limiter, insiste Pierre-Yves Madignier, nouveau membre du CNLE en tant que président d’ATD quart monde. Il est d’ailleurs important qu’elle dépasse le périmètre de la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale. Sans mettre l’accent sur l’école et la formation, notamment, le risque est de rester dans une politique d’assistance. »

Les associations demandent que cette interministérialité soit réaffirmée, avec la reconnaissance politique du CNLE qui en découle. L’instance a été reçue pour la dernière fois par un Premier ministre, Dominique de Villepin (dont Alain Régnier, actuel délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement, était conseiller pour la lutte contre l’exclusion)… en 2006.« Il n’est pas normal que les associations doivent planter des tentes [au pont des Arts, à Paris, en novembre dernier] pour rencontrer le Premier ministre alors que le CNLE est placé auprès de lui ! », relève Bernard Lacharme, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Et de rappeler que c’est une rencontre de Dominique de Villepin avec le CNLE qui avait fait avancer l’idée de la mise en œuvre du DALO (droit au logement opposable). Robert Lafore, professeur de droit public à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, explique aussi ce phénomène par la structuration du secteur de l’action sociale, « balkanisé en divers sous-ensembles relativement autonomes (enfance, handicap, hébergement, personnes âgées, majeurs protégés, etc.) ». Ce qui favorise le dialogue des décideurs directement avec les organisations concernées, plutôt qu’avec une instance représentant divers intérêts, « large et difficile à “manier” ». De ce fait, les conseils nationaux, estime-t-il, « tournent un peu sur eux-mêmes sans avoir de réelle prise sur l’action publique ».

Le CNLE, en tant qu’expression collective, souffre donc d’un déficit de reconnaissance et d’influence. Les ministres ne le consultent pas systématiquement – la loi ne les y oblige pas –, souvent sur des décrets d’application et jamais en amont de leur rédaction. Il est parfois seulement informé, ce qui donne aux participants l’impression peu motivante de « venir écouter les projets du gouvernement ». Comme le déplorait déjà en 2004 l’inspection générale des affaires sociales, il est peu suivi dans ses avis et n’arrive pas à faire bouger les lignes. Les ministres ne prennent pas toujours la peine de réagir à ses recommandations, à tel point que ses membres ont demandé d’organiser un suivi de l’impact de leurs travaux. « Le texte fondateur du CNLE est peu contraignant. Il faudrait sans doute revoir ses missions pour rendre sa consultation obligatoire sur certains sujets », suggère Nicole Maestracci, présidente de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS).

Dépasser le cercle d’initiés

Force est de constater que, dernièrement, il n’a pas été entendu quand il s’est opposé à d’importantes décisions au motif qu’elles n’étaient pas conformes aux principes de solidarité. En juin 2010, il s’est autosaisi, après s’être déjà exprimé sur le sujet cinq ans plus tôt, pour tenter, sans succès, de faire barrage à la proposition de loi d’Eric Ciotti sur la suppression des prestations familiales en cas d’absentéisme scolaire (voir ce numéro, page 43). Martin Hirsch, ancien Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, l’a régulièrement sollicité, notamment sur les textes relatifs au RSA. Mais cela ne l’a pas empêché de maintenir en l’état le projet de décret relatif au recouvrement des indus de prestations à caractère social ou familial et des aides personnelles au logement. Le CNLE avait pourtant demandé l’abandon des principes de récupération et de fongibilité, qui permettent aux caisses d’allocations familiales de recouvrer les sommes indûment versées sur l’une ou l’autre prestation perçue par l’allocataire. Une question de justice sociale pour éviter de diminuer davantage le revenu mensuel des personnes précaires, avait argué Bernard Seillier.

Peine perdue ? « Si nous n’avons pas eu la réponse que nous attendions, le débat a été utile dans un contexte d’instrumentalisation permanente des phénomènes de fraude et de stigmatisation des populations, nuance Bernard Schricke, directeur de l’action France et institutionnelle au Secours catholique. Au-delà d’une question de court terme, il va alimenter un groupe de travail sur le reste à vivre, en corrélation avec la notion européenne de revenu minimum adéquat. » Seul texte selon lequel la consultation de l’instance est obligatoire : le décret du 14 juillet 2009 définissant les conditions de l’agrément des « organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires », statut juridique prévu par la loi sur le RSA. Le CNLE a ainsi approuvé en janvier dernier l’agrément de l’association Emmaüs France. Sur cette question également, « il y a eu un vrai dialogue de fond, entre les réseaux associatifs et les syndicats qui craignaient un énième détricotage du droit du travail, sur la nécessité d’avoir à la fois des droits et des espaces d’expérimentation », explique Bernard Schricke. Avec l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES), le CNLE s’est également mobilisé et exprimé sur le choix des indicateurs permettant de mesurer la réalisation de l’objectif national de réduction de la pauvreté.

Les membres de l’instance partagent néanmoins le sentiment de prêcher entre convaincus. Comment rendre cette voix collective plus audible ? Si l’ancien président, Bernard Seillier, n’a pas ménagé ses efforts pour réclamer plus de reconnaissance et de visibilité, ils comptent désormais sur la personnalité d’Etienne Pinte, parlementaire UMP, en outre connu pour ses prises de position en faveur des exclus. Sa première préoccupation : « médiatiser et diffuser davantage les avis, insiste-t-il. Lors de l’examen de la proposition de loi sur la suppression des allocations familiales en cas d’absentéisme, à laquelle je me suis opposé, j’aurais pu m’appuyer sur l’avis du CNLE si j’avais su qu’il existait. »

Le nouveau président affirme la volonté de recourir à davantage d’autosaisines : « Je souhaite que l’on réagisse chaque fois que l’on estimera que la lutte contre la pauvreté est insuffisamment prise en compte dans les politiques publiques. » La nouvelle mandature du CNLE a démarré avec une re­commandation sur les suites de l’année européenne 2010 de lutte contre la pauvreté. Alors que les propositions contenues dans le discours de clôture de l’ambassadeur de la manifestation, François Soulage, président du Secours catholique, constituent pour les acteurs du secteur une « feuille de route », le conseil a demandé au gouvernement « de prendre en 2011 les mesures nécessaires pour assurer les suites qui s’imposent à la forte mobilisation suscitée ». Dans cet objectif, il a réclamé qu’un CILE soit programmé pour « renforcer la coordination et le pilotage d’actions transversales et agir de façon concertée sur tous les leviers de la lutte contre l’exclusion ».

Des moyens limités

Le CNLE peut-il, en attendant, bénéficier d’un nouvel élan ? Le 22 septembre dernier, lors de la première réunion informelle des membres du conseil avec Etienne Pinte, l’insertion des jeunes, le non-recours aux droits, les inégalités de santé, le projet de loi sur l’immigration ou la politique pénale ont été évoqués parmi les thèmes à aborder. « Il faudrait avoir un programme de travail qui ne soit pas seulement lié aux textes à paraître », estime ainsi Gisèle Stievenard, vice-présidente de l’Union nationale des centres communaux d’action sociale. « Sur l’assurance chômage, la sécurisation des parcours professionnels, il serait intéressant d’avoir l’avis du conseil », partage Agnès Naton, secrétaire confédérale de la CGT. Infléchir les politiques publiques, telle avait été aussi l’ambition de Bernard Seillier, qui aurait voulu mobiliser le conseil « sur des questions cruciales comme celle des deux millions de personnes nourries par l’aide alimentaire ou de la répartition des richesses… »

Reste que cette capacité d’interpellation et de proposition bute sur un problème de moyens : le CNLE est une « grosse machine » de 54 membres, dont une quarantaine en moyenne participe en général aux réunions plénières. Au rythme d’une demi-journée de séance par mois, le nombre de sujets fait forcément l’objet d’une sélection restreinte. Pas facile, de surcroît, de convoquer, d’organiser, d’analyser et de produire des textes avec pour seul effectif permanent une secrétaire générale, Christiane El Hayek, et une assistante, sur des postes de la direction générale de la cohésion sociale. Comme les autres structures consultatives ayant trait à l’action sociale, dont le Conseil supérieur du travail social, il est particulièrement mal loti. « Si les différents conseils sont souvent pauvres, il existe des inégalités : le Conseil national des villes a une équipe, le Haut Conseil à l’intégration aussi, au Haut Comité pour le logement, j’ai normalement deux collaborateurs… », pointe Bernard Lacharme.

En avril 2006, le CNLE, le Conseil national de l’insertion par l’activité économique (CNIAE) et le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées avaient obtenu de regrouper leurs secrétariats au sein d’une « Maison de la cohésion sociale ». L’objectif était de mutualiser les logistiques et les capacités d’expertise des trois conseils et de développer leurs synergies. Mais cette structure commune n’a pas fait long feu. « Il y a deux ans, quand la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité a récupéré les locaux dans lesquels elle nous accueillait, chacun est retourné dans son administration d’origine, déplore Bernard Lacharme. C’est dommage, car cette structure permettait des échanges, d’avoir un lieu identifié. Si elle a eu du mal à émerger et a disparu sans que cela n’inquiète personne, c’est que la fonction de conseil est mal intégrée par le gouvernement ! »

Le sujet a pourtant été relancé, de façon un peu plus radicale, par Roselyne Bachelot. Lors de son discours d’installation du conseil, la ministre a demandé une ré­flexion en vue de regrouper certaines instances, dont le CNLE, la Commission nationale consultative des gens du voyage et le CNIAE. Un travail plus global sur une « meilleure gouvernance de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion » vient tout juste de démarrer à la direction générale de la cohésion sociale, avec l’objectif, selon ses services, « d’aboutir dans l’année ». Ce qui pourrait relancer le travail sur « les fonctions et missions de conseil et d’observation dans le champ de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale » qu’avait démarré le CNLE sous son ancienne mandature, et qui n’a pas été définitivement bouclé. Dans un projet de note datant d’avril 2009, il préconisait la transformation du CNLE en « Conseil national de la cohésion sociale et territoriale » aux pouvoirs et aux moyens renforcés, qui s’appuierait sur un « outil d’observation », composé notamment de l’ONPES, ainsi que sur des conseils spécialisés, avec un rôle de coordination. « Nous ne nous sommes jamais prononcés pour la fusion, précise Bernard Seillier. Cela aurait pu être interprété comme une volonté d’absorption ou un risque d’appauvrissement de la concertation. En outre, cette piste n’a même pas un intérêt économique puisque les instances n’ont pas de crédits ! » Au sein du conseil pourtant, la question est loin d’avoir fait consensus.

Pour Julien Damon, qui en a été membre et fut brièvement président de l’ONPES, « il faudrait une fusion de toutes les instances liées à la pauvreté qui dans leur dispersion sont inefficaces ». Si le CNLE pouvait rassembler leurs moyens, argumente-t-il, « il aurait une influence aussi reconnue que les conseils dont les avis comptent, à l’instar du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, du Conseil d’orientation des retraites ou du Conseil d’orientation sur l’emploi. Or, aujourd’hui, c’est la dernière roue du carrosse ! » La réflexion sur la mutualisation est nécessaire car, au-delà des institutions, « elle porte sur leur rôle et leur intérêt », estime de même Nicole Maestracci.

S’ils s’accordent sur la nécessité d’une plus grande cohérence, d’autres craignent en revanche qu’un regroupement n’aboutisse à une dilution des rôles et des spécificités. Le projet d’intégration de la Commission nationale consultative des gens du voyage, toujours en attente de nomination de ses membres, inquiète ainsi tout particulièrement Stéphane Lévêque, directeur de la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage. « On ne veut pas que la situation des gens du voyage se résume à des situations d’exclusion sociale ou d’insécurité, explique-t-il. Cette idée de rattachement en dit long sur la considération du sujet par les pouvoirs publics, alors qu’il relève d’un niveau interministériel et d’une expertise spécifique. Il est par exemple urgent de réfléchir sur le statut des résidences mobiles. » Oui à la coordination et à la mise en commun des moyens, jugent les acteurs. Non, en revanche, à la disparition des compétences et des prérogatives qui font l’intérêt des instances spécialisées.

DEUX GROUPES DE TRAVAIL ET DAVANTAGE DE LIENS AVEC L’ONPES

Le suivi de la mise en œuvre du Plan national d’action pour l’inclusion sociale, dans le cadre de la « méthode ouverte de coordination » européenne, a fortement mobilisé l’ancienne mandature du CNLE au sein d’un groupe de travail mené en lien avec la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Le conseil, qui a déjà fait part à la direction générale aux affaires européennes de ses observations sur les « éléments clés » du programme national de réforme 2011-2013, doit à présent rendre un avis sur le document définitif qui doit bientôt être présenté à Bruxelles. L’année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, qui a fait l’objet d’un autre groupe de travail, étant bouclée, le CNLE a choisi de nouveaux thèmes de réflexion pour 2011. Un groupe de travail présidé par Didier Piard, directeur de l’action sociale à la Croix-Rouge, doit se pencher sur la question du « reste à vivre » et du « revenu minimum adéquat », dans le prolongement des débats qu’avait suscités le décret sur la récupération des indus des prestations sociales et des aides au logement.

Deuxième chantier, commandé par Roselyne Bachelot : « la participation des personnes en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale aux politiques qui les concernent ». Un sujet ambitieux, qui devrait, avec l’aide de la DGCS, s’inspirer du bilan de l’année européenne de lutte contre la pauvreté en la matière. Le CNLE, lui, avait engagé une réflexion sur la mise en place d’un « collège des usagers » au sein de l’instance. « Un sujet complexe, qui pose la question de la forme de désignation des personnes en situation de pauvreté » souligne Olivier Brès, membre du conseil en tant que personne qualifiée. Le groupe de travail, co-présidé par Matthieu Angotti, directeur général de la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale), et Bruno Grouès, conseiller spécial auprès du directeur général de l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et des organismes privés, sanitaires et sociaux), doit rendre ses conclusions en juin.

Autre objectif du CNLE : mieux articuler son rôle avec celui de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES). « Plus le CNLE sera stratégique, plus nous serons complémentaires, explique Jérôme Vignon, président de l’ONPES, notre mission étant de l’éclairer par des éléments pour comprendre, pas seulement voir, les processus d’exclusion et de pauvreté. » En convergence avec le travail du conseil sur le « revenu minimum adéquat », l’ONPES va ainsi « s’engager dans une estimation de ce qui est nécessaire pour mener une vie digne » . Les deux instances se sont également organisées pour rendre complémentaires leurs avis sur le rapport de suivi annuel de l’objectif national de réduction de la pauvreté.

PLUSIEURS ÉVOLUTIONS DEPUIS SA CRÉATION

D’abord conçu comme un comité de suivi et d’évaluation du RMI par la loi du 1er décembre 1988 sur le revenu minimum d’insertion (RMI), le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) est né en 1993. Ses missions sont définies par le code de l’action sociale et des familles. Il assiste le gouvernement de ses avis sur toutes les questions de portée générale qui concernent la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, assure une concertation entre les pouvoirs publics et les associations, organisations et personnalités qualifiées. Il « peut être » consulté par le Premier ministre sur les projets de textes législatifs ou réglementaires et sur les programmes d’action relatifs à l’insertion et à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Il peut également être saisi pour avis par les membres du gouvernement. Le conseil peut, enfin, de sa propre initiative, proposer aux pouvoirs publics les mesures qui paraissent de nature à améliorer la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

En 1993, Bertrand Fragonard, délégué interministériel au RMI, a été nommé secrétaire général du CNLE. Après la suppression de la délégation en 1999, le secrétariat général a été confié à la direction générale de l’action sociale.

Trois présidents, nommés par le Premier ministre, se sont succédé avant Etienne Pinte : Robert Galley, député (RPR) de l’Aube, à partir de 1994 ; Jean-Claude Boulard, député (PS) de la Sarthe, dès 1999 ; Bernard Seillier (non inscrit puis RDSE) en 2002, qui assurera deux mandats. Depuis l’élargissement de sa composition en 2005, le CNLE comprend le même nombre (huit) de représentants du gouvernement, des élus (sénateurs, députés, conseillers régionaux, généraux et maires), des personnes morales de droit public ou privé, des organisations syndicales de salariés et patronales, cinq représentants des organismes nationaux sociaux, huit personnes qualifiées et huit membres issus d’autres conseils spécialisés. Lui-même est membre de plusieurs conseils spécialisés ou comités.

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