GEOGRAPHIE D’UNE SOLITUDE. Une « ethnofiction » est un récit qui évoque un fait social à travers la subjectivité d’un individu particulier, créé de toutes pièces à partir de mille et un détails observés dans la vie courante. Telle est la définition qu’en donne Marc Augé. L’ethnologue, qui a présidé l’Ecole des hautes études en sciences sociales, n’en est pas à son premier coup. Il récidive avec son Journal d’un SDF. Il est là, son fait social : la situation des sans-logis et leur perte de repères spatio-temporels.
C’est donc un inspecteur des impôts à la retraite qui parle. Il essuie un second divorce et ne peut plus payer son loyer parisien. Il commence à vendre les meubles. Puis à dormir un soir dans la voiture, « pour s’entraîner ». Sur la banquette arrière, il a bientôt l’occasion de repérer les heures de passage des policiers affectés aux contraventions, et de déplacer la voiture en fonction. Peu à peu, son monde se réduit, pour se diviser en deux : d’un côté, la zone de la rue Brancion, de l’autre, celle de la rue Dantzig, distantes d’à peine 300 mètres. L’homme découvre une nouvelle géographie, et trouve de nouvelles fonctions aux lieux. Ses bonnes adresses deviennent les institutions dans lesquelles on entre sans peine pour se laver les dents.
La force du livre réside dans ces détails, observés, devinés, pressentis, moins dans ses passages idéalisant la liberté retrouvée à la rue. Marc Augé a surtout le sens de la narration. Qu’il s’agisse d’un récit sur un fait social, sur un sans-logis ou sur sa perte des repères, peu importe finalement. C’est l’histoire d’un homme qui se retrouve seul, à un tournant de sa vie, et on a envie de savoir comment elle finit.
Journal d’un SDF. Ethnofiction – Marc Augé – Ed. Seuil – 13 €