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Protection de l’enfance : comment faire « vivre » la loi ?

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Il y a quatre ans, la loi sur la protection de l’enfance a redéfini les compétences respectives du président du conseil général et de l’autorité judiciaire, ainsi que leur articulation. Pour Jean-Paul Bichwiller, directeur de l’enfance et de la famille du département de Meurthe-et-Moselle, l’esprit du texte ne peut être respecté que par un questionnement permanent et partagé sur le sens de la protection administrative et de la protection judiciaire.

« Un article paru récemment dans les ASH (1) fait valoir les difficultés rencontrées par les juges des enfants dans l’exercice de leurs fonctions. Elles sont réelles même si elles varient selon les départements du fait, notamment, des moyens mis par les élus au service de la protection de l’enfance et des choix en matière de pilotage du dispositif.

Il est vrai que certaines évolutions qui seraient imposées à l’exercice de la fonction des juges des enfants risqueraient de contrarier la philosophie qui préside à leur intervention et qui met l’intention éducative au premier plan. Au-delà de la justice des mineurs, les récentes dénonciations outrancières d’un prétendu laxisme ou de graves fautes de la part des magistrats sont particulièrement inquiétantes et on comprend l’émotion qu’elles suscitent.

Néanmoins, le dispositif de protection de l’enfance étant par nature un système sous tension, il n’est pas inutile de mettre au débat l’analyse de la place de chacun et des évolutions constatées depuis 2007. Les appréciations développées dans l’article des ASH concernant les conditions de saisine de l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire appellent la discussion.

La loi du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance reconsidère la nature des compétences respectives du président du conseil général et de l’autorité judiciaire. Elle affiche la priorité à donner à l’action sociale ; elle énonce les conditions de saisine du procureur de la République par le président du conseil général, qui mettent en jeu simultanément la question du danger pour l’enfant et celle de la collaboration des parents.

L’énoncé de la loi est nécessairement général ; il pose des principes qui doivent absolument être explicités pour prendre sens. C’est à l’aide d’une analyse de ces critères et d’un véritable débat que l’on peut utilement apprécier si l’administration “va trop loin” dans son champ de compétence et si, par voie de conséquence, le juge des enfants est saisi trop tardivement et dans de mauvaises conditions au regard de l’intérêt de l’enfant.

Ces questionnements sont essentiels. Ils font “vivre” la loi. Ils doivent permettre de caler au mieux l’action du juge et des services départementaux dans chaque département. Ils ne supportent pas l’approximation. Qu’est-ce qui fait considérer que l’une ou l’autre des deux autorités sont compétentes, peuvent prolonger leur intervention ou solliciter un relais ? Quels sont les critères d’appréciation, comment sont-ils appréhendés et de quels dysfonctionnements parle-t-on réellement ? Le simple énoncé ou la dénonciation des décalages ou d’incohérences ne peuvent suffire. Il faut que la justice des mineurs et les services départementaux disent précisément de quoi chacun parle et de quoi il est question.

L’évaluation, étape décisive

Permettons-nous, tout d’abord, de rappeler que l’enjeu de la loi du 5 mars 2007 est bien de restaurer le rôle et la place des parents dans la recherche d’une issue positive aux situations de danger repérées pour les enfants. S’est-on suffisamment imprégné de cet objectif ? N’est-on pas trop souvent tenté de raisonner à partir d’une logique de dispositifs ou de fonctions en oubliant de mettre au centre ce qui est le véritable enjeu ?

Celui-ci nous oblige à examiner plus précisément la notion de collaboration des parents, de surcroît lorsque le danger est prégnant, ainsi que la nature judiciaire de la protection.

La recherche de la juste place de la protection administrative et de son optimisation exige de bien poser la question de l’évaluation initiale menée notamment par les professionnels du service social départemental et de la protection maternelle et infantile. L’évaluation exige d’identifier la difficulté familiale et le danger ou le risque de danger et de mettre en avant les ressources de la famille, ses compétences. Cette étape est décisive pour sécuriser au mieux l’opérationnalité et la faisabilité de la protection administrative envisagée et pour cibler la nature de l’aide à proposer.

Il est beaucoup question depuis 2007 de la difficulté d’obtenir la collaboration des familles de la qualifier pour orienter la nature de l’aide vers un cadre administratif ou judiciaire. Dans ce cas, l’enjeu consiste à travailler rigoureusement cette question de l’adhésion des familles. Un premier refus ou un évitement ne motivent pas une protection judiciaire. Comment réagir aux frilosités et aux craintes qui sont légitimes de la part des familles à qui il est proposé de réfléchir à une aide des services sociaux ? Quel savoir-faire cela exige-t-il ? Quelle disponibilité ont les professionnels ? De quel type d’évaluation s’agit-il, quel encadrement technique est-il proposé aux professionnels de terrain ? Quelle exigence de l’institution sur la qualité de l’évaluation ? Et quel guide technique est-il proposé ? Si ces questions ne sont pas débattues dans les territoires en inter-services, la protection administrative n’a aucun avenir.

Les caractéristiques de la protection judiciaire doivent également être réaffirmées et faire référence auprès de tous les acteurs. Il semble être parfois oublié que c’est bien la nature judiciaire de l’intervention attendue qui justifie l’intervention du juge. Qu’est-ce que cela signifie ? Que c’est bien la capacité de contraindre, dans le cadre d’une autre stratégie d’intervention, qui doit permettre de rendre l’action de protection plus efficiente. Si la justice des mineurs française a cette vraie qualité de s’inscrire dans le champ éducatif, elle n’a de sens que parce que, en alternative à la protection administrative, elle permet un cadre contraint, un autre rapport à l’autorité parentale. Ce n’est pas seulement la place du juge qui est en cause, c’est la nature et le sens de l’intervention des services désignés par le juge : action éducative en milieu ouvert, accueils de jour, établissements… Les professionnels de ces derniers doivent mobiliser d’autres pratiques, d’autres savoir-faire, d’autres questionnements que pour la protection administrative. Il n’est pas certain pourtant que les discours et les postures soient si différents. Le sens de chacun des cadres, administratif et judiciaire, n’en apparaît parfois que plus trouble, voire obscur.

Le temps nécessaire, une donnée clé

Sans une perception et une appropriation partagées entre tous les acteurs du département de ce qui fait le sens de la protection administrative et de la protection judiciaire, on risque de courir indéfiniment après la bonne articulation. Car lorsqu’un juge dit qu’il est saisi trop tardivement, c’est trop tard par rapport à quoi ? Quel est l’argument qui justifie sa saisine et le moment auquel il est saisi ? De la même façon, quand une mesure judiciaire est en cours, quel est l’argument qui prévaut pour solliciter ou ne pas solliciter un relais administratif ? Et à quel moment ?

Il est aberrant de justifier la saisine du juge par sa rapidité. C’est un contresens absolu. Le choix d’une modalité de protection de l’enfance ne s’apprécie pas sur la base de la rapidité et de la lenteur, mais sur la base du temps nécessaire. Le temps est utile à la protection administrative, à sa préparation, il constitue déjà un mode de protection. Parfois, il faut savoir aller vite ; il faut alors en être capable (le sommes-nous ?). L’urgence caractérise souvent la protection judiciaire. Se justifie-t-elle toujours ? Parfois, là aussi, il faut pouvoir prendre le temps.

Trop souvent, les outils mis à disposition au sein des établissements et services du département sont détachés, dans leur usage, du cadre juridique qui a prévalu à la mesure de protection.

Dans le cadre judiciaire, si la nature de la mesure est éducative, c’est la nécessité de contraindre qui justifie l’intervention pour mettre fin au danger. On déroge au droit commun. Les libertés individuelles des personnes sont percutées dans leur fonction d’éducation en qualité de parents. Comment cette contrainte qui constitue un moyen est-elle intégrée et imprègne-t-elle l’action ? Ces principes sont-ils toujours présents dans le choix des stratégies et les postures professionnelles au quotidien ? Comment se différencient-ils de la protection administrative ?

La « continuité » de l’action, un contresens

En sens inverse, il y a bien des situations de mineurs suivis en assistance éducative qui pourraient être relayées par une mesure de protection administrative si on (les services de l’aide sociale à l’enfance, les juges des enfants, les services associatifs) était plus attentif à l’évolution des capacités et de la volonté des parents à être accompagnés sans la contrainte judiciaire. L’argument de la continuité de l’action par le service qui connaît bien la famille pour justifier le maintien de l’assistance éducative est un très mauvais argument. Il constitue là aussi un contresens. Le relais par une mesure de protection administrative est justement l’occasion d’ouvrir un nouvel espace pour la mobilisation familiale.

C’est bien, nous semble-t-il, ce travail permanent sur le sens même de l’action sociale et de l’action judiciaire qui peuvent utilement articuler les compétences et nous faire juger du bon moment. La loi de 2007 offre un support déterminant.

Il faut y ajouter deux conditions : l’existence de moyens suffisants pour initier et mettre en œuvre les projets pour les enfants, au plus près de la réalité de chacun ; l’existence de modalités de décision et d’accompagnement de projet repérées, efficaces et légitimées pour l’aide sociale à l’enfance. »

Contact : Conseil général de Meurthe-et-Moselle – 48, rue du Sergent-Blandan – CO 90019 – 54035 Nancy cedex – www.cg54.fr

Notes

(1) « Les juges des enfants sous tension », ASH n° 2695 du 4-02-11, p. 36.

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