Le torchon brûle entre les fédérations (CNAPE, FN3S [1], Citoyens et justice, Uniopss) et la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ). Alors qu’elles participent depuis longtemps aux côtés de cette dernière à la mise en œuvre des dispositifs destinés aux mineurs, les associations estiment que ce partenariat est remis en cause par « les choix inquiétants » et les méthodes de l’administration centrale. Elles estiment subir « une offensive incompréhensible » de la DPJJ sous prétexte de rationalisation et d’économies budgétaires et « au détriment manifeste de la qualité des réponses apportées aux jeunes et à leurs familles ».
Premier motif de leur colère, la mise en œuvre de la mesure judiciaire d’investigation éducative (MJIE) telle qu’elle est prévue par la circulaire de tarification (2). Après une année de concertation sur le contenu de ce dispositif, ce texte est en totale opposition avec les exigences de qualité affichées par la DPJJ dans la circulaire d’orientation, dénoncent les associations, qui rejoignent sur ce point les critiques formulées par l’Association nationale des assistants de service social (3). Selon elles, les nouveaux éléments de la tarification (financement de la mesure par fratrie et non par mineur, coût horaire trop faible, tarification complexe et incompréhensible…) vont rendre quasiment impossible la mise en œuvre de cette réforme dans le secteur associatif habilité. « La baisse des moyens alloués pour ce secteur pour l’investigation est inimaginable ! On n’a jamais vu cela depuis l’ordonnance de 1958 instaurant l’assistance éducative », fulmine Jacques Le Petit, président de la FN3S. Avec comme conséquences, outre une remise en cause de la qualité des mesures d’investigation, le risque de fermeture des petits services. Selon les calculs des associations, la seule mise en œuvre de la nouvelle mesure d’investigation devrait provoquer, d’ici à juillet 2011, la suppression de 350 à 450 emplois en équivalent temps plein dans le secteur associatif. « Notre incompréhension est totale, souligne Jacques Le Petit. Au moment où les interventions sociales à titre préventif trouvent leurs limites du fait de la dégradation croissante des situations, la DPJJ décide d’affaiblir cette mesure pourtant si nécessaire dans l’aide à la décision des magistrats. » Bien décidées à ne pas laisser disparaître le savoir-faire associatif et à éviter « un désastre social aux effets multiples et durables », les associations souhaitent donc un moratoire : elles demandent un gel de l’application de la circulaire de tarification, tant pour le secteur public qu’associatif, jusqu’au 31 décembre 2011, « le temps de faire le point sur les nécessaires aménagements ».
Mais la MJIE n’est qu’un des motifs d’irritation. Les associations dénoncent également « les décision unilatérales » de la DPJJ concernant les centres éducatifs fermés (CEF), dont elles gèrent les deux tiers. C’est en effet sans aucune concertation, « sous une forme d’injonction “à prendre ou à laisser” », que de nouvelles normes d’intervention devraient être fixées dans le cahier des charges qui a été remanié et qui sera publié prochainement. Il est ainsi prévu d’augmenter le nombre de mineurs par CEF (qui passerait de 10 à 12) tout en diminuant l’encadrement (fixé à 27 équivalents temps plein, il devrait tomber à 24). Des normes pourtant intenables, selon les associations, pour assurer une prise en charge sans risque pour les mineurs et les professionnels. Comment expliquer qu’« alors que les CEF ont fini par convaincre de leur pertinence, l’Etat décide de les fragiliser ? ».
A travers ces « décisions précipitées », les fédérations s’interrogent plus fondamentalement sur « le sort réservé aux associations dans les politiques publiques menées au titre de la protection judiciaire de la jeunesse ». Elles ont en effet clairement le sentiment que la DPJJ, contrairement à ses déclarations sur la nécessaire complémentarité entre les deux, cherche à démanteler le secteur associatif habilité au profit du secteur public. Jacques Le Petit est catégorique : « Les choix effectués pour la nouvelle mesure d’investigation montrent que l’administration centrale privilégie ses propres services. » D’où l’impression des associations qu’elles deviennent « une variable pour compenser les écarts d’activité de la PJJ et les revirements soudains de décisions », Par exemple, « la PJJ soutient, voire impose, à un moment donné, le développement d’une activité par une association et, peu de temps après, impose la fin de l’activité au motif qu’il n’y a plus d’opportunité ». Une manière de faire qui génère une grande instabilité pour les associations, mais interroge également le sens du partenariat avec la DPJJ. Un partenariat d’ailleurs proche de la rupture, selon les fédérations, « tant les relations se sont détériorées et la confiance est entamée ».
(1) Respectivement Convention nationale des associations de protection de l’enfant et Fédération nationale des services sociaux spécialisés de protection de l’enfance et de l’adolescence en danger.