L’enquête « Emploi 2007 » dans la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif (1) avait mis en évidence une modification des équilibres traditionnels entre les grands métiers du social et du médico-social. Dans la filière éducative – première famille de métiers avec plus de 110 000 emplois –, un grand brassage était en cours. Fin 2006, la part des éducateurs spécialisés restait dominante, avec 43 600 emplois, soit 39 % des effectifs de la filière. Mais leur suprématie commençait à être menacée par les aides médico-psychologiques (AMP), dont les effectifs avaient bondi depuis 2000 de 17 000 à 31 700 (+ 90 %), et par les moniteurs-éducateurs, qui passaient de 13 000 à 23 700 (+ 83 %). Pourtant, trop généraux, ces indicateurs ne permettaient guère d’alimenter la prospective, tant en termes de conséquences sur les politiques de formation que d’orientation de l’action au sein des services.
Poussant plus loin l’analyse des chiffres, Unifaf, l’organismes paritaire collecteur agréé (OPCA) de la branche, a entrepris, dans une nouvelle étude à paraître (2), de dégager un bilan plus précis des recompositions à l’œuvre dans la filière éducative et de dresser un portrait de ses trois métiers phares (voir les fiches métier, pages 33, 34 et 35). Confié à l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche, ce travail était très attendu tant l’évolution des missions des services éducatifs s’est accélérée ces dernières années.
« Il devenait nécessaire de montrer en quoi la modification des rapports de force entre les différents métiers de la filière avait transformé la composition des équipes. D’autant qu’il y a des débats récurrents sur la déqualification des équipes éducatives, selon lesquels de plus en plus de professionnels de niveaux IV et V supplantent ceux de niveau III, notamment en raison des budgets restreints », explique Pierre-Marie Lasbleis, chef du service études et prospective à Unifaf.
Le premier résultat de cette étude, qui détaille les différents terrains d’action de l’éducation (protection de l’enfance, enfance handicapée, adultes handicapés), est de montrer que, désormais, aucune lecture globale de la filière n’est possible tant les différences y sont importantes entre secteurs et entre régions.
Dans la protection de l’enfance, où la filière éducative représente l’essentiel des salariés, les emplois de niveau III correspondent pour 65 % à des professionnels éducatifs, avec une écrasante majorité d’éducateurs spécialisés. Les aides médico-psychologiques sont quant à eux pratiquement absents, avec tout au plus 2 % des postes. Mais de fortes disparités existent entre les régions. En Bretagne, par exemple, les éducateurs spécialisés peuvent représenter plus de 80 % des équipes éducatives, tandis que, dans le Limousin, cette part tombe à 40 %. Cette différence se répercute sur la place des moniteurs-éducateurs, qui ne représentent que 11 % des équipes en Bretagne quand ce taux peut dépasser 40 % dans certaines autres régions.
Dans l’enfance handicapée, où la filière éducative compte pour 23 % des effectifs globaux, la combinaison entre éducateurs spécialisés, moniteurs-éducateurs et AMP présente « un tableau assez équilibré dans lequel aucun métier ne domine largement les deux autres », observe Unifaf. Dans ce secteur, les moniteurs-éducateurs semblent intervenir comme une variable d’ajustement. Un poids élevé dans la composition des équipes indique qu’ils prennent tantôt la place des éducateurs spécialisés, comme en Poitou-Charentes, tantôt celle des AMP, comme en Rhône-Alpes. Et quand certaines régions, comme l’Auvergne, embauchent plus d’éducateurs spécialisés et d’AMP que la moyenne, c’est au détriment des moniteurs-éducateurs. Preuve, souligne Unifaf, « que la place à leur accorder est sujet localement à interprétation ».
Enfin, dans les établissements pour adultes handicapés, où l’enjeu éducatif est moins prégnant, les aides médico-psychologiques constituent près des deux tiers des équipes éducatives, loin devant les moniteurs-éducateurs (21 %) et les éducateurs spécialisés (18 %). Là encore, quand la place des moniteurs-éducateurs se fait localement plus élevée que la moyenne, c’est au détriment de celle des éducateurs spécialisés ou des AMP.
Dans ces résultats fortement dépendants des contextes locaux et des différences de politique assocative, Unifaf ne repère aucun signe d’une baisse de niveau de la filière. Au contraire, estime Pierre-Marie Lasbleis, « on peut voir les années 2000 comme celles de la montée en qualification des équipes éducatives et de la résorption des personnels non qualifiés ».
Entre 1985 et 2005, le nombre d’étudiants inscrits en formation a pratiquement triplé, passant de 20 000 à 54 000. La formation d’éducateur spécialisé reste également le cursus le plus suivi, puisque, en 2000, celui-ci regroupait près du quart des étudiants en travail social. Entre 2000 et 2005, on enregistrait une augmentation de 65 % des diplômes d’Etat d’éducateur spécialisé (DEES) délivrés, plus forte que celle des diplômes d’Etat de moniteur-éducateur (+ 50 %), mais en deçà du bond effectué par les diplômes d’aide médico-psychologique (+ 102 %). Un bond qui « pourrait donner l’impression que l’effort de formation est aujourd’hui concentré sur le niveau V, sous-entendu au détriment des autres. Or c’est bien l’ensemble des diplômes qui connaissent des progressions significatives, supérieures à celle des effectifs », insiste Pierre-Marie Lasbleis.
D’où provient alors ce sentiment de déqualification relayé par les professionnels (3)? Plusieurs explications se croisent, avance Unifaf. Une première tient à « une érosion de la légitimité des diplômes traditionnels du travail social » avec l’arrivée dans le secteur d’autres types de diplômés. Ce phénomène a coïncidé avec l’apparition de nouvelles fonctions d’encadrement, de coordination ou de mise en réseau. Si la plupart de ces nouveaux intervenants ont un diplôme qui les situe à un niveau III, celui-ci n’est pas nécessairement professionnel et peut être universitaire. « Autrement dit, la place des diplômes professionnels est relativisée, le niveau pouvant suffire à lui seul à justifier une candidature. » Pour Unifaf, le secteur pourrait en réalité être davantage guetté par une « déprofessionnalisation » que par une « déqualification ».
Par ailleurs, pour un nombre grandissant d’employeurs, la logique de compétences est devenue aussi importante que la logique de qualification. « Au point que deux marchés du travail se sont mis à coexister dans le champ de l’intervention sociale, l’un procédant d’une adéquation du diplôme au poste, l’autre se basant sur l’expérience », souligne l’OPCA. Cette tendance est d’autant plus visible qu’on se situe dans des dispositifs publics récents ou encore peu structurés (urgence sociale, insertion), mais elle n’est pas pour autant absente des établissements traditionnels. « Dans ces institutions, c’est moins une opposition entre ces deux logiques qui est recherchée qu’une complémentarité. » Conséquence : une multiplication des situations de surqualification conduisant par exemple des détenteurs d’un master, voire d’un doctorat, à occuper des postes d’exécution, « leur entrée dans le secteur étant souvent justifiée par des expériences personnelles annexes ». La validation des acquis de l’expérience achève ensuite de lever les frontières en permettant à ces professionnels d’acquérir une qualification du secteur.
De la même manière, la filière éducative a vu l’arrivée de personnels souvent qualifiés d’« intervenants éducatifs », à défaut de pouvoir correspondre à un titre du secteur. Plus particulièrement présents dans des nouvelles structures telles que les centres éducatifs renforcés ou les Caarud (centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues), ces personnels sont recrutés pour leur proximité avec le public accueilli, dont ils peuvent partager les codes en raison de leur origine sociale ou de leur vécu. « Leur présence indique que les responsables de ces institutions ont des difficultés à recruter des diplômés adéquats et qu’ils tentent d’explorer d’autres possibilités. On peut d’ailleurs se demander si les diplômes traditionnels de l’éducatif sont adaptés au défi que nous lancent ces publics et ces modes d’intervention », commente Pierre-Marie Lasbleis.
Autre explication : « Parler de déqualification suppose d’attribuer à chacune des professions de la filière éducative un territoire d’action spécifique », souligne Unifaf. Or cette opération est rendue très délicate avec le trio éducateur spécialisé, moniteur-éducateur et aide médico-psychologique dans la mesure où la coexistence de ces métiers dans les institutions constitue une chaîne d’intervention à part entière. En témoigne les refontes successives de leurs référentiels « métier » qui, en dépit d’une volonté de remettre à plat le rôle de chacun, ont toutes buté sur l’impossibilité de délimiter précisément le partage des tâches au sein des services. « Cette situation a pour conséquence que chacune des différentes professions de la filière éducative serait dans l’impossibilité d’imposer un monopole d’intervention fondée sur une identité “métier” propre », explique Unifaf.
Déjà identifié dans les conclusions de l’enquête « Emploi 2007 », ce manque de clarification affecterait en premier lieu le sommet de la chaîne éducative occupé par les éducateurs spécialisés. « En effet, si leur expertise n’est pas officiellement reconnue dans l’institution, la question de l’embauche de professionnels de moindre niveau se pose. » Le risque est d’autant plus réel que la réécriture du référentiel « métier » des moniteurs-éducateurs, en 2007, leur a reconnu des compétences dans la définition de l’action et n’a fait qu’alimenter un discours sur le flou dans la répartition des tâches avec les éducateurs spécialisés. Quant à celle du référentiel des aides médico-psychologiques, en 2006, qui élargissait leur champ d’intervention aux établissements d’inadaptation sociale (adultes en difficulté ou adolescence en souffrance), elle a pu se traduire, ici ou là, par l’embauche d’AMP au détriment de moniteurs-éducateurs ou d’éducateurs spécialisés. Le poncif « on fait tous la même chose, il n’y a que le salaire qui change » est aujourd’hui très répandu, souligne Unifaf.
Comment envisager l’avenir ? Prudent, l’OPCA évoque « une filière en mouvement ». Une précédente étude conduite par l’Observatoire régional des Paysde-la-Loire dans les établissements pour personnes handicapées (4), avait déjà montré que les évolutions de la chaîne éducative obéissent à deux scénarios opposés selon les institutions. L’un aboutit à une forme de déqualification par le fait que les intervenants éducatifs sont accaparés par la prise en charge des actes de la vie quotidienne. « Auquel cas le chef de service joue alors le rôle de coordinateur éducatif qui pourrait être celui de l’éducateur spécialisé. » L’autre débouche au contraire sur une montée des compétences, dans le cas où le directeur met en place un système de délégation qui offre une palette plus large de responsabilités aux cadres intermédiaires. « Cela affirme le rôle de coordination de projets de l’éducateur spécialisé et implique l’AMP et le moniteur-éducateur dans le projet individuel et dans des missions transversales. »
Mais les importantes variations régionales dans la composition des équipes qui viennent d’être mises en évidence montrent que d’autres phénomènes sont également en jeu. « Soit les établissements n’offrent pas les mêmes services aux usagers, spécule Unifaf, auquel cas il y aurait des prises en charge plus éducatives quand le poids des éducateurs spécialisés est fort, et inversement plus d’accompagnement au quotidien quand les aides médico-psychologiques dominent. Soit l’offre de service est proche entre les différents établissements, et on peut penser alors que les professionnels dépassent le référentiel de compétences de leur métier, avec un glissement des tâches. » On raisonnerait dans ce dernier cas en termes d’« interventions qualifiées » autant que de « professionnels qualifiés ». En réalité, c’est sans doute la combinaison de tous ces scénarios qui est à l’œuvre sur le terrain et qui rend la situation si complexe.
Pour autant, une certitude demeure. « Quelle que soit la réalité du partage des tâches et de responsabilités au sein de la filière éducative, l’idée de hiérarchisation des fonctions et des métiers perdure », assure Unifaf. Il ne s’agit pas uniquement d’une valorisation des métiers qualifiés pour les rémunérations qui y sont attachées, « les formes de reconnaissance seraient tout autant symboliques ». Cette réalité aurait de fortes conséquences sur les trajectoires en incitant les professionnels à se qualifier pour ne pas rester en bas de l’échelle. C’est naturellement le cas du métier de moniteur-éducateur, souvent présenté comme une fonction transitoire dans une carrière qui aboutira a minima à un poste d’éducateur spécialisé. Mais c’est aussi le cas des aides médico-psychologiques, dont un nombre important entreprend des actions de formation diplômante ou utilisent la validation des acquis de l’expérience pour obtenir le DEES.
« Depuis le responsable de site jusqu’à l’aide médico-psychologique en passant par le chef de service, l’éducateur spécialisé et le moniteur-éducateur, c’est toute une chaîne qui est dans un processus d’ajustement, encore très variable selon les établissements. Certains sont toujours dans la confusion des fonctions, quand d’autres se posent la question du rôle des uns par rapport aux autres », résume Pierre-Marie Lasbleis. En dernier ressort, estime-t-il, c’est le développement de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) à l’intérieur de la branche qui fera la différence.
Il reste à la prochaine enquête « emploi » de la branche, qui sera relancée au 1er janvier 2012, à apporter des éclairages complémentaires sur les mutations, cette fois clairement identifiées, au sein de la filière éducative.
Née en 1972, la fonction n’a cessé d’être reprécisée de façon quasi millimétrique. D’abord pensée pour « seconder » les éducateurs auprès des personnes souffrant d’un handicap psychique et physique, elle évolue en 1984 dans le sens d’une « participation aux tâches éducatives aux côtés de l’éducateur ». En 2006, un référentiel « métier » la définit comme relevant de l’« accompagnement quotidien » d’une personne nécessitant une aide sur le plan psychique, physique ou social. Un rôle à la frontière de l’éducatif et du soin qui explique que les AMP représentent un groupe à part entière au sein de l’équipe pluri-professionnelle. Tantôt rangés aux côtés des aides-soignants dans les structures sanitaires, tantôt dans le personnel éducatif, pédagogique et social dans les établissements sociaux et médico-sociaux, leur « décalage face aux références des deux secteurs les conduit à être dans une position délicate vis-à-vis des autres métiers », observe Unifaf.
La très grande majorité des postes reste concentrée dans le secteur du handicap – adultes handicapés (64 %) et enfance handicapée (21,6 % ). En revanche, les AMP ont très peu investi le secteur des personnes âgées (6 %), et leur entrée dans les structures de protection de l’enfance et d’adultes en difficulté est encore timide (800 postes environ).
Si la profession est bien implantée dans les régions où le secteur du handicap est le plus développé, son poids n’en reste pas moins tributaire des stratégies politiques. Ainsi « la faible représentation des AMP en région Rhône-Alpes trouverait sa source dans la volonté des acteurs régionaux de ne pas développer cet emploi ».
Féminine à plus de 80 %, la profession est également jeune. Tout juste 5 % des effectifs sont âgés de 55 ans et plus, ce qui est très inférieur à la moyenne des salariés de la branche (14 %). Le métier reste considéré dans une large mesure comme un tremplin social. En zone rurale, il peut représenter, pour des femmes ayant un faible niveau de qualification, une opportunité d’emploi. Dans les familles ouvrières – 40 % des effectifs des formations au diplôme d’Etat –, il s’agit plutôt d’une voie d’accès au secteur tertiaire. Via la formation continue ou la validation des acquis de l’expérience, la profession peut également servir de marchepied pour des personnes en reconversion ou désireuses de poursuivre un parcours qualifiant dans le secteur.
Pour Unifaf, l’élargissement du champ d’intervention aux structures sociales, proposé par leur référentiel « métier » de 2006, est à double tranchant. « D’un côté, il pourrait favoriser leur ancrage au sein de la filière éducative, mais il pourrait dans le même temps conduire à une perte d’identité. » Un glissement des tâches est en effet redouté « avec un détachement des actes de la vie quotidienne au profit d’animation d’activités ou d’ateliers en groupe, qui viendrait renforcer la confusion avec d’autres métiers de la filière ». Unifaf en appelle donc à « la nécessité de rendre plus visibles les apports et la valeur ajoutée » de cette profession « inclassable ».
Depuis leur création en 1962 dans la lignée des moniteurs d’internat, on n’a cessé d’annoncer la fin des moniteurs-éducateurs face aux éducateurs spécialisés. Ils ne doivent leur survie qu’à la pression des associations qui, à la fin des années 1980, ont fait valoir les conséquences économiques d’une telle disparition. En 1990, le métier connaît une première réforme. « On lui reconnaît une action centrée sur l’encadrement des groupes plus que sur l’individu, ainsi que sur la gestion de la vie quotidienne plus que sur le projet éducatif individuel », explique Unifaf. Puis, en 2007, un référentiel « métier » élargit son intervention en lui traçant des objectifs de socialisation, d’autonomie, d’intégration et d’insertion et en lui reconnaissant une contribution à l’élaboration des projets personnalisés. Si la différence sur le papier avec l’éducateur spécialisé reste notable, puisque ce dernier « impulse, coordonne et analyse », les frontières sont plus imprécises sur le terrain.
Profession féminine à près de 70 % et plutôt jeune (seulement 8,1 % de personnes de 55 ans et plus), les moniteurs-éducateurs exercent, pour les deux tiers, dans le champ du handicap ; dans les établissements pour adultes handicapés, leur poids est d’ailleurs supérieur à celui des éducateurs spécialisés.
Ils sont également très présents dans le secteur de la protection de l’enfance (un quart des effectifs), où il n’est pas rare qu’ils soient recrutés sur des postes normalement dévolus aux éducateurs spécialisés.
Les difficultés de recrutement des éducateurs spécialisés et/ou la différence de niveau de qualification, et par conséquent de rémunération, peuvent expliquer que certains employeurs se tournent vers les moniteurs-éducateurs, explique Unifaf. Néanmoins, précise-t-il aussitôt, ceux-ci répondent à une réelle demande car ils sont « réputés être porteurs de compétences sociales (manière de parler, d’aborder les gens) particulièrement recherchées dans certaines situations. »
Alors que le rôle de l’éducateur spécialisé se réoriente vers la définition et la coordination de l’action, Unifaf estime qu’un espace dans l’action éducative pourrait se libérer pour les moniteurs-éducateurs. « Leur maîtrise des savoirs pratiques […] et leur envie d’être dans le “faire-avec” l’usager pourraient être de plus en plus considérés comme des compétences propres et valorisées comme telles. »
Toutefois, le flou de leur positionnement ne semble pas près de disparaître. Pour Unifaf, une stricte division du travail avec les éducateurs spécialisés ne semble « ni réaliste ni souhaitable » pour l’usager. « Le moniteur-éducateur ne peut être cantonné à l’accompagnement éducatif quotidien. Selon le référentiel “métier”, il doit également participer activement à l’analyse et à la conception de projets et ses avis sur des situations individuelles doivent être reconnus. » En outre, au vu de la diversité des équipes éducatives selon les secteurs d’activités et les régions, « il paraît surtout difficile d’envisager qu’un modèle unique de répartition des tâches puisse être valable partout ».
Métier de référence dans la filière éducative, il est en chantier permanent. Depuis la création du diplôme d’Etat en 1967, cinq réformes (1973, 1985, 1990, 2004, 2007) sont venues tour à tour repréciser son contenu. Sans jamais parvenir à pacifier les débats, notamment sur la place donnée à la coordination des actions par rapport à la relation éducative.
Métier aussi de tous les clichés, l’éducateur spécialisé est d’abord une femme à 68 %. Au point que, dans les établissements où les hommes sont particulièrement recherchés, tels que les foyers de la protection de l’enfance, certaines associations peuvent être amenées « à embaucher des personnels masculins de moindre qualification ». De même, contrairement aux prévisions longtemps véhiculées sur le vieillissement de la profession, la part des 55 ans et plus est inférieure à celle de la branche (11,2 % contre 14 %). Même si, dans certaines régions (Poitou-Charentes, Midi-Pyrénées), le secteur de l’enfance handicapée concentre plus de 20 % des éducateurs au-delà de 55 ans.
Un grand nombre de structures font état de problèmes de recrutement, en particulier dans le secteur de la protection de l’enfance. En Ile-de-France, Champagne-Ardenne et Bourgogne, près d’un établissement sur quatre se dit très touché par ces difficultés. Pour Unifaf, la pénibilité de la fonction et la surcharge de travail couramment évoquées par les professionnels seraient en cause. Ainsi, si le travail en internat est satisfaisant en début de carrière, il semble peu valorisé par la suite. A l’inverse, la forte proportion des éducateurs de plus de 55 ans dans les établissements de l’enfance handicapée laisse penser que le choix d’y exercer est renforcé en fin de carrière.
Dans les établissements pour adultes handicapés, la place et le rôle des éducateurs spécialisés font l’objet de nombreux débats. « La question de l’opportunité et de la plus-value de leur intervention se pose d’autant plus que le handicap est lourd », pointe l’organisme paritaire collecteur agréé (OPCA). Pis, chaque institution semble proposer sa vision du rôle de l’éducateur spécialisé dans l’équipe, « celui-ci étant, selon les cas, plus ou moins dans la définition des projets ou dans l’intervention directe auprès des usagers ».
Très centrée sur ses champs d’intervention traditionnels, la profession doit faire face à la tendance à la « désinstitutionnalisation » des accompagnements. En témoigne l’apparition dans le secteur de la protection de l’enfance de nouveaux services, comme les Saspad (services d’assistance scolaire pédagogique à domicile); ou, dans le champ du handicap, le développement fulgurant des places en Sessad (services d’éducation spécialisée et de soins à domicile) qui ont crû de 48 % entre 2001 et 2006. Enfin, ajoute Unifaf, « il convient de s’interroger sur l’avenir de l’éducation spécialisée dans le cadre du handicap psychique », qui nécessite d’articuler l’offre de soins à un accompagnement social et médico-social. Autant de tendances qui auront des conséquences sur la composition des équipes, estime l’OPCA, tout en pronostiquant un accroissement des besoins en formation continue.
Un des principaux résultats de l’approfondissement des données de l’enquête « Emploi 2007 » de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif est de montrer les importantes disparités régionales dans la composition de la filière éducative. S’essayant à une typologie, Unifaf distingue des régions à dominante éducateurs spécialisés, moniteurs-éducateurs ou aides médico-psychologiques (AMP). « Il peut s’agir d’une dominante claire, comme en Auvergne où les éducateurs spécialisés sont majoritaires, ou d’une dominante combinant deux métiers, un principal et un secondaire, comme en Rhône-Alpes, où on retrouve des équipes à double dominante éducateurs spécialisés et moniteurs-éducateurs. »
Quelques régions apparaissent emblématiques des rapports de force entre les différents métiers. Ainsi la Bretagne, où les éducateurs spécialisés dominent en raison du nombre important de structures de protection de l’enfance. Unifaf observe que leur poids dans ces institutions se fait au détriment de celui des moniteurs-éducateurs, « alors que le rapport éducateurs spécialisés, moniteurs-éducateurs et AMP redevient conforme à la moyenne nationale dans le secteur du handicap ».
En Normandie, ce sont les aides médico-psychologiques qui semblent faire les frais d’une forte représentation des éducateurs spécialisés. Absents de l’enfance handicapée, domaine historique des éducateurs spécialisés, les AMP sont en revanche très présents dans les établissements pour adultes handicapés (10 points de plus que la moyenne), domaine moins investi par les éducateurs spécialisés.
Idem en Aquitaine, où la présence des AMP pâtit de la domination des éducateurs spécialisés et des moniteurs-éducateurs. Ces derniers se partagent les rôles dans tous les secteurs de l’éducation.
Les aides médico-psychologiques prennent leur revanche en Poitou-Charentes, où leur présence est très nettement supérieure à la moyenne nationale dans les établissements pour adultes handicapés, et reste encore légèrement supérieure dans les structures pour enfants. Leur poids détermine celui des moniteurs-éducateurs, qui est exactement l’inverse (faible dans le secteur des adultes et fort dans celui des enfants), tandis que les éducateurs spécialisés sont quant à eux systématiquement sous-représentés.
Autre région phare, la Picardie se distingue par une exceptionnelle présence des AMP dans l’enfance protégée (plus de 12 points au-dessus de la moyenne nationale). Cas unique qui se retrouve également dans les structures pour enfants handicapés (plus de 10 points au-dessus de la moyenne). Paradoxalement, cette tendance ne se retrouve pas dans les établissements pour adultes handicapés, pourtant domaine traditionnel des AMP, où ces professionnels sont moyennement présents.
Les raisons de tels particularismes sont, pour l’heure, difficilement décryptables. Unifaf évoque un impact des politiques de formation sur la composition des équipes. Ainsi, dans le Limousin, le ratio de 0,5 éducateur spécialisé pour 1 AMP, qui tranche avec la moyenne nationale de 1,4 éducateur spécialisé pour 1 AMP, se retrouve dans le nombre de diplômes délivrés, soit 36 diplômes d’Etat d’éducateur spécialisé contre 158 diplômes d’Etat d’aide médico-psychologique. De même, dans le Languedoc-Roussillon, la surreprésentation des moniteurs-éducateurs par rapport aux éducateurs spécialisés (1,1 moniteur-éducateur pour 1 éducateur spécialisé, contre 0,5 pour 1 en moyenne nationale) se retrouve en termes de diplômes (1,2 diplôme de moniteur-éducateur délivré pour 1 DEES, quand la moyenne nationale se situe à 0,6).
Pour autant, d’autres facteurs peuvent intervenir, comme la surreprésentation ou la sous-représentation locale de certaines catégories de publics ou encore l’histoire des politiques régionales d’action sociale. Dans la foulée de ces résultats, plusieurs observatoires régionaux de la branche se sont saisis du dossier. En Poitou-Charentes, une étude vient ainsi d’être lancée avec le conseil régional, la délégation Unifaf et l’Institut régional du travail social. Objectif : comprendre les raisons d’une si forte prédominance des AMP dans les établissements de la région et étudier le parcours de ces professionnels au sein de la filière éducative.
M. P.
(2) La filière éducative dans la branche, résultats de l’enquête emploi 2007 – Observatoire prospectif des métiers et des qualifications de la branche sanitaire, sociale et médico-sociale à but non lucratif, 2011 – A paraître.
(3) Notamment, tout récemment, par l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés – Voir ASH n° 2693 du 21-01-11, p. 23.
(4) « Handicap, mode d’emploi » – Unifaf, OREF Pays-de-la-Loire – Repères n° 2, novembre 2008.