Dans un rapport voté à la quasi-unanimité en séance plénière le 22 février (1), l’Académie de médecine tente de comprendre les causes de la diminution régulière de l’adoption en France, alors même que de 20 000 à 30 000 familles agréées attendent depuis plusieurs années qu’un enfant leur soit confié. Le nombre d’enfants adoptés dans notre pays a, en effet, diminué de moitié au cours des 20 dernières années ; il était de 1 749 enfants en 1985 contre 726 en 2008. Dans le même temps, l’adoption internationale a augmenté, passant de 960 en 1980 à 3 160 enfants en 2007 (en baisse ces dernières années). Sur les 726 adoptés en France, la grande majorité (soit 594) est constitué d’orphelins, d’enfants abandonnés ou nés dans le secret. Les autres – seulement 132 – sont des enfants dits « en danger » ayant fait l’objet d’une mesure de protection administrative ou judiciaire. Un chiffre bien faible, selon l’Académie de médecine, puisque 265 000 enfants relèvent d’une mesure de protection. Et de rappeler que le rapport de Jean-Marie Colombani de 2008 (2) estimait que de 9 à 13 % de ces enfants pourraient prétendre à l’adoption.
La véritable cause de la diminution de l’adoption en France tient, selon l’Académie de médecine, à la complexité des procédures quand il s’agit d’enfants en danger. Elle souligne les faiblesses du dispositif : la dilution des décisions dans de nombreuses commissions, cellules, navettes ; l’éclatement de la compétence judiciaire entre le procureur, le juge des enfants, le juge des tutelles, le tribunal de grande instance, éventuellement le tribunal correctionnel, la cour d’assises, etc.; le cloisonnement étanche des filières et des services ; l’hétérogénéité du système selon les régions… Enfin la lenteur du processus est montrée du doigt car elle a, selon l’académie, des conséquences gravissimes pour l’enfant : ce n’est qu’après cinq ou six ans de suivi que l’enfant en souffrance peut accéder au statut de pupille de l’Etat. Il entre alors, en raison de son âge, dans la catégorie des « enfants à particularité » qui ont peu de chances d’être adoptés…
Pour les auteurs du rapport, il existe également un dysfonctionnement au niveau des juges, trop réticents à prononcer le retrait des droits parentaux dans les cas de maltraitance. Il semblerait en outre que « l’intérêt supérieur de l’enfant » soit « apprécié de manière très différente d’une juridiction à l’autre ».
La question du délaissement parental pose aussi problème. « Sont considérés comme manifestement désintéressés de leur enfant », selon la loi de 1976, « les parents qui n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien des liens affectifs ». Le code civil précise que « l’enfant recueilli par un particulier, un établissement ou un service de l’aide sociale à l’enfance, dont les parents se sont manifestement désintéressés pendant l’année qui précède l’introduction de la demande en déclaration d’abandon est déclaré abandonné » par le tribunal de grande instance. Ces enfants ont donc vocation à être admis en qualité de pupille de l’Etat et par conséquent à être adoptés. Or le nombre de pupilles admis après déclaration judiciaire d’abandon a baissé de 70 % entre 1989 et 2008. La simple délégation de l’autorité parentale qui aboutit à la mise sous tutelle de l’Etat, statut peu protecteur, est le plus souvent préférée à la déclaration judiciaire d’abandon, regrette l’Académie de médecine. Une tentative de réforme présentée en 2009 par Nadine Morano, alors secrétaire d’Etat à la famille, prévoyait notamment une évaluation annuelle par les travailleurs sociaux de chaque enfant placé pour mesurer le « désintérêt manifeste » des parents ainsi que la possibilité pour le parquet de saisir le tribunal d’une demande de déclaration d’abandon, préalable à l’adoption de l’enfant. Ce texte est toujours en attente de son examen par le Parlement. Le sujet est néanmoins délicat et certaines associations comme ATD quart monde invitent à la prudence en rappelant combien il est parfois difficile d’évaluer le délaissement parental (3).
L’Académie de médecine clôt son rapport par une série de recommandations « pour que l’adoption nationale ne soit plus exceptionnelle ». Elle propose d’abord de simplifier les structures administratives et judiciaires de prise en charge des enfants en danger et d’harmoniser leur fonctionnement. Par ailleurs, elle estime primordial que « les juges, responsables de la gestion de situations nombreuses et complexes, suivent une formation et une expérience de terrain au contact de la réalité des faits ». Elle suggère qu’en cas de sévices avérés, un retrait des droits parentaux, qui permet l’adoption, soit prononcé sans délai (même sans condamnation pénale). « L’intérêt supérieur de l’enfant justifiant, selon les rapporteurs, le sacrifice du lien biologique avec les parents maltraitants. » Autre recommandation, la création d’une filière de familles d’accueil bénévoles, choisies parmi les candidates à l’adoption agréées, qui fonctionnerait parallèlement à celle des familles d’accueil rémunérées. « Cela permettrait aux candidats de montrer la priorité qu’ils accordent au bonheur de l’enfant et donnerait à l’adoption son véritable sens : donner une famille à l’enfant et non l’inverse. »
Quant à l’adoption simple, qui transfère aux parents adoptifs l’autorité parentale tout en maintenant les liens avec la famille biologique, elle devrait, au même titre que l’adoption plénière, être irrévocable, juge l’académie. Cette dernière souhaite enfin que le Conseil supérieur de l’adoption (CSA), organisme consultatif, soit le pilote d’actions départementales dans l’organisation générale de l’adoption en France. Sur le même registre, elle propose, la création dans chaque département d’un « observatoire de l’adoption » qui fournirait chaque année au CSA les données permettant l’élaboration des statistiques nationales fiables.
(1) Faciliter l’adoption nationale – Jean-Marie Mentz, Adeline Marcelli et Francis Wattel – Disponible sur
(3) L’association a fait part de ses réserves au quotidien La Croix du 21 février.