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Petite enfance ou dépendance ?

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Le projet de cinquième risque ou de cinquième branche de protection sociale est, par volonté présidentielle, pleinement à l’ordre du jour en 2011. Le sujet, qui donne lieu à une vaste concertation, est d’importance. Mais il en occulte, relativement, un autre, celui de la petite enfance.

Les deux âges extrêmes de la vie se caractérisent par des problématiques de prise en charge analogues : quel équilibre entre marché, pouvoirs publics et familles ? Quelle place respective des équipements collectifs et des services individuels ? Quel « choix » procurer aux bénéficiaires ? Quels recours aux mécanismes de solidarité et aux ressources des familles ? Certes, les différences sont grandes. L’extension possible de la couverture assurantielle de la dépendance rappelle qu’il s’agit bien d’un risque, alors que la petite enfance est, avant tout, un moment de l’existence que nous traversons tous.

Points névralgiques des évolutions des politiques familiales, ces deux âges commandent aujourd’hui des efforts importants – et, pour le moment, avec une ampleur similaire – de dépense publique. En 2010, les dépenses collectives, toutes sources confondues (sécurité sociale, Etat, collectivités territoriales), sont globalement équivalentes. Pour les moins de 6 ans, la collectivité consacre environ 1 % du PIB aux crèches, aux prestations familiales d’accueil du jeune enfant et à l’école maternelle. Pour les plus de 70 ans dépendants, la masse financière (issue des mêmes sources) correspond également à 1 % du PIB.

Une différence tient dans les inerties démographiques. A législation et organisation inchangées, la prise en charge de la dépendance âgée pourrait représenter 1,5 point de PIB d’ici à une quinzaine d’années. Il y a là un effet mécanique de l’augmentation des effectifs de personnes âgées affectées par une perte d’autonomie. En matière de petite enfance, le rythme de progression de l’investissement social national n’aura, sauf action volontariste, pas du tout la même ampleur. Lors de la campagne présidentielle pour 2007, les principaux candidats avaient rivalisé de propositions relatives à un droit universel à compensation pour les dépendants et, pour les plus jeunes, à un droit opposable ou à un service public de la petite enfance. Dans tous les cas, le développement des services et des équipements, tout comme la réforme des prestations, appelle des réorganisations substantielles et des charges supplémentaires si l’on veut augmenter les taux de couverture. La mise en œuvre concomitante de deux nouveaux « droits à » était probablement, d’emblée, insoutenable.

Les sommes et enjeux, considérables, surtout en contexte d’hyperendettement public, rendent nécessaires des arbitrages. Ils ont, dans une certaine mesure, été implicitement rendus en faveur des plus âgés. La France vieillissante a ainsi fait le choix de ses aînés. Dans un contexte où la pauvreté des personnes âgées, sans avoir été éradiquée, a amplement baissé, tandis qu’augmentait celle des enfants et des jeunes actifs, il aurait pu être autre. Pour ne rien dire du fait que les retraités ont, désormais, des niveaux de vie au moins égaux à ceux des actifs… Ces derniers aspirent à mieux concilier leurs activités professionnelles et leurs responsabilités familiales. Il n’est pas certain que l’option d’un accent mis sur la dépendance soit la plus légitime et la plus efficace, pour les enfants bien entendu, mais aussi pour l’avenir, plus généralement. S’il est souhaitable que des solutions soient trouvées pour le grand âge, il est également souhaitable que la question de la petite enfance reprenne place, avec autant de vigueur, sur l’agenda politique.

On ne saurait évidemment frontalement opposer des âges de la vie comme priorités de l’action publique, en considérant que toute action en faveur de l’un se ferait en défaveur de l’autre. On pourrait, dès lors, plaider pour des politiques familiales plus « intergénérationnelles ». On pourrait aussi rappeler que les concours des CAF et des collectivités territoriales permettent bien des améliorations en matière de politique de la petite enfance. Enfin, il faudrait dire quelques mots des innovations sur le registre des équipements et de l’organisation générale des politiques, permettant aux différentes générations de cohabiter harmonieusement et économiquement (par exemple, avec des haltes-garderies dans des maisons de retraite). Mais tout ceci n’efface pas l’argument général. Si les enfants ne sont en rien sacrifiés, ils ne sont pas la priorité.

Julien Damon tiendra désormais ce « Point de vue » un mois sur deux à la place d’Antoine Durrleman, nommé président de la 6e chambre de la Cour des comptes, que nous remercions pour sa longue fidélité aux ASH. Professeur associé à Sciences-Po, Julien Damon, sociologue de formation, a été en 2008 rapporteur général du « Grenelle de l’insertion ». Il était auparavant chargé des questions sociales au Centre d’analyse stratégique (2006-2008), après avoir notamment occupé les fonctions de responsable de la mission solidarité de la SNCF (1996-1998) et de sous-directeur à la CNAF, chargé de la recherche, de la prospective et des études (1999-2006). Il a aussi présidé brièvement, en 2010, l’Observatoire national de la pauvreté et l’exclusion sociale. Julien Damon a publié plusieurs ouvrages sur la pauvreté et l’urbanisme.

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