En 2009, 8,2 millions de personnes ont bénéficié de la prime pour l’emploi (PPE), pour un coût total de plus de quatre milliards d’euros. « C’est la troisième dépense fiscale la plus importante », a souligné Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes, lors de la présentation du rapport annuel de la juridiction le 17 février (1). Cette mesure est « mal ciblée » et source d’inéquité, estime la cour, qui propose des pistes d’amélioration du dispositif tenant compte de sa nécessaire articulation avec le revenu de solidarité active (RSA) « activité ».
Pour la Cour des comptes, la prime pour l’emploi n’a pas l’effet redistributif escompté : elle ne représente encore en moyenne que 4 % du revenu d’activité des foyers bénéficiaires. « Un système redistributif doit être “familialisé” pour prendre en compte le niveau de vie du ménage, explique-t-elle. Or la PPE, qui a d’abord un caractère individuel, est faiblement et imparfaitement familialisée. » En cause, selon Didier Migaud, son mode de calcul, qui se réfère au foyer fiscal en ignorant toute notion de ménage en dehors des couples mariés ou pacsés, et qui « aboutit à créer des situations d’une équité discutable au regard de la logique de redistribution ». Par exemple, illustre le rapport, « un couple de salariés au SMIC perçoit actuellement une PPE beaucoup plus élevée que celle reçue par un couple mono-actif au sein duquel un seul actif est rémunéré au SMIC, alors que ce dernier ménage est plus pauvre ».
Au-delà, estiment les magistrats financiers, la prime pour l’emploi « demeure mal ciblée » : elle « ne se concentre pas sur les plus pauvres puisqu’elle s’attache aux personnes dont les revenus d’activité sont supérieurs à 0,3 SMIC ». « Sont ainsi exclus de la PPE 2,8 millions de personnes occupant des emplois précaires ou à petit temps partiel ». A l’inverse, la prime peut être versée à des ménages situés dans la moitié supérieure de la distribution des revenus : près de 4,5 % des foyers fiscaux appartenant aux 8e et 9e déciles de revenus (famille avec deux enfants ayant déclaré en 2007 près de 44 000 €) en bénéficient.
Enfin, la Cour des comptes considère que les montants en jeu sont « globalement faibles » au regard des mécanismes de redistribution. « La PPE n’a ainsi contribué qu’à hauteur de 3,3 % à la réduction des inégalités de niveau de vie en 2008 », une contribution qu’elle juge « médiocre ». Et pour preuve : « en 2007, la moitié des travailleurs pauvres ne la percevait pas et seulement 6 % de ceux qui en bénéficiaient sortaient de la pauvreté grâce à elle ». En outre, le montant de la prime alloué est très souvent inférieur à la moyenne (500 €) : un bénéficiaire sur dix reçoit moins de 100 €, un sur quatre moins de 220 € et seuls 4 % perçoivent le montant maximum de 961 €.
Pour la Cour des comptes, la mise en place du RSA « activité » est venue « brouiller davantage le mécanisme d’incitation » : PPE et RSA « activité » poursuivent des objectifs a priori similaires tant en matière de complément de rémunération que d’incitation à la reprise d’activité. Pourtant, ces deux prestations coexistent désormais sans que leurs objectifs et leurs publics aient été redéfinis. La juridiction financière propose donc de clarifier leurs rôles. Dans ce cadre, souligne-t-elle, si le gouvernement entend conférer à la prime pour l’emploi un objectif de retour à l’activité, il faudrait alors « en majorer très significativement le montant de façon à lui rendre [un] caractère vraiment incitatif ». Parallèlement, il conviendrait de cibler davantage la PPE vers ceux qui en ont besoin, estime la cour. D’une part, « en [la] rendant accessible aux travailleurs précaires et aux temps partiels pauvres par la suppression du seuil équivalant à 0,3 SMIC ». D’autre part, « en excluant ceux dont le revenu potentiel d’activité est suffisant pour les inciter naturellement à reprendre une activité ». Comment ? « En abaissant les plafonds du dispositif pour les nouveaux bénéficiaires et en prolongeant le gel des plafonds actuels pour accélérer la sortie des revenus élevés », suggère Didier Migaud, ce qui permettrait d’accroître le montant de la prime, sans qu’il en résulte une augmentation de la dépense globale. Ces propositions ne recueillent pas l’assentiment des ministres de l’Economie et du Budget qui, dans leur réponse conjointe au premier président, ont estimé qu’« un ciblage plus précis de la PPE peut être problématique car il pourrait induire un risque d’effet de seuil important ».
La Cour des comptes propose deux autres axes d’évolution possibles. Le premier, supprimer la PPE et faire du RSA « activité » la mesure unique pour assurer un revenu aux travailleurs modestes afin de les inciter à reprendre une activité. Les ministres de l’Economie et du Budget ont d’ores et déjà indiqué qu’ils ne souhaitaient pas retenir cette préconisation car, « sans compensation, elle se traduirait par une hausse de la pauvreté et surtout par une baisse du pouvoir d’achat de nombreux ménages aux revenus modestes ou moyens ; même accompagnée d’une revalorisation significative du barème du RSA, un nombre important de ménages verraient leur revenu disponible diminuer suite à la suppression de la PPE car les deux dispositifs ne concernent pas exactement les mêmes ménages ». Une autre solution serait de maintenir les deux dispositifs mais en leur assignant des objectifs « clairement différenciés ». Par exemple, précise le rapport, « le RSA “activité” serait la mesure d’incitation à la reprise d’activité tandis que la PPE deviendrait un revenu complémentaire pour les actifs dont les ressources sont modestes ». Dans ce cadre, poursuit-il, la prime pour l’emploi devrait être aménagée pour mieux tenir compte de la situation familiale des bénéficiaires : « la prise en compte du revenu d’activité pourrait être simplifiée et la référence au temps de travail supprimée, tandis que l’accent serait mis sur la partie forfaitaire attachée à la famille ».
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