Alors que l’Assemblée nationale doit examiner le 8 mars, en deuxième lecture, le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, le Conseil national du sida (CNS) tente de faire pression sur le gouvernement et les députés afin qu’ils abandonnent l’idée de restreindre les conditions de délivrance du titre de séjour accordé à un étranger malade. Et développe, dans une « note valant avis » qu’il a adoptée le 10 février dernier (1), un argumentaire contre la réforme envisagée, joignant ainsi sa voix à celles des nombreux opposants à cette restriction annoncée du droit au séjour pour raison médicale (sur les dernières réactions des acteurs de terrain, voir ce numéro, page 25).
Au cœur de la polémique : l’article L. 313-11-11° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), qui permet actuellement d’accorder une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » à l’étranger « dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire ». Depuis le revirement de jurisprudence qu’il a opéré avec deux décisions du 7 avril 2010, le Conseil d’Etat estime que la condition d’accès « effectif » aux soins exige que l’administration vérifie que, si un tel traitement existe, il soit accessible à la généralité de la population – eu égard notamment aux coûts du traitement ou à l’absence de modes de prise en charge adaptés – ou bien encore que, en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de la situation personnelle de l’intéressé ne l’empêchent pas d’y accéder effectivement (2). Jugeant que « cette interprétation très généreuse faisait peser une obligation déraisonnable sur le système de santé français et ouvrait un droit au séjour potentiel à tout étranger ressortissant d’un pays ne bénéficiant pas d’un système d’assurance social comparable », les députés ont, en première lecture, proposé de substituer à ce principe d’attribuer un titre de séjour au requérant « sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié » celui d’une attribution « sous réserve de l’indisponibilité d’un traitement approprié ». L’administration n’aurait donc plus, apriori, qu’à vérifier l’existence ou non de soins appropriés à la pathologie dans le pays d’origine.
Les sénateurs ne les ont pas suivis et ont supprimé, contre l’avis du gouvernement, la mesure controversée. Mais les députés devraient revenir à la charge à partir du 8 mars. La commission des lois de l’Assemblée nationale a, en effet, adopté un amendement du gouvernement proposant de rétablir le texte adopté en première lecture au Palais Bourbon, laissant augurer sa réintroduction dans le projet de loi en deuxième lecture. En attendant, la mobilisation contre ce nouveau frein à l’entrée des étrangers malades continue, avec donc, au premier rang de ses détracteurs, le Conseil national du sida. Avec sa « note valant avis », ce dernier veut éclairer le législateur et l’opinion sur l’impact prévisible de la réforme proposée en termes de droit des personnes concernées, de santé publique et de maîtrise des dépenses de santé.
L’instance estime notamment que la restriction du droit au séjour envisagée « risquerait d’entraîner un rejet massif des demandes de titre de séjour ou de renouvellement », ce qui pourrait entraîner des conséquences « extrêmement graves pour la santé des requérants ». Au passage, le CNS rappelle « avec force » que les personnes bénéficiant aujourd’hui de l’article L. 313-11-11° du Ceseda sont atteintes de pathologies graves pour lesquelles, par définition même de la législation, le défaut de prise en charge médicale pourrait entraîner des conséquences d’une extrême gravité. Par ailleurs, juge encore le conseil, la mesure envisagée par les députés « comporterait des risques sérieux pour la santé publique, notamment en termes de diffusion des maladies infectieuses telles que le VIH, les hépatites ou la tuberculose ». De plus, elle entrerait en contradiction avec les politiques nationales de santé et avec les positions soutenues par la France au plan international en matière de santé et de développement. Enfin, évoquant le cas d’étrangers malades auxquels le bénéfice du droit au séjour pour soins serait désormais refusé mais qui demeureraient de fait en France dans l’irrégularité, l’instance considère que la réforme entraînerait des reports de charges au sein du système de protection sociale français et risquerait de réduire l’efficacité de l’investissement consenti pour la prise en charge médicale des étrangers… et, par conséquent, d’aggraver la dépense publique.
(1) Note valant avis sur la réforme du droit au séjour pour des raisons médicales envisagées dans le cadre du projet de loi « immigration, intégration et nationalité » – Conseil national du sida – 10 février 2011 – Disp. sur