« Les établissements et services médico-sociaux tiennent une place importante en psychiatrie, surtout en psychiatrie infanto-juvénile où ils représentent plus de la moitié de l’offre de soins. Tout comme le secteur public, ces institutions ont connu, immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, le mouvement d’humanisation et les avancées de la psychothérapie institutionnelle.
Dans le contexte de désinstitutionnalisation qui a suivi, d’importantes évolutions ont eu lieu : création des services ambulatoires (centres médico-psycho-pédagogiques [CMPP] et centres d’action médico-sociale précoce [CAMSP]), de services à domicile (services d’éducation spécialisée et de soins à domicile [Sessad] et services d’accompagnement médico-social pour les adultes handicapés), etc. Parallèlement, la chute de la démographie médicale, notamment en psychiatrie sanitaire, et celle d’autres professions contribuant aux soins, liées aux réductions budgétaires, ont sévèrement affaibli la technicité des établissements et services.
Néanmoins, de nombreuses équipes s’efforcent de maintenir une dynamique institutionnelle comme l’un des meilleurs moyens de conserver l’efficacité de leur projet et la valeur thérapeutique de leurs services. C’est pour faciliter ce travail, essentiel à la survie du secteur et au confort des personnes accueillies que l’Association scientifique de psychiatrie institutionnelle (AsPI) a été créée le 15 septembre 2006. Des “assises nationales” ont déjà eu lieu à deux reprises, à Marseille en mai 2007 et à Lille en novembre 2009. Elles nous ont permis de mesurer l’ampleur des interrogations des professionnels sur l’évolution des politiques publiques dans notre secteur du soin psychique, aussi bien dans le sanitaire que dans le médico-social.
Devant les bouleversements entraînés par la loi “hôpital, patients, santé et territoires” (HPST) du 21 juillet 2009 et leurs conséquences immédiates – mise en place des agences régionales de santé, décloisonnement entre le sanitaire et le médico-social –, nous sommes inquiets de savoir comment la vocation de la psychiatrie médico-sociale pourra rester demain la même qu’aujourd’hui : permettre de vivre avec une pathologie subaiguë ou chronique, grâce à un accompagnement de la personne, mais aussi à l’aide des soins que son état requiert ; comment, également, enrayer les processus handicapants dans lesquels de nombreux enfants et adolescents se structurent.
Car la place des soins fait débat aujourd’hui (2). En effet, la loi du 2 janvier 2002 a substitué le mot “accompagnement” à l’expression “prise en charge” – aux connotations il est vrai “pesantes” – et ne parle plus guère de “l’éducation et des soins”, terminologie en usage depuis le décret du 9 mars 1956, fondateur du secteur médico-social.
La loi du 11 février 2005 confirme l’intérêt porté à cette belle expression d’“accompagnement” (“partager le pain”), organise l’éducation, l’instruction, mais ne se préoccupe guère de thérapeutique, si ce n’est sur le plan du “droit aux soins” et de l’“accès aux soins”, lesquels sont constitutionnels. Nous voulons réagir à ce qui progressivement émerge du fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), c’est-à-dire une centration unique sur les “besoins de compensation” des personnes, ignorant, nous semble-t-il, la dimension du soin.
En effet, pour les jeunes souffrants d’un handicap ou d’un processus handicapant psychique – mais cela vaut également pour les adultes –, l’orientation en établissement ou service médico-social n’est pas seulement une réponse à un besoin de compensation. Du fait même de la nature tout à la fois thérapeutique, éducative, pédagogique ou professionnelle de ce qui est proposé, elle s’apparente davantage à une indication de soin. De quels compétences et outils d’évaluation disposent aujourd’hui les MDPH pour mener à bien ces repérages, ou plus simplement, les valider ? Comment, avec les personnes elles-mêmes et leurs responsables légaux le cas échéant vont-elles construire de véritables projets de vie et de soin, articulés avec les institutions qui vont les accueillir ?
Le secteur médico-social assume pleinement l’inscription à l’école “ordinaire” des enfants handicapés, grâce aux CAMSP, aux CMPP et aux Sessad. Nous aurions beaucoup à dire sur la nécessaire formation et pérennisation des auxiliaires de vie scolaire (AVS), dont l’utilité n’est pas contestée, mais dont chacun sait, dans nos établissements et services, combien le recours systématique à leurs accompagnements n’est pas à la hauteur des enjeux, au détriment des jeunes comme des classes qui les accueillent…
Nous constatons de fait que les jeunes accueillis en établissement social ou médico-social (ESMS) présentent aujourd’hui des situations plus “lourdes” que précédemment sur le plan psychopathologique, comme sur le plan somatique, voire sur celui du pronostic vital (polyhandicapés par exemple), alors que les moyens en personnel qualifié et les pratiques stagnent, voire régressent, au fil des “restructurations” ou autres “mutualisations” qui nous sont présentées comme inéluctables…
Avec d’autres acteurs associatifs et publics, l’AsPI appelle de ses vœux la reconnaissance et la pérennisation d’une véritable psychiatrie médico-sociale qui, aux côtés de la psychiatrie sanitaire et en synergie avec elle, apportera aux personnes l’accompagnement et les soins de qualité nécessaires à leur état et à leurs besoins. »
Contact : AsPI – 240, boulevard Voltaire – 75011 Paris – Tél. 01 43 71 62 60 –
(1) Roger Salbreux est psychiatre et secrétaire général du Conseil national du handicap ; Michel Defrance est directeur d’ITEP et président de la Fédération nationale des associations de directeur d’établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux à but non lucratif (Fnades).
(2) L’AsPI organise le 4 mars à l’Espace Reuilly, à Paris (XIIe), une journée sur “ la place du soin dans le médico-social aujourd’hui ».